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La suppression du RMI et l’instauration du RSA, Nicolas Duvoux - Université ouverte

Publié, le mercredi 14 septembre 2011 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : lundi 31 août 2015


La réforme instaurant le RSA redéfinit la politique d’incitation exercée par l’état social, modifiant ainsi un gouvernement par l’individualisation que l’université ouverte s’est attachée à analyser dès sa création, en 2006.

Le sociologue Nicolas Duvoux a coordonné un dossier publié par La vie des idées, « Réformer les minima sociaux ». La coordination des intermittents et précaires l’avait invité à introduire une séance de l’université ouverte, le 9 octobre 2008. Voici le compte rendu de cette intervention.

La suppression du RMI et l’instauration du RSA

I Historique de la prestation RMI depuis 1988

II Les entretiens avec les RMistes. Trois grands types d’expérience
a. L’autonomie intériorisée
b. L’autonomie contrariée
c. Le refus de la dépendance

III Le passage du RMI au RSA

Je suis sociologue et j’ai travaillé à l’EHESS sur « l’injonction à l’autonomie » des allocataires du RMI [1]. Je réfléchis donc sur l’expérience vécue d’allocataires du RMI qui ont signé un contrat d’insertion et qui sont mis en situation ou en demande de responsabilité par les institutions. Je parlerais de l’enquête que j’ai réalisée entre 2005 et 2007, ainsi que des enjeux du RSA, adopté hier par le parlement.

Mon premier propos, c’est la définition institutionnelle de l’autonomie aujourd’hui. L’injonction à l’autonomie n’est pas l’autonomie dont les acteurs peuvent disposer mais la définition qu’en donnent les institutions de service social entre 2005 et 2007.
Ensuite je présenterais les résultats de ma recherche : voir comment les différents types d’allocataires se représentent l’autonomie institutionnelle. La demande institutionnelle est-elle légitime ou non, normale, scandaleuse ? Et on étudiera la pluralité des expériences.
Cela passe par un résumé de ce qui s’est passé entre l’adoption du RMI en 1988 et mon enquête dans le milieu des années 2000, avant d’aboutir à ce qui change aujourd’hui. Comment la définition institutionnelle de l’autonomie a variée ? comment les réponses des acteurs à cette notion institutionnelle a évolué à la fois dans les actes et dans les discours ?

L’enquête a eu lieu avec des allocataires rencontrés par le biais d’associations ou de services sociaux au cours d’entretiens d’1h30 à 3 h, puis lors de nouveaux échanges formels ou informels, de discussions permettant d’entrer dans l’expérience vécue et de la restituer.

I. Le RMI depuis 1988

Au moment de l’invention du RMI, en 1988, le contrat d’insertion est conçu comme l’instrument qui doit permettre d’éviter de salarier l’exclusion. Un engagement réciproque de l’individu et de la collectivité pour ne pas se limiter à verser de l’argent aux exclus.

Il y a deux façons de lire ce moment :

a) Première lecture, la collectivité met l’accent sur la dimension de droit.
L’insertion est pensée comme un deuxième droit, en plus de l’allocation. L’allocation est le support d’une intégration à la société. Il s’agit donc à l’époque d’une lecture de l’insertion bien plus généreuse que celle qui a cours actuellement. L’accent est placé sur le droit plus que sur le devoir. À cette époque, le contrat n’est pas officiellement une contrepartie.

b) Deuxième lecture, l’adoption du RMI est déjà une conception libérale, avec un critère de revenu maximum qui marque une transformation idéologique dans la gauche française. Ce n’est pas pour rien que c’est Michel Rocard, cette mouvance de centre gauche, qui l’a fait adopter. On est sur une autre ligne que celle de la stricte défense des droits collectifs attachés au travail. On alloue un revenu qu’on déconnecte du travail. C’est donc une transformation profonde par rapport à ce qu’était le discours de la gauche même dix, quinze ans avant. Ne pas oublier que le premier théoricien du revenu minimum, c’est Milton Friedman. C’est donc une mesure d’inspiration très libérale.

La première hypothèse, qui met en avant le droit plutôt que le devoir, c’est en 1988. Ce qui s’est passé depuis, c’est le renversement des termes du contrat. Du droit à l’insertion qui était pensé comme un droit en plus de l’allocation, l’insertion devient une contrepartie vis-à-vis de l’allocation, considérée comme une dette contractée. Vous allez rendre des comptes sur l’allocation qui devient une dette [2].

