Les petits paysans ont tendance à disparaître...Petit à petit les petits paysans sont éjectés du paysage, c’est inévitable. On les aimait plutôt bien. Sont pas tous des croquants, des radins, des dépassés, trépassés. On les aime plutôt bien, les petits paysans. En bonne logique, c’est d’eux dont on a besoin. En bonne logique, lorsque tout brûle. Ils devraient s’occuper du jardin territoire, garder les champs, les haies, retarder les crues...L’agriculture de qualité n’aura pas prévu de les garder, pas vraiment. La clé est confiée aux plus gros. C’est ce qu’ils disent, les petits paysans. On n’a jamais vu un céréalier s’occuper des haies, jamais vu par exemple un pétrolier nettoyer l’eau de mer. C’est un boulot pour après. Quand on aura formé les techniciens de paysage, les paysans pourront sortir du paysage, on s’évitera la lourdeur et les répétitions. N’empêche, moi je vous le dis, les paysans ont tendance à disparaître.
Les intermittents du spectacle ? Je ne parlerai pas des intermittents. On parle beaucoup des intermittents. Personne ne sait plus qui sont les intermittents. Ils parlent trop. On ne voit plus que de la colère d’intermittent. C’est tout ce qu’on voit, tout ce qu’on peut comprendre, c’est qu’ils ont du s’emmêler là-haut. Quelqu’un m’a dit que leur réforme ne tenait pas debout. Mais je ne parlerai pas des intermittents puisque aussi bien la réforme est passée. Il n’y a plus à défendre ceux qui trouvaient là une manière de se jeter dans l’inconnu, ceux qui n’ont pas forcément un papa dans le métier, trois points de chute en capitale ou des relations puis du pognon pour bien s’apprendre. Il n’y a plus à défendre les malchanceux, par exemple, qui plongeaient huit mois, dix mois raides et sans appel. Il n’y a plus à défendre les jeunes troupes et compagnie. Ni les danseurs mal déclarés, les musiques à cachetons et les répétitions volées. Il n’y aura bientôt plus à défendre la solidarité et son cortège d’abus tranquilles, on a congédié l’une pour régulariser l’autre. L’indemnité est nettement plus classe, et plus rare. L’emploi flexible, dans l’audio visuel, ici, ailleurs, l’emploi illicite et flexible n’est plus frauduleux, il sera contrôlé. Il est maintenu. L’intermittence est maintenue.
Et puis tout le monde n’est pas général, directeur ou président. On n’a jamais construit la Scala en pleine brousse ni Beaubourg dans les cités. Et si on a pu le faire, c’était une autre époque, d’autres ministres. Les ressources aujourd’hui sont plus concentrées et chacun trouve des moyens de diffusion à porté de caddie.
Est-il encore vraiment question de diffuser de la culture vivante ?
Le grand mystère de la musique...
Inépuisable source de ravissement, son mystère.
Car, ça n’est pas juste qu’une occupation du temps libre, dites ?
Pourquoi si fragiles ?
On est reconnaissant aux musiciens de cette fuite hors du temps.
Eux qui ne travaillent que sur des temps, pour nous qui nous évanouissons de la durée, rien qu’un temps.
Ne se suffisent-ils pas du bonheur qu’ils nous donnent pour vivre ?
Est-ce vrai qu’ils font ce que chacun fait, se lever chaque matin pour travailler ? Ca les regarde. On ne peut pas le savoir.
C’est le grand mystère de la musique...
C’est la rentrée, demain je retrouverai la scène du théâtre. S’il fallait là comme ici se dispenser des intermittents cela ferait un vide chiffrable. La musique aurait terriblement froid, et Berlioz, lui, n’aurait plus que la peau et même pas les os.
Jacques Bonnafé