« Ce que nous refusons, c’est votre enfer »
Du jour au lendemain, sentir que notre petit monde s’écroule, et avec lui toutes nos habitudes. Et avec lui, encore, toute une vie passée qui se transforme en souvenir, où l’on se surprend à vouloir retrouver des photos dont l’on se fichait pas mal auparavant. Et avec lui, enfin, la peur d’être dispersés, la peur d’une nouvelle galère, la peur de devoir tout reprendre à zéro. Notre maison s’est faite attaquer, à plusieurs reprises. Devant la menace, nous avons dû évacuer nos affaires. Et nous nous sommes sentis trop en danger pour y retourner. À présent, des amis, des voisins, des connaissances nouvelles ou anciennes se préoccupent de la maison, la sécurisent. Les attaques peuvent recommencer : le soi-disant simple propriétaire veut à tout prix récupérer son bien.
Les débuts de la propriété, ce fut cela : un type avec un papier dans la main, accompagné d’hommes de main, qui débarque sur un champ ou dans une maison et déclare : ceci est à moi. Aux débuts de la propriété, il a fallu que des salauds se présentent, les armes à la main. En allant contre l’évidence, ils dirent : non, la terre n’est pas à ceux qui la travaillent, pas plus qu’une maison n’est à ceux qui l’habitent.
Nous ne sommes pas naïfs. Nous savions qu’un jour ou l’autre un type allait se présenter et exiger de nous, grâce à la puissance d’un simple bout de papier, que nous nous en allions. Ce lieu, nous l’avions trouvé abandonné, la porte ouverte, il y a presque quatre ans, et nous savions qu’un jour quelqu’un allait se saisir du bout de papier qui va avec. Et reprendre la maison.
Des dizaines de personnes sont passées par cette maison, pour des périodes plus ou moins longues, et un groupe stable d’habitants s’est dégagé avec le temps. Les loyers sont tellement élevés, l’accès à un logement décent est si difficile, que nous sommes des dizaines, voire des centaines de milliers à nous entasser, à passer de canapés en canapés. La concurrence pour le travail, ainsi que ses conditions actuelles, font que celles et ceux qui, pour de multiples raisons, ne trouvent pas la force de rentrer comme des dingues dans ce jeu sont de plus en plus nombreux. Cette maison s’est offerte pour une partie de ces gens-là, c’est-à-dire nous-mêmes. Un toit gratuit, ainsi que la possibilité de vivre à plusieurs, nous a permis de faire face à cette réalité ensemble, de ne pas nous laisser broyer individuellement. Nous nous disions : l’amitié, la solidarité, l’hospitalité sont des valeurs sur lesquelles nous pouvons compter face à la machine économique. Face aux rêves brisés, face aux vies niquées, face aux dépressions qui minent les relations à l’intérieur de cette société.
On nous dira : votre vision est trop noire, il y a des chances pour tous. Mais ce que nous avons vécu ne fait que confirmer cette appréhension du monde. Si le type qui a attaqué a agi pour lui-même, pour avoir son propre pavillon, on ne peut que s’interroger sur la morale de l’intérêt personnel qui ronge cette société, morale qui veut que l’intérêt prime sur toute considération des personnes « ” car il n’a jamais réellement voulu discuter avec nous. Et si le type qui a attaqué l’a fait pour son biz, pour revendre par la suite comme le veut son métier d‘agent immobilier, on ne peut que questionner ce qu’est, plus généralement, la réalité du travail aujourd’hui : ne serait-ce pas, bien souvent, écraser les autres pour se faire sa place ? On ne peut croire, en tout cas, que cette situation est isolée. En haut, les puissants affirment chaque jour la validité de cette morale. Au commissariat, un flic de base a expliqué au « propriétaire » qu’il aurait dû faire cela cagoulé. Tous les flics présents le justifiaient, se mettaient à sa place. Eux aussi auraient été prêts à acheter un lieu occupé, et à virer les habitants à coups de barre. Comme le disait un autre flic : »quand on a un crédit sur le dos, on fait avec ce qu’on peut« . L’endettement individuel »” qui fait échos à l’effondrement des garanties collectives "” semble pouvoir justifier la guerre de tous contre tous.