Pourquoi ce renversement ?

Dans les années 1990 un effet de ciseaux entre deux phénomènes s’est produit :

a) avec le RMI, une préoccupation compassionnelle de la société, des élites, pour la pauvreté et les exclus, a abouti à des droits. Le moment qui représente ce phénomène, c’est la loi de lutte contre les exclusions de 1998. L’orientation c’est : des droits supplémentaires pour des gens perçus comme exclus.

b) en même temps que cette croissance de droits spécifiques pour les pauvres, une augmentation très forte du travail précaire, à savoir une diminution de la capacité d’intégration sociale des gens situés au plus bas de l’échelle salariale.
En gros, les droits alloués aux personnes hors marché du travail sont devenus de plus en plus insupportables pour la société. D’où la critique de plus en plus virulente, dès la fin des années 1990. On parle d’assistés, de profiteurs, de fraudeurs, dans tous les discours sociaux, médiatiques, politiques.

Ça a pris dans l’opinion. La légitimité du RMI a considérablement baissé car il y a eu cet effet de ciseaux entre les deux phénomènes, et une augmentation de la précarité avec un accroissement des droits du non-emploi reposant sur un socle de droits de plus en plus large. Cela a travaillé l’opinion contre le RMI et une vision souple du contrat d’insertion.

À la suite de ce mouvement, des réformes au début de la décennie 2000 vont acter ce renversement. Deux réformes majeures :
1) la création du RMA, une véritable contrepartie, vous remboursez par votre travail ce que la collectivité vous donne sous forme de revenu ;
2) la décentralisation du RMI, qui consiste à responsabiliser les collectivités locales en leur suggérant de restreindre le nombre d’allocataires si cela coûte trop cher.

Quinze ans après l’instauration du RMI, ces deux réformes marquent une transformation profonde du sens que l’on pouvait donner à l’insertion.
Ce qui se passe aujourd’hui avec le RSA, c’est une forme d’inversion très curieuse. En 2003, François Fillon, alors ministre des affaires sociales, a voulu le RMA pour envoyer un signal à l’opinion sur le fait qu’« on ne tolère plus un système qui permet une fraude à l’échelle massive ». Mais il y avait une pratique de l’insertion molle ou souple, plus qu’avant la décentralisation.

Et aujourd’hui, de nouveau, un discours généreux est tenu à propos du RSA semble revaloriser l’assistance. Mais c’est ambigu, parce que la pratique s’est considérablement durcie de la part des conseils généraux.

En 2003, un discours dur et une pratique molle, et aujourd’hui l’inverse : un discours généreux avec une pratique beaucoup plus dure.

Pour Martin Hirsch, la revalorisation par le RSA d’allocataires du RMI qui travaillent a été conçue comme un « échange ». On va augmenter les revenus de ceux qui reprennent un travail, mais on va diminuer les droits connexes qui s’étaient greffés au RMI. C’est un deal : valoriser le travail, avec une pratique plus contraignante pour les allocataires du RMI, donc les futurs RSastes, qui bénéficieront du minimum garanti sans suppléments [les droits connexes], avec des compléments de ressources issus du travail.

La multiplication des contrôles, dont celui du niveau de vie, s’inscrit dans ce contexte d’« échange » autour de la création du RSA.
Je n’ai donc pas pu appréhender cela avec mes enquêtes de 2005-2007, à un moment où il y avait forte médiatisation de ces questions avec un point culminant, la campagne électorale 2007. Là, il s’est produit un consensus sur la dénonciation de l’assistanat. La solidarité, ou le renforcement de l’assistance, est maintenant l’objet d’un clivage dans la société française. Il n’y a eu consensus a minima sur le projet de RSA que parce qu’il reposait sur cet échange : revalorisation de ceux qui travaillent et, en échange, pas d’argent pour l’assistance. La société veut demander des comptes aux assistés.

Il est d’autant plus important de prendre ça en compte que, à explorer l’expérience vécue des allocataires, à une époque beaucoup plus punitive de l’insertion, j’ai été très frappé par l’intériorisation du discours critique vis-à-vis de l’assistance. Le discours de la stigmatisation ne s’arrête pas aux portes de la population concernée. Il y a au contraire une défense viscérale : « je ne suis pas allocataire du RMI », « je ne suis pas l’image qu’on veut me coller ». Il y a mise à distance du discours public tenu sur l’assistance, mais aussi des autres allocataires, comme s’il n’y avait plus de front mais des conflits et de la concurrence entre eux.

