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L’égalité des chances contre l’égalité, Le sabot, outil de liaison locale sur Rennes et ses environs, n°4, mars 2009.

Publié, le dimanche 31 mai 2009 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : dimanche 16 août 2015


Le vieux dicton concurrentiel it’s more fun to compete est actualisé pour surcoder les vies. Les chômeurs et précaires, ces « clients » dont Pôle emploi [1] a l’usage, sont désormais des candidats [2].


Ces réflexions ont pour origine une conférence d’Alain Renaut sur « la discrimination positive et l’Ecole » prononcée aux Champs libres, l’hiver dernier à Rennes. Elles se veulent en polémique par rapport au consensus qui réduit la révolte de novembre 2005 à une envie refreinée de parvenir, à un défaut d’égalité des chances et qui célèbre bruyamment l’accession de Barack Obama à la plus haute autorité de l’état américain.

l’égalité des chances contre l’égalité

« Le régime nouveau sera une hiérarchie sociale. Il ne reposera plus sur l’idée fausse de l’égalité naturelle des hommes mais sur l’idée nécessaire de l’égalité des chances, données à tous les français de prouver leur aptitude à servir. Seuls le travail et le talent redeviendront le fondement de la hiérarchie française. Aucun préjugé défavorable n’atteindra un français du fait de ses origines sociales, à la seule condition qu’il s’intègre dans la France nouvelle et qu’il lui apporte un concours sans réserve. »
Philippe Pétain, message au peuple francais du 11 octobre 1940.

Introduction

Dans une conférence comme celle-ci, on trouve bien souvent une sorte de personnage aussi vaniteux que servile appelé présentateur. Il a la charge d’orner magiquement l’auteur d’une aura de sacralité. Pour ce faire, il s’agit de rappeler implicitement les frontières entre les intelligences qui séparent d’une part les êtres initiés et véritablement capables tel Alain Renaut, des « amateurs » éclairés néanmoins capables (catégorie à laquelle notre présentateur s’inclut volontiers) ; et d’autre part de distinguer ces amateurs éclairés de la masse des ignorants, le bon peuple du fond de la salle à peine capable de comprendre les paroles du grand philosophe. Ceux dont les capacités intellectuelles n’ont pas été validées par un Concours de l’Education nationale et dont il faut surtout s’assurer qu’ils n’empêchent pas le bon déroulement de la messe. Cette sublime hiérarchie ne pourrait tenir debout si notre prêtre-présentateur, officiant à cette belle cérémonie culturelle, n’assurait miraculeusement la communion entre ces fidèles aux intelligences si « hétérogène[s] » et l’Auteur Alain Renaut. Qu’il lui soit donc rendu grâce. Amen et paix à nos âmes incapables.

Le décor est planté. Place à la conférence de Renaut qui a pour objet de démontrer le bien fondé de l’« action positive » (euphémisation du terme « discrimination positive ») à l’Ecole, susceptible de compléter le modèle républicain défaillant.

Que tout le monde se rassure, Alain Renaut ne veut pas mettre en place des quotas. Ouf ! Il veut humblement mettre en place des classes de rattrapage de « culture générale » pour ceux qui en sont les plus démunis. Quelle aimable personne ! Il veut œuvrer à « garantir l’Egalité des chances » et répondre ainsi à ce qu’il suppose être la demande des révoltés de novembre 2005 comme du CPE. Quelle âme charitable ! Quels esprits chicaniers pourraient bien avoir à objecter quelque chose à cet homme magnanime dont les intentions apparaissent si désintéressées ?

a. La hiérarchie des savoirs et des intelligences.