La crise économique que nous vivons a pour conséquence d’accentuer les clivages, et pas seulement entre les classes. Entre ceux d’en bas, les petits, il y a aussi de graves divergences. D’un côté, il y a ceux qui acceptent les lois de l’économie comme des lois naturelles et font leurs la morale du « chacun pour soi et peu importent les conséquences » qui va avec. De l’autre, il y a ceux qui disent : nous ne nous en sortirons qu’ensemble, il n’y a qu’ensemble que nous parviendrons à refuser la loi de l’argent, du travail qui tue, le règne du vice et de la petite méchanceté. Comme le disait une personne solidaire aux assaillants : « ce que nous refusons, c’est votre enfer, et vous ne parviendrez pas à nous faire cesser de croire dans la beauté et la puissance de la solidarité » .
Comme le montre le soutien qui nous est apporté aujourd’hui « ” face aux attaques, face aux menaces qui pèsent sur nous »” nous savons que nous sommes loin d’être les seuls à porter ces valeurs. Des habitants de nombreux autres squats sont venus à notre secours, ainsi que des voisins. Des sans-papiers, des précaires, des chômeurs, des salariés un peu plus installés se sont montrés à nos côtés. Des gens ordinaires, comme nous, qui refusent la loi du plus fort. L’urgence, plus que jamais, est de construire les liens pour faire face à la barbarie de l‘économie.
Des habitants de la Kipue / MQP / Maison Qui Pue, 74 rue des caillots, Montreuil
Vigiles à Montreuil : le point sur le 74, rue des Caillots
Le 74, rue des Caillots à Montreuil est une maison squattée depuis quatre ans. Durant cette période, elle a été vendue et rachetée à plusieurs reprises par des spéculateurs. Le dernier en date, un agent immobilier appelé Hafid Hafed et affilié au réseau IAD, prétend en être devenu propriétaire le vendredi 22 juillet.
Le samedi 23, il fait irruption par surprise dans la maison avec une équipe de gros bras et commence à démolir le compteur électrique et d’autres installations. Le lendemain, dimanche 24 juillet, après une nouvelle pression physique directe sur les habitants sous prétexte de « négociations », il lance une attaque frontale sur la maison avec une vingtaine de mercenaires armés de masses, de barres de fer et de gaz lacrymogène. Trois personnes ont été blessées au cours de cette attaque.
Ces faits appellent, de notre part, les observations suivantes :
1) Le dimanche 24 juillet, nous n’avons pas laissé faire les vigiles et les avons empêché de pénétrer à l’intérieur de la maison. Nous nous opposerons de nouveau dans l’avenir à ce type d’attaque, que ce soit au 74, rue des Caillots ou dans d’autres maisons. Il y a un enjeu à agir directement contre ce genre de pratiques, qui ne concernent certainement pas que les squatteurs. L’histoire récente est remplie d’exemples où les hommes de main des promoteurs et des marchands de biens s’en prennent à tous ceux qui ne peuvent payer leur loyer ou rembourser leur crédit, ou encore à ceux qui ont le malheur de gêner des projets immobiliers en refusant de quitter leur logement volontairement.
2) Le dimanche 24, la police, appelée par le voisinage, s’est employée à protéger les vigiles qui ont pu continuer à pénétrer dans le jardin tandis que les personnes soutenant les squatteurs étaient repoussées par la BAC. La collusion avec la police de Montreuil est avérée, et bien visible sur les images filmées par des voisins et diffusées sur Internet par leurs soins. Jamais un petit agent immobilier comme Hafid Hafed n’aurait osé lancer une attaque armée en plein jour, un dimanche après-midi, s’il n’avait pensé pouvoir compter sur la bienveillance du commissariat local. Ce n’est pas parce que la police est arrivée que les vigiles ne se sont pas emparés de la maison, mais parce que nous étions déterminés à rester.
3) Parmi les personnes venues soutenir les squatteurs de la rue des Caillots se trouvaient des habitants d’une maison occupée, située rue des Sorins et actuellement menacée d’expulsion. A la suite de cette démonstration de solidarité active, les flics ont multiplié le harcèlement sur les habitants de cette maison, pénétrant dans la cour de l’immeuble et arrêtant cinq personnes sans papiers. Trois sont actuellement en centre de rétention. Rue des Caillots comme rue des Sorins, la pression sur les squatteurs, qu’elle soit légale par les flics ou extra-légale par les vigiles armés, poursuit le même objectif : faire fuir les indésirables pour maximiser les profits.