II. Les entretiens avec les RMistes

Quels sont les types d’expériences vécues à partir de l’analyse du matériau recueilli lors des entretiens ? Je définis les types d’expérience vécue à partir des discours, des idéaux-types, des catégories générales qui vont former un tableau de pensée. C’est donc le sens que les gens donnent à leur expérience vécue, mais je ne parle pas d’individus concrets. Ils ont des rapports différents à l’idée d’autonomie telle qu’elle est véhiculée par le contrat d’insertion. Quelle relation les individus ont-ils à cette idée d’autonomie, à cette idée d’insertion ? Quelle relation ont-ils à cet échange allocations-insertion qui est proposé ?

Trois grands types d’expérience vécue se dégagent :
• l’autonomie intériorisée
• l’autonomie contrariée
• le refus de la dépendance

1) L’autonomie intériorisée

Dans le RMI, cela correspond à la frange du public qui a plus de ressources culturelles, familiales, économiques, de diplômes, de réseaux, que le reste. Statistiquement, ils représentent 20 % des RMistes. Ils ont une relation particulière. Comme ils sont différents, leur vision de l’autonomie et du contrat, c’est une forme d’adhésion : « c’est bien de me demander des comptes, d’être autonome ».

Pourquoi ? Pour de bonnes et de mauvaises raisons. Leur discours est une stratégie de distinction : « je cherche à m’intégrer ». « Assisté ? Non, j’adhère au contrat, ne m’excluez pas par avance. La collectivité et moi, nous nous reconnaissons comme responsables. » C’est une façon de garder l’estime de soi alors qu’on est dans un statut dévalorisant ou stigmatisant. Ils intériorisent les catégories à travers lesquelles on les pense.

Mais c’est aussi stratégie rationnelle qui prend l’institution au pied de la lettre. Exemple : « J’ai tous les diplômes pour être avocat, mais je n’ai pas de clients, je suis allocataire du RMI, sous contrat d’insertion, je cherche à m’intégrer sur le marché. » Or, le représentant social va dire : « attention, il y a le contrat d’insertion, il faut vous intégrer », c’est-à-dire « prenez même des emplois considérés comme déclassants pour l’individu ». Mais lui va répondre : « Je suis autonome, je joue le jeu », ce qui va permettre de mettre à distance pendant un moment la demande institutionnelle de la reprise d’un emploi dégradant. « J’ai un projet personnel que je développe selon votre demande stricte. » Cela permet de résister très fortement à des demandes de l’institution, mais cela dure qu’un temps, parce que la négociation change au cours du temps. On ne négocie pas après un an comme après trois mois.

On en vient alors à dire, « OK, j’intériorise toutes vos normes mais je n’arrive pas à les mettre en pratique », cela crée de la dévalorisation, et donc une tension entre une posture très conforme et la réalité de la précarité. Et un certain nombre d’épreuves vont radicaliser, approfondir cette tension. Par exemple, les contrôles à domicile de la CAF sont vécus comme un viol.
La rencontre est inimaginable. « Quoi, ces gens qui me demandent d’être autonome me considèrent comme un délinquant ! » La tension devient alors de plus en plus forte, l’autonomie intériorisée n’est tenable que si vous pensez que vous allez pouvoir sortir du RMI à brève échéance. C’est une posture d’attente.

Que se passe-t-il alors, quand on voit qu’on n’arrive pas à sortir dans les trois mois, ou pas trop longtemps après l’entrée dans le dispositif ? On passe au deuxième type.

2) L’autonomie contrariée

Là, on va retrouver cette forme de rationalisation. Les individus vont dire : « je veux bien m’intégrer, la proposition institutionnelle d’être autonome et responsable est légitime, mais je ne peux pas », et donc une autre forme de négociation va s’instaurer avec l’institution.

