Depuis plusieurs semaines, de résistances à la police en mouvements d’occupations, les Harragas [ceux qui brulent leurs papiers, les frontières, ndr] tunisiens luttent pour les papiers, la liberté, un lieu pour vivre et s’organiser.
Après la chute du gouvernement tunisien, les opérations de contrôles aux frontières effectuées par la Tunisie en accord avec l’Europe, ont diminué, voire se sont interrompues. Que ce soit pour fuir les persécutions politiques, pour échapper à la misère, pour chercher la liberté et une vie meilleure, ou tout simplement pour voyager, des milliers de personnes tentent alors l’aventure de la traversée de la Méditerranée.
La plupart des gens, qui viennent de Tunisie ou de Libye, débarquent à Lampedusa, une minuscule île italienne, proche des côtes africaines. Les migrants sont déplacés, puis enfermés dans des centres de rétention, sur l’île ou sur le continent italien. Beaucoup sont expulsés. Treize centres de rétention temporaires sont ouverts pour gérer l’arrivée massive des migrants. Pourtant, des centaines de personnes réussissent à s’évader et des révoltes éclatent. Suite à quoi le gouvernement italien délivre au compte-goutte des permis de séjour temporaires.
Beaucoup de migrants tentent alors leurs passages en France via Vintimille. Des solidarités se mettent en place pour aider à ce passage. Malgré tous les contrôles mis en place depuis fin février par le gouvernement français, plusieurs milliers de Tunisiens réussissent à gagner la France, et ce parfois au prix de refoulements et d’enfermements temporaires dans des centres de rétention français. À partir du mois de mars, arrivent à Paris plusieurs centaines de Tunisiens, appelés Harragas, nom donné en Algérie et en Tunisie à ceux qui traversent la Méditerranée pour gagner l’Europe sans visa. Beaucoup, parmi ceux qui n’ont pas de point de chute ou qui ne veulent pas déranger famille et amis, s’installent dans des parcs et des squares, notamment à Belleville et à la Porte de la Villette dans le XIXe arrondissement.
Fin avril, des opérations policières ont lieu dans le nord-est de Paris, des centaines de policiers patrouillent à la recherche des sans-papiers récemment arrivés, des rafles ont lieu dans les squares et même lors de distributions caritatives de nourriture.
Le 28 avril, un énième dispositif de rafle se met en place à Stalingrad. Alors qu’un groupe de personnes tente de l’empêcher, les Harragas réfugiés dans le square de la Villette improvisent une manifestation sur le boulevard. Suite à des affrontements avec la police, une partie des Harragas trouve refuge à la CIP-IDF (Coordination des intermittents et précaires), quai de Charente (19°). Ils y resteront quelques jours, car la CIP-IDF est expulsée le 5 mai, la Mairie de Paris souhaitant récupérer les lieux pour un projet immobilier sur le quartier.
Le 1er mai, lors de la manifestation, des Harragas réfugiés à la CIP-IDF et ceux restés dans le square décident de former un cortège et prennent la tête de la manif. Le soir même, ils décident avec des personnes solidaires de leur lutte d’occuper un bâtiment de la Mairie de Paris, 51 rue Simon Bolivar (19°). Une banderole « Ni police, ni charité, un lieu pour s’organiser ! » est apposée sur la façade. Des rassemblements de soutien ont lieu devant le bâtiment pendant plusieurs jours.
Parallèlement, des négociations ont lieu avec la Mairie de Paris, celle-ci propose 120 places dans un foyer d’hébergement d’urgence. Beaucoup refusent la proposition de la Mairie car le nombre de places proposées est inférieur au nombre d’occupants et les conditions de vie (horaires stricts, surveillance, promiscuité) ne sont pas acceptables. Seule une vingtaine de personnes rejoindra le foyer d’hébergement, ils compareront le foyer à une prison.
Le 4 mai, la Mairie socialiste de Paris, celle-là même qui proclame à tout va soutenir les sans-papiers Tunisiens récemment arrivés, demande l’expulsion du bâtiment, à renfort de centaines de policiers et d’un hélicoptère, ce qui entraîne 120 gardes à vue et une dizaine d’expulsions vers l’Italie. Les autres Harragas ressortent avec un APRF (Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière). L’une des personnes solidaires arrêtées, qui déclare s’appeler M. Lampedusa, passera en procès le 17 juin pour refus de signalétique (empreintes et photos). Le 6 mai, plus d’une centaine de personnes se rassemble au métro Couronnes aux cris de « Liberté ! Papiers ! ».