4) Ces actions concomitantes des vigiles et des flics contre les squats ont eu lieu dans une ville, Montreuil, qui est le siège d’enjeux urbanistiques majeurs (prolongements des lignes de transports, écoquartiers, etc.) L’opposition à ces projets, qui se développe rapidement (comme par exemple aux Roches) commence à gêner beaucoup d’intérêts. L’enjeu dépasse donc de beaucoup la seule question de l’occupation des maisons vides : il s’agit de se débarrasser de tout ce qui peut gêner ou entraver l’action des promoteurs et des spéculateurs.
5) Maintenant que l’opération a échoué, les différentes autorités cherchent à se dédouaner : la société IAD a « suspendu » son agent immobilier, la préfecture a ouvert une « enquête administrative » sur l’action de la police ce jour-là, et la maire de Montreuil a pris des « mesures conservatoires » à l’encontre d’Hafid Hafed. Ne nous y trompons pas : dans ce genre d’histoire, les puissants gagnent toujours. Soit le coup de force réussit, et on est débarrassé à bon compte des indésirables. Soit il échoue, et la faute en retombe sur les exécutants. Ceux qui ont cru qu’en écrasant plus faibles qu’eux ils pourraient jouer dans la cour des grands, comme cet Hafid Hafed, sont alors lâchés comme des merdes par leurs anciens protecteurs. Dans les méandres tortueuses de la vie politique locale, nous ignorons qui, exactement, soutenait Hafid Hafed : et d’ailleurs nous nous en foutons. Le résultat est de toute façon le même.
6) C’est un système tout entier qui s’en prend aux pauvres en général : c’est un système tout entier que nous entendons combattre.
Le collectif de défense du 74, rue des Caillots.
La maison en carton ne s’est pas envolée
Pressions et répressions à Montreuil : les voyous de l’immobilier et la police alliés pour expulser
La maison est habitée depuis 4 ans. Elle avait été abandonnée après que son propriétaire ait été interné et placé sous tutelle, ayant été retrouvé à l’intérieur dans un état catastrophique et à moitié fou. La maison était alors dans un état de dégradation et de saleté extrêmement avancé. D’autres précaires en quête d’un toit pour vivre y auraient même renoncé, malgré l’évidence de son état d’abandon. Mais nous avons décidé de la remettre en état. Malgré nous, elle a été baptisée, très vite, « la Maison qui pue », tant la puanteur qui y régnait alors était insupportable, empêchant les plus sensibles de participer aux premiers travaux d’assainissement. L’homme qui avait laissé sa maison était resté seul pendant des mois et des mois, sans appui pour le secourir autre que la sollicitude occasionnelle de quelques personnes du voisinage. N’ayant pas d’héritier, c’est à un cabinet de tutelle qu’est revenue la gestion du patrimoine. L’affaire traîne alors, des potentiels acheteurs refusant d’acheter une maison déjà habitée. Une maison qui n’est à personne et que personne ne veut.
Nous étions sans maison pour habiter, pour vivre, pour partager, et cette maison était vide et risquait de disparaître. Nous l’avons habitée. Commençant par lessiver, nettoyer, javelliser, assainir à l’aide d’encens, refaire l’isolation, la chaux, l’enduit, dans le bâtiment principal, d’abord. C’est là où on vivait au début. Quelques mois plus tard, on s’est attelé à remettre debout la petite maison en T du fond du jardin, qui avait été ravagée par un incendie du temps de l’ancien propriétaire, ayant entraîné la mort de son fils adoptif, comme les voisins nous l’ont ensuite raconté. On avait peut-être traîné à investir cette partie de la maison à cause de ce parfum de drame. Ou alors c’est que la tâche paraissait encore plus immense. Des montagnes de détritus et de gravas, les murs et les plafonds calcinés, l’électricité plus ou moins inexistante, toutes les portes et les fenêtres à refaire. Cette dépendance de la maison principale a donné trois grandes chambres. En même temps, doucement, le jardin a lui aussi été nettoyé, beaucoup désherbé, une pelouse et des plantes aromatiques y ont été plantées.