Tout d’abord, à s’en tenir à la proposition avancée par Renaut de discrimination positive, on peut la ramener à trois principes. Premièrement, la prétendue « culture générale » qu’il faudrait aux « défavorisés » acquérir renvoie à l’idée qu’il existe des « savoirs fondamentaux ». Ceux-ci étant considérés par leur dispensateur : soit comme jamais tout à fait acquis, soit sous la forme d’une connaissance experte d’une discipline spécifique, susceptible de disqualifier celui qui n’en est pas pourvu dans l’espace public. Deuxièment, l’acquisition de ces savoirs fondamentaux s’effectuerait progressivement des éléments simples aux plus complexes. Troisièmement, leur acquisition nous hisserait au dessus de l’intelligence particulière et bornée auxquels seraient réduits ceux qui ne possèdent pas cette culture générale. Par conséquent pour Renaut et tant d’autres, la hiérarchie entre les intelligences est justifiée par celle des savoirs et à travers elle, la tutelle de l’élève ou de l’ignorant à l’égard du maître. Ces derniers étant supposés incapables par leurs seuls moyens, même s’ils en ont la volonté, d’apprendre sans l’explication d’un maître, d’apprendre ce qu’ils ignorent. Principes qui, rendus à leur vérité, ne semblent guère réaliser de près ou de loin l’émancipation du bas peuple, « des minorités », promise par notre grand philosophe mais semble plutôt justifier la continuation de son oppression et de son abrutissement. De là, à faire de ces principes un argument pour justifier « la capacité » de certains à gouverner et « la capacité » de certains autres à travailler comme des forçats, il n’y a qu’un tout petit pas...

b. L’égalité des chances concoit l’égalité comme but à atteindre.

L’Egalité des chances pour qu’elle soit réelle, selon les vœux de Renaut, passe par un nivellement improbable de la quantité de savoir connu par les étudiants, reconnu par l’institution et accompli en un point du temps indéfini. Cette dernière conception ne peut entraîner que reconduction d’un présupposé d’inégalité et procrastination de l’égalité réelle, concrète. A l’inverse, « ce qu’on peut avoir, et qu’il s’agit d’organiser, ce sont les conséquences de la déclaration égalitaire et non pas les moyens de l’égalité comme fin. »

Lorsque nous formulons cette critique, nous ne voulons pas dire que les filles ou les fils d’ouvriers seraient congénitalement ou socialement incapables de rivaliser d’intelligence avec leurs homologues bourgeois mais que sous les apparentes bonnes intentions de l’égalité des chances se dissimule le présupposé de l’inégalité des intelligences illustrée ici par la constitution d’une classe de niveau composée de supposés ignorants, de ceux qui ne connaissent pas « les fondamentaux ». On encourage ainsi ce que l’on prétend combattre : l’inégalité. On favorise en effet l’intériorisation de représentations naturalisantes par les uns et les autres : ou bien, on intègre ce genre de classe et on fait parti des « besogneux », des êtres dépendants qui ont besoin d’un pédagogue ou bien on n’est pas dans ce genre de classe, « on a des facilités », on est autonome dans son travail. Représentations qui finissent par devenir dispositions, entraînant la honte des uns et l’orgueil des autres.

c. Le talent comme naturalisation de l’inégalité.

Un profane dans la salle a eu bel et bien raison de demander à Alain Renaut s’il était favorable au dépistage de la délinquance chez les enfants en bas-âge comme le proposait le projet de loi sur la prévention de la délinquance de décembre 2006. Car dans l’hypothèse plus qu’improbable affirmée par Renault d’une égalité des chances enfin parvenue : qu’est-ce qui fait critère pour départager des candidats ? Un « talent », déclare nonchalamment notre auteur, un don, supposés naturels, c’est-à-dire des intelligences naturellement inégales, faut-il s’empresser de préciser.

Dans les discours actuels, le talent est soit compris sous une forme innéiste, ou génétique. Il désigne des capacités disposées quantitativement et qualitativement de manière différenciées en chacun. La désignation de pseudo-capacités propres est souvent relayée par ce type de désignation : c’est un « littéraire », ou un « manuel », un « scientifique » ou un « créatif »...ou un « bon à rien ». Disposition donc antérieure à la société que cette dernière viendrait simplement révéler.

