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Intermittence, discontinuité, travail spasmodique, Denis Guedj

Publié, le dimanche 23 janvier 2011 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : mardi 4 mars 2014


« Un funambule qui pendant une année entière n’a pas passé une seule journée sur un fil, est-ce un intermittent de l’équilibre ou un intérimaire de la gravitation ? »

Chronique mathématicienne.

Intermittents, travailleurs discontinus

Qu’est-ce que je lis ? Que la Société du spectacle ne veut plus payer ses intermittents [1] ? Là, ils attigent ! Les seuls qui ouvertement font du spectacle, on les jette à la trappe ! Logique ; le spectacle, comme dit Debord, étant partout, pourquoi payer des professionnels pour en faire ?

Savez-vous ce que le CNPF exige ? [2] Que les intermittents deviennent des intérimaires ! Pour être intermittent, il faut avoir travaillé 507 heures durant les douze derniers mois ; pour être intérimaires, 676 heures durant les huit derniers mois. Péréquation : un intermittent devenant intérimaire devrait effectuer 1 014 heures au lieu de 507. Le double exactement ! Définissons ! Un intermittent est quelqu’un qui ne travaille pas tout le temps. Mais qui doit avoir suffisamment travaillé pour avoir droit de ne pas travailler le reste du temps. Et un chômeur intermittent ? C’est quelqu’un qui ne travaille pas tout le temps. Mais qui doit avoir suffisamment pas « pas travaillé » pour avoir le droit de travailler le reste du temps.

Continu, discontinu, l’image que nous avons de la continuité est celle d’un tracé accompli sans lever le crayon : un tracé ininterrompu.

Quand le tracé s’interrompt, il est bien difficile de savoir s’il s’agit d’une discontinuité ou bien d’un arrêt. C’est comme quand on lance une pierre, des fois, elle ne retombe pas, alors c’est un oiseau.

Si l’on parle de discontinuité, et pas d’arrêt, c’est qu’on a idée que ça va reprendre. Mais voilà, on ne sait pas où ni quand. C’est cela un saut.

Une discontinuité n’est pas une interruption, encore moins un arrêt, elle est une continuation, une poursuite sur un mode imprévisible. C’est ce que s’épuisent à répéter les gens du spectacle, un intermittent continue de travailler en dehors des heures rétribuées. La nature de son travail comporte des sauts brusques, situés au passage d’une période où il joue à une autre où il ne joue pas. Un intermittent est un travailleur discontinu.

Le saut, un moment de liberté. En rompant la continuité, une discontinuité introduit de la liberté dans le déroulement d’un phénomène. À l’endroit où une discontinuité se produit, elle affranchit le phénomène de son passé : ce qui va se passer juste après ne peut être déduit de ce qui s’est passé juste avant. N’est-ce pas cela que veut signifier le slogan « du passé faisons table rase ! ». Non pas oublions le passé, mais le passé ne peut servir à produire l’avenir.

Continuité et voisinage. S’il est une notion qui a occupé les mathématiciens, c’est bien celle-ci. Dire qu’une fonction f est continue au point a, c’est dire que sa valeur en a, f (a), est extrêmement voisine de sa valeur en x, f(x), pourvu que cet x soit extrêmement voisin de a. C’est signifier que tous les voisins à l’arrivée proviennent de voisins au départ. Et les mathématiciens de formaliser la notion « d’extrêmement voisin ».

Pendant des siècles, si ce n’était pas continu, ce n’était pas une fonction. En fait, une bonne fonction était continue et dérivable. Formidable outil qui permettait de représenter les phénomènes déterministes de la Physique. À. savoir, ce qui se passe à chaque instant permet de déduire ce qui va se passer immédiatement après. Des fonctions cool-Raoul.

Une discontinuité à donner le vertige. En 1877, pour les besoins de ses démonstrations, Georg Cantor construit une fonction vraiment différente des fonctions habituelles. L’ayant étudiée, voici ce que lui répond son collègue Dedekind : « Vous êtes obligé d’introduire dans la correspondance (lire fonction) une discontinuité à donner le vertige, qui réduit tout en atomes, telles que toute partie continûment connexe (1) si petite quelle soit de l’un des domaines a une image complètement déchirée. »

Des fonctions discontinues, non pas en quelques endroits, mais partout. Des fonctions partout discontinues ! Qui vont littéralement faire exploser les ensembles de départ ; tous les points infiniment proches atrocement dispersés, toutes les proximités de départ, pulvérisées. Plus rien à l’arrivée de ce qui constituait les solidarités d’origine. Ça vous rappelle quelque chose ?

Interim, adverbe latin signifiant « pendant ce temps ».

Oui, pendant ce temps, qu’est-ce qui se passe ? Les intérimaires intériment, les intermittents intermittent. Nous allons vers une société au travail spasmodique, peuplée de travailleurs rémittents. Un funambule qui pendant une année entière n’a pas passé une seule journée sur un fil, est-ce un intermittent de l’équilibre ou un intérimaire de la gravitation ?

(1) Morceaux continus d’un seul tenant

Denis Guedj, 17 décembre 1996, Libération

En 1996 donc, lors d’une des « négociations » de l’assurance-chômage qui fut parmi les plus conflictuelles. Une cinquantaine d’occupations d’Assedic avait précédé la forte mobilisation des chômeurs et précaires intervenue lors de l’hiver 1997/98 [3]. Des questions qui nous occupent encore étaient déjà présentes, posées par les organisations d’employeurs et l’État comme parmi les premiers concernés [4].

Depuis, la refondation « sociale » patronale [5] lancée en 2000 est intervenue. Celle-ci s’est appliquer d’abord à un chômage que les organisations représentatives de salariés ne savent voir autrement que comme un manque, incapables d’admettre que le chômage n’est pas l’envers du travail mais l’un de ses moments. De cet angle mort de la vision syndicale, on connaît les effets (une cogestion favorable à l’exploitation sans frein des travailleurs précaires, la stigmatisation de chômeurs rendus responsables de leur situation et appelés à « retrouver la dignité » par l’emploi, à travailler plus [6]...). Que les syndicats « défendent » avant tout les salariés en poste n’explique pas à soi seul leur refus de prendre en compte les précaires. Cette non prise en compte obstinée, après 35 ans de précarisation, résulte d’un verrou : le dogme de la centralisé de l’emploi interdit de comprendre le travail réel, le travaillisme, l’idéologie du travail [7] empêche de concevoir la défense des travailleurs de façon un tant soit peu cohérente.

On peut ajouter à la lecture de la tribune qui précède celle de Un point de vue socio-historique sur les combats des artistes du spectacle depuis 1919, de Mathieu Grégoire [8] , celui-ci interviendra de nouveau à l’université ouverte de la coordination des intermittents et précaires [9], prolongeant le cycle consacré au gouvernement des individus [10]. D’autres séances sont en cours de préparation sur la thématique de la dette comme modalité de contrôle [11].

Ultime rappel : les coordinations nées des mobilisations d’intermittents et de précaires ont pour leur part élaboré un nouveau modèle d’indemnisation du chômage [12].


Après bien des soucis avec une Ville de Paris qui s’était pourtant engagée à nous reloger, la coordination a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement d’une astreinte. Nous sommes actuellement hébergés par la commune libre d’Aligre.

Pour partager infos et expériences, ne pas se laisser faire, agir collectivement,
passez aux permanences, les lundis de 15 à 18h au Café de la Commune Libre d’Aligre, 3 rue d’Aligre, Paris 12ème, Tel : 01 40 34 59 74

Beaucoup d’argent parce que je suis nombreux





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