Elle est restée un peu en carton, la maison : fragile, difficile à entretenir, froide l’hiver, pas bien isolée et pas pratique pour plein de détails (la douche et les toilettes à l’extérieur de la maison principale, les canalisations d’eau un peu susceptibles, l’électricité assez sensible, ayant dû être refaite avec les moyens du bord). Mais elle a bien vécu, abritant d’anciennes et de nouvelles amours, de nouveaux enfants, des discussions et des écritures, des bricolages, beaucoup de lectures, des objets en verre soufflé, de la cuisine pour 20, des colères et des moments de sérénité, des réunions d’urgence, des répits, des repos. On s’y sentait protégé, en lieu sûr. On trouvait très confortable que la maison ne soit plus ou moins à personne. Elle était à ceux qui l’habitaient, et la rendaient du même coup habitable pour tous ceux qui y passeraient du temps un jour. Des dizaines de personnes y ont dormi une nuit, des semaines, des mois. Il y a eu des arrivées, des départs. Jamais formalisés sur un papier, jamais très clairs même dans les têtes. Il n’y a ni location, ni propriété. Il n’y a que des relations. Certaines finissent mal, certaines se poursuivent des années. Il y a des situations.
Samedi 23 juillet 2011, c’est l’été, la maison s’est un peu vidée. On est trois dans le salon, dans la partie principale de la maison. Parmi nous, un petit d’un an et demi qui dort dans une des chambres. Et, d’un coup, on voit entrer des hommes avec des outils à la main. Sans rien dire, ils démontent la porte et commencent à casser des trucs dans la maison. Ils sont de plus en plus nombreux. On crie, on demande ce qu’ils font, on leur dit qu’ils n’ont pas le droit de faire ça, que c’est notre domicile, on dit qu’il y a le petit, on les supplie de ne pas lui faire mal et de ne pas nous frapper. Ils sont hyper agressifs et nous menacent de tout ce qu’ils peuvent. L’un deux montre vaguement une feuille en disant à peu près : « C’est chez moi, je suis le propriétaire, vous n’êtes pas chez vous. ». Il ne nous laisse pas le temps de voir le papier. On reconnaît le type, on l’a déjà vu dans une autre maison occupée par des amis : il y a quelques semaines, il était rentré sans frapper, gueulant qu’on n’était pas chez nous, qu’il allait venir avec 100 personnes, qu’il connaissait « des violeurs », « des tueurs », avant de faire comprendre à d’autres personnes de la maison qu’il voulait la racheter, qu’il payait ses impôts depuis toujours, qu’il n’avait peur que de Dieu, se targuant pourtant sans cesse de respecter toute forme de légalité.
On court avec l’enfant, on va chercher du monde. Très vite, les amis, les voisins, arrivent, nombreux, c’est magique. On revient, on ne veut pas qu’ils cassent la maison, on leur redit qu’ils doivent respecter le domicile, ils nous empêchent de rentrer dans la maison en nous repoussant violemment, nous traitent de tous les noms, alternant des injures homophobes et sexistes avec des menaces de mort et de viol, tout en mettant en avant à la fois leur honnêteté complète par rapport à la loi, aux institutions, etc., et leur ferme intention de ne jamais aller au tribunal. Les policiers, arrivés assez vite, les laissent dès le début casser la maison et nous menacer avec toute la violence possible. Ils prétendent que c’est bien le gars en question le propriétaire et qu’il peut sans problème casser son pavillon, c’est son droit. Un propriétaire et 20 gars cassent une maison, ses occupants crient à l’agression et à la violation de domicile, les voisins témoignent et les flics laissent faire le massacre. Ils n’arrêtent aucun des types portant des barres de fer ou proférant des menaces. Ils auraient donc tous montré, les 20, un acte de propriété ? Tout propriétaire peut venir avec 20 amis dans son bien le casser sans prévenir ses occupants, qu’ils louent, qu’ils soient hébergés, qu’ils soient sous-locataires ou qu’ils soient sans droit ni titre ? Le doute des policiers ne doit-il pas être au profit de ceux qui disent qu’ils se font agresser ? Nous attendons le copain qui doit revenir à la maison et montrer ses preuves de domiciliation.