Le talent peut être aussi entendu comme disposition acquise, manière de seconde nature. Mais cette entente ouvre très vite, on ne sait pourquoi, sur une sorte de statut particulier, sur un destin, une condamnation à vie qui seraient attachés à l’individu du fait qu’il est porteur ou non de ce « talent ». De sorte que la forme innéiste du talent vient le plus souvent prêter secours à la seconde acquise pour justifier que la petite différence du moment tend à être naturalisée par le biais de la distribution sociale des places, des compétences à penser, à faire et à voir. L’égalité des chances aurait ainsi pour rôle de révéler la place de chacun dans la société conformément à ce que « la bonne nature » lui aurait attribuée individuellement. Elle opère comme une véritable moralisation de la hiérarchie. Cette conception a fait l’objet lors de la précédente campagne présidentielle d’un large consensus puisque Sarkozy comme Royal se sont fait les hérauts d’une « République des talents ».

Pour que cette nature puisse être révélée : il faut accepter son lot, lequel est : faire la guerre à ses semblables pour leur arracher une position plus favorable, conformément à la morale libérale. Ainsi la fiction du talent apparaît comme un complément indispensable aux simples mouvements spontanés et désordonnés des intérêts individuels si chers à l’imagerie libérale. Comment le régime de la concurrence généralisée serait-il acceptable s’il ne venait se coupler d’une justification naturalisante des talents et des capacités ? L’Etat a très tôt vu le bénéfice qu’il pouvait tirer d’une telle reconnaissance des talents et des mérites pour sa propre perpétuation et le renforcement de l’ordre social.

d. Produire la petite différence.

Pour parvenir à organiser un consensus élargi autour de ce pseudo-concept d’égalité des chances et de ses objectifs, il faut réduire et renverser le sens du concept d’égalité. Ce qui permet de justifier la hiérarchie produite par l’évaluation méritocratique. Derrière son usage banal et largement consensuel qui se justifierait à partir de l’adage qui veut que « chacun reçoive à mesure de son mérite », se cache son caractère politique et arbitraire. L’Ecole a cherché à produire la différence à travers la mise en place de dispositifs d’évaluation (lesquels n’ont donc rien de naturel). Depuis ces différences ponctuelles, bien souvent réversibles, est érigée la première forme de légitimation de la hiérarchie au sein de la société. On peut se demander si le premier et le seul mérite des premiers de la classe ne consiste pas seulement à accepter de se conformer à des exigences académiques, fonctionnelles à la demande étatique et économique, et non à quelque différence réelle et intrinsèque qui justifierait par là de naturaliser, de condamner anonymement certains à vie aux tâches les plus ingrates et d’accorder à d’autres le monopole de la décision.

Ces dernières années, l’agitation des gouvernants autour du thème de l’égalité des chances semble témoigner d’une nécessité pour le pouvoir à devoir rafistoler l’un des fragiles piliers du consensus libéral-capitaliste. Une image trompeuse, il est vrai, fort répandue, tendrait à laisser croire que le consensus autour de la distribution hiérarchique des places à partir du mérite serait plus ancré que le consensus fondé sur la religion sous l’ancien régime. Rien n’est moins sûr. En ce sens, plutôt qu’une rupture, la justification méritocratique en tant qu’elle repose sur l’idée d’une hiérarchie des capacités et des intelligences constitue en fait une explicitation de l’ancienne justification théologico-politique de l’inégalité et apparaît par conséquent d’autant plus susceptible d’être rendu à la visibilité populaire et perçue pour ce qu’elle est. Inacceptable.

e. L’Egalité des chances comme dispositif de légitimation de la division capitaliste du travail.

A la lumière de ce que nous venons de dire plus haut, on peut estimer que la question de l’usage de la discrimination positive ne joue qu’une fonction secondaire dans l’économie générale du propos de Renaut. On peut même ajouter que tenir pour évidence partagée, le principe de l’égalité des chances permet de mieux tenir dans l’ombre ce qui motive ce dernier principe. Pour Renaut, l’objectif n’est pas tant de parvenir à une égalité des chances au moyen de la dérisoire introduction de cours de culture générale, mais de nous laisser croire que cette égalité des chances peut exister et que rien, sinon la malignité, ne peut ne pas nous la faire désirer. En se faisant l’interprète des songes les plus secrets de Renault, on peut considérer que dès lors que l’égalité des chances apparaîtra au plus grand nombre à la fois comme réelle, possible et nécessaire, ne reviendra au bon peuple que le devoir d’accepter docilement selon son soi-disant mérite individuel la place qui lui est dévolue dans la société.