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Le 7 mai, des Harragas et soutiens décident d’occuper un gymnase de la Mairie de Paris, rue de la fontaine au roi (11°). Les jours suivants, plusieurs manifestations et rassemblements y ont eu lieu malgré les pressions policières.
Le 11 mai, le squat de la rue Bourdon, où dormaient plusieurs Harragas depuis l’expulsion de Bolivar, est expulsé.
Liberté pour tous, avec ou sans papiers
Le 13 mai, une manifestation partant du gymnase occupé, parcourt le quartier de Belleville avant de se rendre sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Alors que le rassemblement est encerclé par la police, une délégation part négocier avec la Mairie de Paris, aucune proposition concrète n’en sortira et le rassemblement repartira en cortège vers le gymnase.
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Le 16 mai, en parallèle à l’occupation du gymnase, plusieurs dizaines de Harragas décident avec des personnes solidaires d’occuper un foyer appartenant à l’AFTAM, un gestionnaire de foyers pour immigrés et personnes en difficulté, dont le président d’honneur et fondateur n’est autre que Stéphane Hessel, auteur du petit livre « Indignez-vous ! ».
Le 21 mai, une manifestation est organisée à Porte de la Villette. Le cortège est arrêté par un important dispositif policier à 100 mètres du départ. Soixante-dix personnes sont arrêtées puis contrôlées au commissariat, d’où elles sortiront en fin d’après-midi. Plusieurs personnes seront blessées. Pendant ce temps, une vingtaine de personnes s’invitent à la fête de la Rose, organisée par la Mairie PS du 11ème arrondissement. L’expulsion du 51 rue Bolivar, ordonnée par la Mairie de Paris, est remise sur le tapis.
Le 22 mai, une trentaine de personnes perturbe un événement commercial pour la relance du tourisme en Tunisie devant l’Hôtel de Ville, « le Village du Jasmin », organisé en partenariat avec la Mairie de Paris. La veille au matin, une distribution de tracts y avait déjà été organisée et Delanoë y avait été apostrophé.
Les propositions d’hébergement faites par la mairie lors des occupations du bâtiment Simon Bolivar ou du gymnase se sont révélées largement insuffisantes en nombre et ne répondent pas aux revendications des Harragas. Ils réclament des lieux où vivre collectivement et s’organiser de manière autonome. La mairie inonde cependant les médias de ses « bonnes intentions » (déblocage de subventions à des associations humanitaires, ouverture de places d’hébergement). Selon elle, les Harragas sont manipulés par leurs soutiens, ce qui est une manière de ne pas les considérer comme les acteurs de leur lutte et ce qui est un prétexte pour se retirer des négociations.
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Le 26 mai, des policiers assiègent le foyer de la rue Bichat suite à une plainte de l’AFTAM. En quelques heures, une centaine de personnes se rassemble devant le foyer. Repoussées par la police, elles improvisent une manifestation dans le quartier.
Le 27 mai au matin, le foyer se fait expulser et 17 personnes sont placées en garde à vue. Les personnes avec papiers sortent avec des convocations pour un procès les 1er et 8 juillet, pour refus de signalétique et pour l’une d’entre elles, dégradations. Huit Harragas sont enfermés au centre de rétention de Vincennes.
Le même jour, le siège de l’AFTAM est occupé par une trentaine de personnes exigeant le retrait de la plainte pour « occupation illégale et dégradations ». La plainte est finalement retirée.
Le 28 mai, des Harragas tunisiens ainsi que des personnes solidaires forment un cortège dans la manifestation contre le racisme. Une banderole « Ni police, ni charité, un lieu pour s’organiser » rassemblera plus d’une centaine de personnes.
Le soir même, une trentaine de personnes manifeste devant le centre de rétention de Vincennes où sont enfermés, notamment, les Harragas de la rue Bichat. À l’extérieur et à l’intérieur du centre, résonnent les cris de « Liberté ! ».
Les jours qui suivent leur enfermement, des feux d’artifice de solidarité ont lieu devant le centre. Tous les Harragas de la rue Bichat seront finalement libérés avec des APRF.
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Le 31 mai, une trentaine de personnes du gymnase de la Fontaine au Roi commence l’occupation d’un bâtiment rue Botzaris appartenant à l’Etat tunisien et où, pendant la dictature, siégeait la police de Ben Ali à Paris. Parallèlement, la mairie met en place un système de liste pour l’entrée des Harragas dans le gymnase, des cartes nominatives sont distribuées à une centaine d’entre eux, et des vigiles en contrôlent l’accès, qui devient interdit à tous ceux ne disposant pas de cette carte. Le gymnase est désormais fermé de 10h à 18h, ses occupants doivent également rentrer avant 22h.