Quelqu’un a vu le papier que l’apparemment nouveau propriétaire brandissait, où il était indiqué que le bien était « libre de location et de toute occupation ». Ce papier devait donc être remis en question. Soit les flics ne connaissent pas le droit, sans parler de la question de la violation de domicile, soit ils ont à peine lu le papier, parce qu’ils s’étaient déjà arrangés avec le type en question, leur attitude pendant toute la suite du week-end confirmant pas mal cette hypothèse. Les policiers ne nous ont pas demandé si nous habitions là, ils n’ont pas demandé aux voisins qui habitait là, ils n’ont pas établi de statu quo en attendant des éléments de preuve. Ils ont laissé le propriétaire et ses amis qui, faut-il le répéter, n’ont aucun droit sur la maison, casser celle-ci et terroriser ses habitants. Les preuves de domiciliation arrivent, mais les policiers laissent encore un peu traîner les casseurs dans la maison. L’argument de « on attend des ordres » revient régulièrement. Après avoir constaté qu’il y a bien quelqu’un dont c’est le domicile, les policiers ne procèdent à aucune réprimande, aucune arrestation, aucune demande de compte, n’inquiétant jamais ni le propriétaire ni ses amis. La personne dont le nom est sur les preuves de domiciliation ainsi que le propriétaire sont accompagnés au commissariat pour « faire le point » – ils diront plus tard « faire une conciliation à l’amiable ».
Pendant ce temps, les policiers indiquent que la maison reste à ses habitants, pour l’instant, mais accompagnent à l’intérieur les agresseurs récupérer leurs outils (pieds de biche, masses d’un mètre le long, barres de fer, etc.), et leur font une escorte pour qu’ils puissent partir tranquillement en voiture. Le soi-disant propriétaire distribue même devant eux des billets à ses sous-fifres. Les flics griffonnent sur des bouts de carnet les noms que ceux qui restent sur place veulent bien donner.
On est resté nombreux devant la maison, effarés par ce qui s’est passé. On commence assez vite à réparer, balayer, mais aussi à sortir des affaires, les plus précieuses, les couvertures tricotées pour le bébé quand il est né, des papiers administratifs, des trucs, quelques vêtements. Qu’est-ce qu’on fait ? On s’en va en courant, on fuit la situation et on abandonne la maison ? Ou bien on fait des barricades, on appelle encore du monde, on se dit que c’est du bluff, on se dit qu’on n’a pas peur ?
Quelques heures plus tard, un peu après être sorti du commissariat avec notre copain domicilié à la maison, le proprio revient à la maison nous dire qu’il veut qu’on trouve un arrangement. Il insiste sur l’inefficacité de la justice, sur le fait qu’il ne fera pas de procédure judiciaire, qu’il a grandi comme ça, avec ces méthodes. On lui rappelle qu’il a menacé un enfant, on lui répète une énième fois qu’il aurait dû nous parler avant de venir casser la maison, nous prévenir qu’il avait racheté. Il dit qu’il a de l’argent, qu’il a de quoi nous payer l’hôtel. Il rentre dans la maison à nouveau, cette fois-ci tout seul, cherche la provocation, prend un tournevis et nous menace avec, répétant qu’il est chez lui, qu’il va nous tuer, et qu’on n’a pas intérêt à le toucher. On retient certains d’entre nous, choqués, à deux doigts de lui sauter dessus. On le calme, on l’assoit, et on lui propose de laisser ses coordonnées pour se voir le lendemain à 13h. Il téléphone à sa bande devant nous pour lui demander de venir le chercher.
Le soir, nous comprenons à l’aide d’une simple recherche sur internet qu’il s’appelle Hafid Hafed, et que nous avons affaire à un véritable agent immobilier, membre du réseau I@D France, où il est même responsable du 93, ainsi que son acolyte Medhi Ibanez, responsable lui du secteur de Pavillons-sous-bois. A eux deux, ils totalisent de nombreuses ventes sur le département (maisons, lofts...) et ont chacun fondé leur propre société. Le lendemain (dimanche), en fait de rendez-vous, les habitants qui s’y rendent effectivement se font immédiatement frapper et bousculer. Alors qu’on les attendait devant un café, ils sont arrivés à 4 dans une voiture et, au lieu de discuter d’un délai éventuel pour quitter la maison, ils ont recommencé à nous menacer, coupant court à toute discussion. Le propriétaire M. Hafed a même giflé l’un d’entre nous. A la mairie, les passants, les clients choqués restent stupéfaits. Un ou deux tentent d’intervenir, se font poursuivre avec une barre de fer. Deux civils, appelés pour la situation, les laissent tranquillement nous menacer de mort et de brûler la maison. Le proprio et ses amis partent finalement en voiture après avoir accordé un très vague délai de deux semaines ou un mois pour qu’on parte.