Car, en légitimant le pseudo concept d’égalité des chances, il s’agit d’un même geste de légitimer la division du travail au travers d’une part de la réduction de l’horizon existentiel à l’accession aux « nouvelles classes moyennes intellectuelles », autrement dit à la bourgeoisie et d’autre part, par le rabattement imposteur de l’égalité à un pseudo nivellement des conditions. Lequel permettrait la révélation corollaire de soi-disant capacités ou dispositions naturelles et qui devraient dès lors nous contraindre à accepter la guerre de chacun contre chacun, le régime de la société de marché.

Dans ce but, on voudrait moraliser la hiérarchie en faisant de quelques places accordées aux « minorités » dans les grandes écoles ou dans les ministères ou même au commandement suprême pour dire : « voyez, ce monde est juste, chacun a sa chance ». Même à jouer un instant le jeu idiot de l’égalité des chances, il n’est pas nécessaire de s’étendre ici sur le fait que le renouvellement de l’origine sociale des élites, leur reproduction, ne pourra concerner consubstantiellement qu’une infime minorité puisqu’il s’agit justement des élites.

En réalité, la division sociale du travail que le capitalisme a consolidé et développé, n’est pas injuste parce que certains ne peuvent pas ou peuvent moins accéder que d’autres aux postes de commandement du fait de leur condition sociale et « ont pourtant les capacités de le faire » mais elle est injuste en elle-même parce qu’elle attribue toujours à un grand nombre des postes de subordonnés souvent répétitifs ou précaires ou faisant peu appel à leur intelligence ou tout cela à la fois alors que d’autres occupent des postes de commandement combinant tout ou partie des qualités inverses. Sans rien dire des centaines de millions de crève-la-faim. De toutes les manières, il s’agit toujours pour tous de subir ce régime de la comparaison permanente.

f. L’égalité des chances comme facteur de productivité économique et outil de contrôle politique.

Rendre apparente « la mobilité sociale ». Que les classes n’apparaissent pas étanches les unes par rapport aux autres, (sans qu’elles ne le soient réellement et que chacun reste à la place qu’on lui a attribuée) voilà qui constitue un souci de communication omniprésent pour les gouvernements successifs. A cet égard, la notion de compétence joue une fonction complémentaire de celles des capacités et autre talent. Elle est une facon d’inscrire, sous condition de sa validation institutionnelle, l’apparente mobilité sociale par la possibilité qui est offerte de son acquisition ininterrompue. Ce que l’on nomme aujourd’hui : « validation des compétences acquises ». La compétence n’inclut qu’un principe formel de l’égalité, voisin de celui de l’égalité de tous devant la loi qui signifie simplement qu’en droit, tout le monde peut accéder à des positions de pouvoir. En réalité, ce principe écarte la concrétisation de l’égalité dans les relations socio-professionnelles (ex : participation à égalité de tous aux décisions, aux tâches, etc) et rabat cette dernière du côté de la compétition pour le pouvoir et de la conservation des différences hiérarchiques.

L’apparente possibilité de « mobilité sociale » constitue non seulement un enjeu de légitimation mais aussi un puissant facteur d’individualisation, de fragilisation des solidarités territoriales, classistes ou communautaires. Ne tient-on pas mieux en bride des hommes isolés mûs par le désir de parvenir que des hommes coalisés, se refusant obstinément aux injustices qui sont faites à leurs semblables et à n’importe qui ?

