Nous poursuivons la publication d’articles du journal de chômeurs et précaires Cash (1985-1989).
Les chômeurs c’est la classe !
Chaque année des dizaines de milliers d’emploi disparaissent. Plus que jamais, depuis que la gauche est au pouvoir, la « bataille de l’emploi » est une illusion perdue. La réduction du temps de travail, c’est très bien pour ceux qui en ont un, pas pour nous. Les syndicats réclament des emplois (une fois salariés, pourquoi pas l’adhésion ?) qui ne peuvent exister. Et ils négocient à la baisse notre situation. Une vague de froid et la droite invente les nouveaux pauvres. Comme pour faire oublier que nous l’étions déjà sous son règne.
Et tout le monde de parler de nous, de parler pour nous.
Nous en avons assez d’être plaints. Nous sommes nombreux [1]. Et nous voulons être payés ! la richesse sociale s’accroît sous nos yeux et grâce à nous, toujours disponibles, quant il le faut, de petits boulots en missions d’intérim et travail au noir. Nous sommes producteurs ! E t pourtant nous sommes de moins en moins assurés d’avoir les moyens de vivre.
La seule solution, parler et agir pour notre compte.
Le fric que l’État distribue déjà (sinon bonjour le bordel !) et qu’il saura trouver, nous le voulons tous. Sans discriminations, sans contrôle en échange. Pas en bons de rationnement ou en baguettes de pain, de l’argent, comme tout le monde !
Les emplois disponibles ? Flics [2], matons, vigiles, armement et autres autres schtroumpferies, non merci ! Ces travaux comme d’autres sont parasites, nuisibles et même suicidaires. Nous ne voulons pas les prendre et encore moins les partager.
Nous avons d’autres choses à faire. De ces activités utiles, pour nous, pour tous, que l’État, les patrons ne songent pas à rétribuer. Autre chose que des TUC de misère, pour tous ceux qui tentent de survivre hors des rapports salaraiux.
Autre chose à vivre que la prison comme menace permanente ! Une galère où croupissent et crèvent 110 000 d’entre nous chaque année. Autrement que coincés en famille ou mal logés face à des apparts hors de prix qui nous sont interdits.
Plus que ce revenu pour chacun, nous voulons aussi, et il faudra bien le donner du fric pour nos activités collectives : crèches sauvages, musique, vidéo, etc. ... ET toutes ces choses qui restent à imaginer, à concrètriser. Il nous faut nos propres lieux pour y inventer une vie que le travail est loin de permettre [3]. Notre socialisation particulière. Ces activités culturelle, sociales, productives, plus utiles que bien des emplois actuels, l’État doit en payer le prix
Revenu garanti : 2/3 du SMIC minimum pour tous
Pour une maison des précaires à Paris
Association des précaires
rue des 5 diamants, Paris (13e)
Tract diffusé à la manifestation des chômeurs du 30 mai 1985.
On trouvera également sur internet du même journal CASH :
• Chômer payé ! CASH, mai 1985, mai 1985.
• Conseil gratuit, CASH n°1, décembre 1985.
• Les Bourses du travail, berceau de l’identité ouvrière - CASH, journal des chômeurs et des précaires, 1986, n°2, mars 1986.
• L’idéologie est la première arme des exploiteurs, n°3, juin 1986.
• Etudiants si vous saviez, n°5, janvier 1987.
Et ici, les sommaires de la plupart des journaux ainsi que les pdf.
Nous publierons prochainement d’autres documents sur les tentatives d’organisation des chômeurs et précaires des années 80.
Archives de l’université ouverte
On se propose de documenter en publier ce texte, de documenter certains écarts abordés lors de l’Université Ouverte [4], ici, des contre-conduites, un refus d’être gouverné par un Etat social travailliste.
Des éléments de contexte
L’association des précaires de Paris éditait le journal CASH, où l’on trouve, en 1988, ce qui semble être la première occurrence du néologisme précariat, devenu depuis d’usage relativement courant dans les milieux académiques et syndicaux. Contrairement à ce que fait supposer le « 2/3 du SMIC » qui précède, CASH a par la suite défendu l’exigence d’un revenu garanti d’un montant au moins égal au SMIC mensuel. Un tel plancher s’appliquerait à qui est en âge de travailler c’est à dire dès 16 ans, scolarisés compris [5]. C’est sur cette base politique que les mouvementistes qui publient le journal réussissent à fédérer un mouvement hétérogène, en une coordination d’un grand nombre d’associations et collectifs locaux, qu’ils soient ou non rattachés aux organisation nationales existantes (Syndicat des chômeurs, Fédération nationale des chômeurs). Si certains « réalistes » se refusent à réclamer un revenu au SMIC, le mot d’ordre permet d’ouvrir un débat sur la définitions du travail productif (de valeur) et pour l’égalité (des salaires). Cette prise en compte des 16 à 18 ans n’avait rien de naturel et elle devra sans cesse être rappelée à des mouvements qui tendaient à négliger « l’entrée dans la vie active », à accepter tacitement de laisser aux « jeunes » la précarisation. Ce « gommage biographique » sépare chacun de sa propre expérience et renforce la demande d’intégration dans et par l’emploi.
