Quelques grands principes pour ce journal
Un outil de liaison locale
Contre l’idée qu’il faudrait attendre des conditions plus favorables pour des luttes inter ou extra catégorielles, que « les gens » ne seraient « pas assez conscientisés » pour cela, nous partons au contraire de l’idée qu’il importe ici et maintenant de penser ces espaces de liaison et leurs modalités car ceux-ci sont susceptibles d’apporter de par leur tangibilité, outre leur aide matérielle et activiste, un soutien subjectif et idéologique considérable aux luttes en cours ou à venir.
Nous avons pensé que la création d’un journal pouvait être pertinente pour opérer en partie cette liaison. Il s’agit de tenir cette liaison avant tout localement et dans la durée. Cela se justifie de la manière suivante : le capitalisme est une puissance de destruction des solidarités, des formes de communauté, de dissociation. Cette dissociation provient de la contrainte qu’il nous impose de nous associer dans le travail mais dans les conditions édictées par ses exigences de mise en concurrence. Corollairement, il est une puissance de délocalisation par la propension à la fuite qu’il ne cesse d’instiller au travers des impératifs de carrière ou d’emploi ou encore par sa suggestion chimérique qu’il existe des ailleurs meilleurs en ce monde auxquels on accéderait sans en passer par une transformation politique.
Mais le capitalisme est aussi une puissance unifiante qui tente de nous faire reconnaître pour seul monde commun : l’espace de la sécurité, de la gestion des risques, c’est-à-dire de la peur. Contre cette perception du monde, nous devons chercher à montrer l’interdépendance des luttes locales et internationales, le fait que nos situations locales ne se comprennent qu’à partir d’une situation plus globale ou que nous faisons face de différentes manières à un ennemi commun.
L’enquête ouvrière
Parmi ces modalités de liaison, une pratique redéfinie de l’enquête ouvrière nous apparaît indispensable. Cette pratique consiste à tenter de rencontrer ceux des salariés, chômeurs ou jeunes scolarisés qui se trouvent en situation de conflit réel ou potentiel. Au coeur de l’enquête ouvrière se trouve la pratique de l’entretien qui a vocation pour nous, moins à donner une image sociologique de l’état d’esprit des interrogés qu’à favoriser l’expression d’une pensée et d’une parole commune de grévistes jusqu’alors tenue à l’écart de l’espace public ainsi qu’à établir une première communication fondée sur la réciprocité. Autrement dit, il ne s’agit pas d’occuper la position du commentateur propre au journalisme ou à la sociologie mais d’exprimer une solidarité active voire de prendre part aux luttes lorsque cela apparaît possible ou nécessaire (par le biais de caisse de grève, de participation aux piquets de grève, d’actions de soutien...). A notre sens, une enquête ouvrière redéfinie à avoir avec une pratique basiste de la politique : c’est-à-dire conçue à partir de l’idée ancienne que « l’émancipation sera l’oeuvre des travailleurs eux-même ou ne sera pas. »(1)
Un laboratoire d’idées
Nous pensons que pour donner au mouvement une capacité de résistance plus grande voire une capacité d’initiative, il ne suffira pas d’appeler à « la massification » ou à la réorganisation d’appareils politiques et syndicaux. Il faut un renouvellement des idées, choses par lesquels on peut aussi se lier. A cette fin, le journal devra ainsi contenir plusieurs temporalités : l’une tournée vers l’évènement et une autre, parfois requise pour l’analyse, plus dégagée de l’actuel.
Seulement, il s’agit de penser les manières dont la constitution de ces idées peut ne pas être séparée des processus de sa diffusion. En d’autres termes que le lieu de fabrication des idées, appelons-le laboratoire, ne soit pas extérieur au mouvement lui-même et à ses acteurs, sans que le journal ne devienne pour cela un simple réceptacle de diverses expressions de « la gauche de la gauche » ou le lieu d’exposition dogmatique d’une position déjà constituée.
Par là, nous cherchons à oeuvrer au décloisonnement entre le mouvement social (réduit à une position défensive) et la politique (réduite par beaucoup à la consultation électorale) ou entre la parole militante (souvent résumable à quelques slogans) et l’intellectualité ou l’université (où la dernière tendance à gauche consiste ou bien à se réfugier dans l’autonomie inquestionnée de sa recherche ou bien à adopter une position de surplomb, d’extériorité).
Pour mener à bien ces objectifs, il nous a semblé opportun d’abriter un espace d’écriture à tous et à ceux en particulier qui n’ont pas forcément titre à le faire (ouvriers, chômeurs, jeunes). Dans ce but, on a cherché à effectuer un travail d’édition pour chacun des textes proposés pour le Sabot consistant en des lectures collectives de ceux-ci et en la communication aux auteurs d’éventuelles remarques ou corrections.
1) In Adresse de la première internationale ouvrière, rédigée par Karl Marx, 1864.
Contact / contributions : le-sabot[at]no-log.org
Déjà 4 numéros parus, et maintenant un blog sur lequel les (re)trouver dans leur intégralité.
N°1, décembre 2007
Blocage du dépôt des bus de Rennes ; Nous sommes les ressources humaines ; Des nouvelles du Phenix. Entretien sur le site EDF à Rennes... ; Entrer en résistance ; La démocratie est un processus d’émancipation ; De la malhonnêteté intellectuelle en milieu universitaire ; A tous les gagnants de la guerre économiques
N°2, mai 2008
Arguments pour le sabot ; Grève cheminote : entretien, analyse ; Réflexion sur le militantisme ; Lettre d’Ivan et Bruno ; Paysans et lutte de classes ; Des perspectives de lutte pour les chômeurs ; Amitié et camaraderie
N°3, décembre 2008
Que faire de la crise ? ; Rencontre chômeurs-conseillers ANPE ; Où en est le collectif de soutien aux sans-papiers ? ; Réflexions sur le sabotage ; Lien social ou liaison politique ? Dialogue avec Gaël Roblin ;Retour sur les maos
N°4, mars 2009
Intervention communiste par temps de crise ; Cantine populaire à Rennes ; A propos des luttes paysannes ; Entretien avec un membre de la Confédération Paysanne ; Grève à Rennes 2 ; L’égalité des chances contre l’égalité ; Le couvent des Jacobins ; Présentation du Mouvement des Chômeurs et Précaires en Lutte de Rennes ; Entretien avec Jacques Rancière