C’est par le moyen d’une politique délibérée, organisée sur la structure de jeu suivante que l’on produit une pression permanente, une peur du déclassement, une incitation sur la population : « d’un côté, les chances de gain ([...] doivent être suffisamment réelles pour stimuler l’espoir), [et] de l’autre, le nombre de compétiteurs ([...] doit être suffisament large pour maintenir la peur de demeurer sans succès). » 

L’égalité des chances, par le biais de formes de discriminations positives apparait non seulement comme un facteur de productivité accrue de part le fait qu’elle intègre des individus qui s’en trouvaient bon gré mal gré exclu mais aussi en raison du fait qu’elle introduit une situation de redevabilité de ceux à qui « on donne une chance » envers ceux qui l’ont accordé (l’entreprise ou la société,...). Dès lors, on attend non seulement de la part de l’individu qui obtient « une chance », une productivité ainsi qu’une obéissance supérieure à celle d’un salarié moyen, c’est-à-dire conforme à la soi-disant dette qu’il a contractée vis-à-vis de son créancier.

Pour ce faire, il faut créer des « minorités », objets de ces politiques et dont on espère qu’elles deviendront de dociles sujets. La hiérarchie se déterminant ainsi par l’obéissance à l’injonction du travail, de l’effort et de la volonté de bien-faire. Où l’on voit que la reconnaissance du talent, « des capacités de chacun » ne se légitiment pas seulement à partir de de la naissance mais aussi à partir de « l’utilité mesurée » et de la maximisation de la performance.

g. L’Egalité contre l’égalité des chances.

Devant la faiblesse in fine de ce type de justification, il faut recourir comme Alain Renaut à une histoire édifiante de l’évènement fondateur où surgit de nouveau l’affirmation égalitaire du peuple : la Révolution française. Il faut comme notre philosophe présenter le régime de la monarchie constitutionnelle, qui ne pouvait que décevoir et être rejeté du peuple insurgé, comme le seul modèle de l’égalité admissible, celui illusoire du mérite et du transfert des privilèges des aristocrates aux bourgeois dont nous héritons, laissant libre cours à l’avidité de l’appropriation capitaliste, et réduire la période de la république de 1793 à l’image de la guillotine.

Contre cette lecture, il faut maintenir le motif vrai de l’égalité en rappelant par exemple que la volonté de récompenser les insurgés de la prise de la Bastille sous la monarchie constitutionnelle a fait l’objet d’une vive polémique de la part des potentiels bénéficiaires eux-mêmes au nom justement de ce que l’affirmation égalitaire, qui était ce au nom de quoi ils avaient mené cette insurrection, s’en trouverait bafouée par des récompenses et des distinctions.

Si la soi-disant « égalité des chances » constitue une pratique de légitimation et de production de la hiérarchie sociale, et donc de disciplinarisation des individus, cela ne doit pas nous conduire à congédier, sous prétexte de cette usurpation, l’égalité en tant que telle, comme certains en sont tentés. Au contraire, l’affirmation égalitaire à proprement parler vide de toute légitimité les titres (âge, naissance, savoir, force...) par lesquels certains exercent le pouvoir sous le prétexte d’une certaine compétence. Si l’égalité produit quelque chose, il s’agit bien plutôt d’émancipation. Elle ne reconnait, selon la belle formule de Jacques Rancière que « la compétence des incompétents », de ceux qui n’avaient pas titre à exercer le pouvoir de la parole et de l’action au moment et au lieu où ils l’exercent effectivement. De ce fait, l’égalité ne peut être concue comme un but à atteindre mais comme une affirmation qui « n’est confiée qu’à la constance de ses propres actes ». Si le mot « démocratie » a un sens, ce n’est pas de s’identifier à des pratiques de gouvernement mais à la présupposition et à la vérification de l’égalité des intelligences, en toutes circonstances, à rebours donc des dispositifs policiers de toutes sortes distribuant les compétences et les incompétences.

Parmi les modalités possibles d’une affirmation égalitaire résolumment distincte de la politique de gestion des populations à l’œuvre autour du mot d’ordre « égalité des chances », on en citera seulement deux pour leur caractère exemplaire.