C’était peu après l’accession de la gauche au gouvernement. Près d’une décennie après le « Plan Barre » de 1976 qui avait institué les stages du mêmes nom, prototypes d’une « insertion » contrainte et sous payée dont d’innombrables variantes seront ensuite mises en oeuvre à une échelle de masse et par delà « les jeunes » eux-mêmes (TUC, SIVP, CES, CAE, CUI, etc.). Depuis 12 ans, « la crise » était l’occasion d’une restructuration de longue durée de la production (fermetures de mines, ports, usines sidérurgiques, développement de l’intérim et multiplication des CDD). Les sociologues finissaient par débattre de « segmentation du marché du travail ».
Ces mouvements de chômeurs et précaires se regroupaient autour de la revendication d’un revenu garanti, cherchant à imposer la création de « supports sociaux » (l’expression est du sociologue Robert Castel [6]), à disposer d’une liberté matérielle qui permette de résister à l’exploitation et au commandement capitalistes (emploi/entreprise/salaire), et d’expérimenter et de développer des activités nécessaires.
Jeunes marginalisés et exploités. Chômeurs stigmatisés et appelés à disparaître
En octobre 1988, le gouvernement Rocard fait adopter par une assemblée nationale unanime une loi instaurant le revenu minimum d’insertion (R.M.I). Cette réponse étatique à une crise de légitimité du pouvoir vise officiellement à « refaire société », là où l« exclusion » aurait défait les liens. De fait, depuis 1982, sous la gauche déjà, la durée de l’allocation chômage dépend du temps d’emploi antérieur alors que les CDD forment les 3/4 des embauche et que leur durée ne permet souvent pas d’ouvrir des droits à allocation. Près d’un chômeur sur deux n’est donc pas indemnisé. On parle de « nouveaux pauvres ». Devenue visible, la pauvreté scandalise tandis que dans le même temps, de composites mobilisations de chômeurs et de précaires revendiquent un revenu garanti pour tous.
Le droit à un faible revenu concédé par l’état est pour sa part conçu comme transitoire. Et la gauche d’affirmer de nouveau que la croissance et l’emploi résorberont le chômage... Minimal, mais aussi productiviste, travailliste et xénophobe, le dispositif est strictement contingenté, déterminant un vaste réservoir de population parmi laquelle généraliser l’emploi précaire.
• Sous couvert de dignité, et contrairement aux lois européennes similaires, cette loi ne s’applique pas aux moins de 25 ans. Des centaines de milliers de jeunes chômeurs dépourvus d’allocations, et, plus largement, tous les entrants dans le salariat en sont écartés.
• Les étudiants sont également (réputés) exclus du dispositif.
• Ce revenu n’est pas individuel mais familial. L’ouverture de droit et son montant dépendent tous deux du revenu du ménage. Ce qui contraint nombre de femmes à l’emploi à temps partiel et au SMIC horaire.
• Seuls les étrangers ayant déjà séjourné deux ans légalement dans le pays y ont accès, le R.M.I relève d’une préférence nationale qui ne dit pas son nom.
Néanmoins, grâce à la dramatisation de l’enjeu qui s’est opéré au fil des années 80, la réforme autorise sur une base déclarative le versement d’une « avance sur droits supposés » de la moitié du montant théorique avant même que ne soit bouclé l’épais dossier administratif qui conditionne l’ouverture de droit. De plus, le « contrat d’insertion » négociable que la loi comporte n’est guère coercitif. Il peut acter les besoins et attente réelles des ayants droits, sans que s’impose nécessairement la centralité de l’emploi. Résultat, la population concernée s’avère bien plus importante que ce que les experts avaient prévu, et l’insertion passe au second plan, le manque de contrat signés devenant pour des décennies le principal témoin de ce que le mécanisme destiné à précariser aura toutefois eté pour partie détourné en raison de l’afflux.
CASH cessera de paraître peu après prolongée la victoire à la Pyrrhus qu’a représenté l’adoption du RMI en octobre 1988. Ce n’est qu’en 1994, lors des marches de chômeurs et de précaires lancées suite à la création d’AC !, qu’une nouvelle mobilisation collective significative aura lieu.
À gauche poubelle, précaires rebelles - Cargo, mai 1998 (1998)
Intermittence et précarité, conférence de presse avec Jean-Luc Godard, Bunker du festival de Cannes (2004)
Pour ne pas se laisser faire :
• Intermittence du spectacle, permanence CAP, Conséquences de l’Application du Protocole Unedic : cap cip-idf.org
• Permanence Précarité : permanenceprecarite cip-idf.org
Lundi de 15h à 18h, à la coordination des intermittents et précaires, commune libre d’aligre, Paris 12eme, Tel 01 40 34 59 74