Le 7 juin, alors qu’environ 70 personnes occupent le bâtiment de Botzaris, la préfecture, appuyée par les autorités tunisiennes, expulse ses habitants du lieu. Après un contrôle d’identité, les Harragas, sortis du commissariat, réinvestissent de suite le bâtiment.
Le 11 juin, une trentaine de personnes perturbent le salon de l’immobilier tunisien porte Champerret. Derrière une banderole « Ni business, ni frontière » des slogans ont été gueulés, des tracts distribués et quelques boules puantes éclatées. Dès la veille des tags sont apparus dans le quartier : « Brûlons les frontières », « liberté pour tous avec ou sans papiers »...
Le 16 juin, l’immeuble occupé de Botzaris est à nouveau expulsé par la police. Le soir même, les Harragas qui s’étaient retrouvés dans le proche parc des Buttes-Chaumont se font chasser, tabasser et arrêter par la police. Le lendemain elle évacue le square de la porte de la Villette.
Le 17 juin, un rassemblement d’une centaine de personnes à lieu au métro Couronnes. Une banderole est accrochée (« des papiers pour tous ou plus de papiers du tout ») et des slogans sont criés. Pendant ce temps, des CRS gardent la porte du gymnase de la Fontaine au roi.
Le 22 juin, chasse à l’homme organisée par les flics dans le parc des Buttes-Chaumont, une vingtaine de Harragas sont arrêtés.
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Les 21 et 22 juin, au moins deux sans-papiers parviennent à s’échapper de la prison pour étrangers de Vincennes.
Le 20, des feux d’artifices ont été tirés devant le centre de rétention.
La lutte continue. Avec ou sans papiers, liberté pour tous !
Rassemblement au métro Couronnes, les vendredis à 18h
Venons nombreux pour exprimer notre solidarité et lutter ensemble pour des papiers pour tous
30 juin :
Rassemblement contre l’inauguration d’une place Mohamed Bouazizi
Mohamed Bouazizi : une récupération politicienne et sécuritaire
5 juillet : De nombreux CRS sont positionnés rue de la fontaine au roi, la Ville interdit à la centaine de Tunisiens qui y dormaient de le faire (voir Blocus à Belleville).
11 juillet : Après avoir envoyé trois fois la police contre les migrants tunisiens -ce qui a entraîné de nombreuses arrestations, des mises en centre de rétention et des expulsions- la Ville de Paris cherche à faire des économies sur les nuitées d’hôtel et les places en foyer, Paris ajoute 700€ aux 300€ de prime au retour nationale (voir Le Parisien). La Ville rêve depuis longtemps de soutenir matériellement par une incitation positive la tendance à l’exil vers d’autres villes ou les campagnes des très nombreux pauvres et autres indésirables qui vivent encore dans cette ville entreprise conçue et organisée pour être une ville de riches. Une « allocation exceptionnelle de la Ville de Paris » plus élevée et strictement fléchée serait idéale. Mais ça ferait désordre vis-à-vis des autres collectivités territoriales... Là, c’était l’occasion, à une petite échelle (l’immigration et le chômage sont bien des laboratoires où s’anticipent les politiques, voir Critique(s) des années Mitterrand). Et puis est-ce que l’appel répété à la police, si il devait se répéter encore, ne finirait pas par poser problème : à la veille d’une élection gagnable, n’est-il pas temps que la gauche « exprime sa différence ». Certains de ses hiérarques redécouvrent un « libéralisme culturel » jusqu’alors bien oublié vu l’énergie investie dans l’amour éperdu du marché et de la sécurité et ils soutiennent le mariage homosexuel, évoquent la dépénalisation de drogues. On nous joue l’empire buziness as usual et movida. Mais pas pour tous. Pour d’aucuns, innombrables et invisibles, ça reste brutal : pour pas se faire écraser, faut juste pas être hors des clous.
Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère - L’Interluttants n°29, hiver 2008/2009
Pour ne pas se laisser faire, agir collectivement :
Permanence CAP d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, lundi de 15h à 17h30. Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap cip-idf.org
Permanences précarité, lundi de 15h à 17h30. Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite cip-idf.org
À la CIP, Café de la Commune Libre d’Aligre : 3 rue d’Aligre - 75012 - Paris.
Tél : 01 40 34 59 74