Deux minutes après, des amis restés à la maison pour la protéger nous apprennent que ces mêmes hommes tentent de défoncer la porte. Mal outillés, ils repartent avant de revenir à 25 une demi-heure plus tard. Mais cette fois-là, avant que les flics n’arrivent, ils ont le temps de frapper violemment et gazer avec des bombes lacrymogènes les habitants qui sont dans la maison ou essayent d’y pénétrer. Trois personnes sont blessées alors : une a reçu un coup de pied dans les côtes, une a eu le nez cassé par un jet de pavé, et une a l’avant-bras cassé. Encore une fois les flics reviennent mais ils ne font rien, ils les laissent faire, et ils font un cordon de protection entre les soutiens et la maison en train de se faire massacrer avec des amis à l’intérieur, ils vont même jusqu’à essayer d’interpeller une personne blessée de notre côté. Pour nous protéger depuis l’extérieur de la maison face à une telle brutalité, une seule chose marchera : l’arrivée de plusieurs dizaines d’amis de la rue des Sorins et d’ailleurs eux-mêmes menacés d’expulsion. Leur simple présence suffira à faire fuir les agresseurs.
Un peu plus tard dans l’après-midi, des commissaires débarquent, constatent les faits, assez contrariés d’être dérangés un dimanche (par nous certainement, qui avons pris plaisir à nous faire mettre à la rue à coups de barres de fer simplement pour l’embêter lui, le commissaire...). Ils nous incitent à porter plainte, à Montreuil même, nous disent qu’il n’y aura pas de problème. Ils nous disent aussi, innocemment, que les policiers n’ont engagé aucune procédure légale depuis la veille (le début des événements), n’ont rien rapporté de particulier, n’ont écrit aucun procès verbal, et qu’ils doivent donc le faire maintenant. Nous recommençons à sortir les affaires, cette fois on se dit qu’on sort tout, qu’on ne peut rien faire, que c’est une mafia qui veut la maison et que la police la protège ou en fait partie. On se dit que c’est un gros truc, qu’on doit avoir des éléments en cas de procès, et on fait l’erreur d’aller porter plainte au commissariat de Montreuil. Grosse erreur : c’est comme si nous allions nous placer nous-mêmes en contrôle d’identité. Le dépôt de plainte tourne à l’interrogatoire (humiliation, harcèlement, pression, culpabilisation, questions sur la vie privée, etc.). Les flics nous rient au nez, nous provoquent, cherchent à nous déstabiliser et, de toutes façons, pour eux, nous sommes les plus coupables dans l’affaire, d’être dans un squat, de ne pas travailler, de ne pas payer un loyer, de vivre avec le RSA, de ne pas cotiser, d’« être français et de ne pas travailler » (? ??!!!), ou encore de ne pas avoir de téléphone. A priori, vivant dans un squat, nous serions des parasites sociaux. Pour eux le propriétaire a simplement fait une légère violation de domicile, pas vraiment répréhensible dans la mesure où sa maison est occupée par nous, sales déchets de la société. Oui, il a acheté la maison squattée, moins chère, mais, le pauvre, « il fait avec les moyens qu’il a »... Certains flics disent même sans aucun scrupules qu’ils auraient fait exactement pareil. Est-ce une simple collusion capitaliste, entre propriétaires et policiers ? Oui, il y a certainement une morale commune entre ces deux parties. Des flics ont certainement aussi, mais c’est un détail, été arrosés. Mais il faut ajouter que les flics de Montreuil nous connaissent un peu et prennent un certain plaisir à nous voir attaqués de la sorte. Ils ont d’ailleurs essayé de jouer sur des divisions identitaires au sein des témoins de la scène pendant ce week-end, disant à des copains, dont ils ne savaient pas qu’ils vivaient eux-mêmes dans la maison : « On les connaît ces squatteurs, ils nous font chier sur Montreuil depuis longtemps, on ne fera rien pour eux. » Au commissariat aussi : « Il y a des Maliens, qui parlent à peine français et qui travaillent, et toi, tu es français, tu as fait des études, et tu ne travailles pas, tu n’as pas honte ? ». En fait, nous vivons ensemble (et parlons mal le bambara !)... mauvaise pioche !