Tout d’abord, à prendre au mot les défenseurs de « l’égalité des chances », on peut considérer qu’une égalité des chances effective ne peut être rendu que par le modèle de la loterie, du hasard, où chacun a réellement les mêmes chances d’obtenir tel ou tel lot. Or une telle procédure n’est pas seulement l’appanage des loteries nationales et autres P.M.U., elle renvoie à une procédure antique, celle du tirage au sort qui consistait à empêcher ceux qui désiraient le pouvoir de l’obtenir, tout en associant l’ensemble des citoyens à la discussion et à la décision politique sans qu’une fraction en garde la dernière main. En somme, reconnaître la capacité de tous à représenter les décisions prises par tous. Si cette procédure fut mise en place dans la Grèce antique (avec les restrictions que l’on sait) pourquoi ne pas reprendre ce motif et l’étendre à la division du travail ? Laquelle extension opérerait une véritable rotation des tâches et battrait en brèche l’idée de compétences assignables à des individus en particulier.

On pourrait aussi réexaminer la revendication de l’égalité des revenus, dans la mesure où les différences de revenus sont non seulement censés sanctionnées des différences de compétences mais opérent bien plus encore à leur production. Ces différences ne procèdent-elles pas de la cascade d’intérêts qui conspirent au maintien de l’ordre ? Ne se consolent pas-t-on bien souvent de ce qu’au moins on est mieux loti que d’autres ?

Ces deux propositions n’ont pas vocation à constituer des éléments ultimes, terminaux d’une politique d’émancipation ou d’une politique communiste mais peuvent constituer dans bien des endroits des opérateurs de déblocage des distributions « fonctionnelles » des compétences à faire, à dire et à voir.

Pour conclure, l’égalité des chances dans tous ses aspects constitue un facteur de légitimation et de production de la hiérarchie sociale. Mais l’égalité peut-elle s’identifier à la hiérarchie ? L’égalité des chances ne reconnait pas ceux qu’elle prétend aider comme des sujets politiques égaux mais comme des sujets employables, des bêtes de somme plus ou moins « talentueuses ». A contrario de ce que prétendent ses partisans, ce n’est pas le défaut d’égalité des chances qui mut les révoltes de Novembre et du CPE mais la disqualification et l’oubli de l’égalité, organisés de facon méthodique par les pouvoirs successifs depuis l’irruption de mai/juin 68.

Le sabot, outil de liaison locale sur Rennes et ses environs, n°4, mars 2009.


Une autre critique de la notion de compétence :

- Qui sait ? par Muriel Combes

un livre collectif en ligne, sur le savoir et l’enseignement :

- Inévitablement (après l’école), Julie Roux, enseignante, chômeur, philosophe et chauffeur-livreur



Notes :

[2C’est l’histoire d’un plein emploi qui ne reviendra pas et de l’action de son fantôme sur les vies aujourd’hui.
C’est l’histoire d’étranges institutions pour lesquelles ce plein emploi qui n’existe pas vaut à la fois boussole et centre de gravité ; l’histoire d’un Pôle emploi qui désigne les chômeurs comme des « candidats ». Candidats à quoi ? À l’emploi bien sûr.
Et tout ce qui excède ce rôle assigné sera susceptible de sanction, de mépris, d’éviction, de correction, de procès.
C’est l’histoire de la participation obligée à un jeu délétère dont personne ne connait les règles et celle d’un Pôle emploi qui, pour mener ce jeu, inculquer les comportement concurrentiels que chacun devrait reproduire pour décrocher la timballe tant espérée, endosse les rôles nécessaires au déploiement d’un théâtre si quotidien que les tragédies qui s’y jouent passent d’ordinaire inaperçues ; l’histoire d’un juge des comportements des chômeurs qui est aussi l’un des bourreaux de leurs déviances, d’un arbitre des « droits » de ses sujets qui organise dans le même temps l’existence de ses « candidats », de l’un des animateurs d’une disponibilité à l’exploitation que l’on voudrait sans bornes et incarnée en chacun ; l’histoire d’un Pôle emploi, agent instructeur d’un procès sans fin, toujours recommencé, sauf à disparaître, radié, « découragé » - comme ils le disent de ceux qui ne s’inscrivent ou ne pointent plus faute d’y trouver un quelconque intérêt (plus de la moitié des chômeurs, intermittents compris, sont non indemnisés) - ou employé, c’est-à-dire contrôlé par d’autres instances de la société-entreprise. La suite : Outragé, Pôle emploi mord la poussière



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