Ce jeudi 22 janvier 2009, à 18H30, au 14 quai de charente, nous poursuivons un cycle de rencontres sur le gouvernement des individus avec Michel Feher. Il introduira la séance autour d’un question : La condition néolibérale : comment la définir, pourquoi l’épouser ?
Parler de condition néolibérale implique d’abord de préciser ce qu’on entend par « condition ». Ce terme renvoie ici à une histoire des anthropologies morales, c’est-à-dire des inclinations et dispositions censées exposer l’humanité aux problèmes moraux, mais aussi des modes de gouvernement dont elles sont les corrélats : tant pour asseoir leur autorité que pour l’exercer de manière optimale, les institutions qui se donnent pour mission de gouverner les hommes ne peuvent en effet se passer de leur prêter une condition.
Celle-ci sert d’abord à justifier la prétention de gouverner ses semblables : n’est-ce pas en postulant que les inclinations dont les individus ou les peuples sont la proie les rendent incapables de se gouverner par eux-mêmes que les gouvernants s’estiment fondés à les guider ?
Mais en outre, définir les traits distinctifs de la condition humaine est essentiel à la pratique de l’art de gouverner : n’est-ce pas en raison de certaines dispositions dont ils seraient dotés qu’en dépit de leur inaptitude à se gouverner, peuples et individus s’avèreraient néanmoins gouvernables ?
Ainsi en va-t-il, par exemple, de la condition augustinienne. Corrélative du pastorat chrétien et, plus largement, des régimes gouvernementaux du Moyen-Âge, elle décrit un homme partagé entre une cupidité insatiable qui l’assujettit depuis la Chute et la charité déposée par Dieu dans le cœur de ses créatures déchues : tandis que le pastorat tire sa légitimité du joug exercé par la première, la stimulation de la seconde s’impose comme son objectif.
Pour sa part, la condition libérale envisage également une humanité aux prises avec des passions aussi violentes qu’inconstantes, mais non sans reconnaître à ses membres deux dispositions régulatrices, qui sont d’une part le sens de leur intérêt et d’autre part la capacité d’éprouver une affection désintéressée - pour leurs proches, leur patrie, voire pour l’humanité. L’art de gouverner corrélatif d’une telle condition devra donc s’attacher à encourager mais aussi à articuler ces deux dispositions.
Quant à la condition néolibérale, faire l’hypothèse de son existence revient à avancer que l’individualisme possessif corrélatif du libéralisme, soit le statut de propriétaire soucieux de son intérêt mais aussi capable de désintéressement, ne correspond plus à la manière dont les politiques néolibérales appellent les hommes et les femmes à se reconnaître et à se comporter.
Lui succède un sujet affecté d’une fâcheuse tendance à se déprécier mais aussi d’une formidable aspiration à s’apprécier : appréciation ou dépréciation de soi qui dépend de la valeur des conduites adoptées et qui dessine une relation non plus possessive mais bien spéculative du sujet à lui-même. Autrement dit, là où le mode de gouvernement libéral incite les individus à tirer le meilleur profit de ce qu’ils possèdent - capital pour les uns, force de travail pour les autres - pour sa part, un art de gouverner néolibéral appelle plutôt ses destinataires à valoriser ce qu’ils sont, c’est-à-dire à majorer la valeur actionnariale du portefeuille de conduites qui les constitue.
Il reste alors à se demander si les adversaires des politiques néolibérales doivent tenir la condition qui est leur corrélat pour le mode de sujétion dont il leur faut à tout prix se déprendre ou si c’est au contraire en l’épousant, soit en s’appropriant l’aspiration à s’apprécier, qu’ils leur offriront la résistance la plus efficace.
On peut également lire de Michel Feher le texte joint : S’apprécier, ou les aspirations du capital humain