Si les flics ont eu affaire à nous par le passé, c’est parce que sur le terrain de la précarité et de la solidarité qui l’accompagne, il y a de la répression. Effectivement, on a croisé les flics sur des luttes contre les expulsions, de toutes natures, et à l’encontre de tous types de personnes, pas tant par désir de s’affronter ouvertement avec eux. Lors d’une manifestation contre les expulsions de sans-papiers, il y a quelques années, un certain 4 juin, ils nous ont réprimés avec une violence inédite. Mais la mémoire collective devait mettre en avant un événement plus grave encore : un copain, un ou deux après, a reçu un coup de flash ball qui l’a privé de son œil droit, lors d’un rassemblement de solidarité avec une maison collective expulsée le matin même, une maison où se construisait encore la solidarité dans la ville, en particulier du point de vue de la question du logement. Les flics on les a rencontrés encore quand des amis roms se faisaient expulser de leur terrain puis d’une maison qu’ils squattaient ; quand une maison abritant 25 personnes dont plusieurs enfants se faisaient expulser sans proposition de relogement ; quand 300 personnes vivant au 94, rue des Sorins à Montreuil manifestaient contre des menaces d’expulsion de leur logement et du territoire ; quand on s’est opposé aux rafles, aux centres de rétention... Et l’histoire continue, et devra continuer.
Les flics nous ont frappés déjà, arrêtés, et même emprisonnés, et là, ils ont laissés d’autres nous frapper. Pour se venger ? De quoi ? De ne pas les laisser protéger les expulsions et autres exploitations qui ont lieu sur Montreuil et ailleurs ? Ce lundi, c’est encore 4 personnes des Sorins qui se font arrêter et se retrouvent en centre de rétention. Les policiers étaient en effet venus y chercher des « responsables », sûrement afin de les inquiéter pour leur venue la veille afin de nous soutenir. Suite à leur refus de donner des noms, ils ont subi un contrôle d’identité, et quatre ont été embarqués pour défaut de papiers.
Voilà le rôle de la police aujourd’hui à Montreuil : protéger les magouilles des agents immobiliers, casser des solidarités sociales, et arrêter les sans-papiers. Ce n’est pas la police, mais la solidarité populaire qui nous a sauvé du massacre et des pratiques véreuses des agents immobiliers. C’est la même qui doit faire libérer les camarades enfermés.
Des habitants de la MQP/Kipue/Maison Qui Pue, 74 rue des caillots
Mehdi Ibanez et Hafid Hafed,
agents immobilier I@DFrance
Voici un lien vers un cinétract intitulé « LES ROIS DU PÉTROLE » (lien à nouveau catif), concernant la tentative illégale d’expulsion par des agents immobilier du réseau I@DFrance et une quinzaine d’hommes d’une maison occupée à Montreuil :
http://regardeavue.com/les-rois-du-petrole-3/
A faire tourner largement.
D’autres vidéos de l"assaut de dimanche et d’autres informations sur cette sombre histoire sur le blog de Bruno Saunier, conseiller municipal à Montreuil et démissionnaire de sa fonction d’adjoint au maire : http://chroniquesmontreuilloises.over-blog.com/
Post-scriptum :
Dimanche, plusieurs personnes habitant le squatt de la rue des Sorins, expulsables depuis fin mai, sont venues soutenir les habitants assaillis de la Kipu. Depuis, la police est passée plusieurs fois à leur squatt , habité par plus de 300 personne dont une majorité de sans-papiers : cinq personnes ont été arrêtées et quatre sont encore détenus.
Il n’est pas possible de laisser réprimer la solidarité.
D’autres histoires de conflits récents avec des spéculateurs à Montreuil :
Politique du logement à Montreuil : la mairie pousse les spéculateurs à déloger les habitants
Nettoyage urbain à Montreuil : trois cent habitants du 94 rue des sorins menacés d’expulsion