Pour justifier de leur maintien dans la longue durée dans un dispositif qui leur demande d’être autonomes à brève échéance, ils vont construire des discours, ils vont mentionner des raisons : problème d’âge, discrimination, santé, tout ce qui les empêche d’entrer sur le marché du travail. Le fait qu’ils construisent des rationalisations ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de faits objectifs, de difficultés réelles. Ces difficultés, ils vont les verbaliser, et cela va leur permettre de se justifier. La demande institutionnelle d’autonomie va se voir répondre par une demande de reconnaissance des freins qu’ils rencontrent par rapport à cette autonomie qu’ils voudraient mettre en œuvre. Donc on en vient à une négociation qui entre dans l’intimité des personnes.

La difficulté, avec le premier type, c’est « n’entrez pas dans ma vie, je me débrouille tout seul ». Quand cela n’est plus possible, l’institution va venir regarder de beaucoup plus près. Elle le fait, mais les gens vont devancer ce mécanisme : « dans ma vie, des choses m’empêchent d’être conforme à ce que vous me demandez ». Donc il va y avoir instrumentalisation de sa propre intimité pour justifier un statut social, et ça passe par une transformation des relations avec les travailleurs sociaux.

Si dans la première catégorie on a affaire à de agents qui vont négocier une stratégie de retour à l’emploi, ici, l’agent est le seul à pouvoir reconnaître ce que la personne dit être ses difficultés. Il y aura un jeu avec des dimensions affectives et morales dans la relation pour justifier le maintien dans le statut. Le travailleur social devient quelqu’un qui sait écouter. Ce discours va de pair avec une emprise accrue sur la vie quotidienne des gens : savoir qui est le conjoint, vérifications, contrôles... une socialisation auprès des services qui va transformer le regard que les individus vont porter sur eux-mêmes. Ils vont intérioriser leur statut d’assistés, avec tout ce que cela comporte d’image et d’estime de soi.

Ce renforcement d’emprise donne lieu à une négociation où on va mobiliser son image afin qu’il y ait une souplesse dans les rapports humains. Par exemple, on n’en demande pas trop sur le travail au noir, les petits arrangements... et cela ne tient que s’il y a une bonne volonté de façade. Or, pour cela, il faut un travail de construction de problèmes, de mobilisation de son identité pour justifier le statut.

On est dans ce que j’ai appelé une « société biographique » [3]. La société demande aux gens de construire leur intégration sociale à partir de leur vie personnelle. Quand il y a rupture, disqualification, c’est déjà pervers, on sort du régime du droit pour entrer dans celui de la faveur.

Mais la meilleure façon d’apparaître comme une victime, c’est de désigner des responsables. À coté des éléments qui justifiaient leur situation – d’autant plus élaborés que les gens avaient des diplômes –, on passe à des arguments du type « moi, j’ai 47 ans, j’ai été licencié », et c’est la version discrimination par l’âge sur le marché du travail : « au dessus de quarante-sept ans on n’embauche plus jamais ».
Et puis il y a des choses plus amusantes. Quelqu’un avait fait de la prison pour braquage et présentait cela comme une donnée du destin : tous les gens nés la même année, c’était braquage ; l’année précédente, trafic de drogue... L’idée, c’est de trouver une justification sociale de ce qui s’est passé dans sa vie personnelle, et la meilleure façon de le faire, c’est de dénoncer le voisin. La négociation avec l’institution pour faire valoir son bon droit se transforme en guerre de tous contre tous.

Les gens issus de l’immigration disent que tout est donné aux Français, les Français disent que tout est fait pour les immigrés ; les jeunes disent que tout est fait pour les vieux, qui, réciproquement, disent que tout est fait pour les jeunes, etc.

Ce sont des discours mais quand vous faites des enquêtes dans des quartiers où une partie importante de la population vit des dispositifs de solidarité, vous voyez comment cette justification passe par la constitution de groupes qui sont, potentiellement au moins, hostiles les uns aux autres. Se justifier implique la mise à l’écart des autres. Ce sont les relations que les individus ont entre eux. Il y a une détérioration entre les pauvres et les modestes ; les assistés prennent le pain aux modestes.

Tout cela ne tient que par une bonne volonté de part et d’autre, dont les ressources ne sont pas inépuisables. Et étant donné le temps qui passe, il y a les effets du manque dans la vie quotidienne, c’est-à-dire ne pas avoir accès aux choses minimales pour mener une vie décente. Cela crée une tension dans cette relation à l’institution.

Les allocataires me disent : « le service social est le bras de l’État qui console, qui aide, alors que tout le reste de la société est marqué par le bras qui punit ». Les institutions sont schizophrènes. « Dans ce bureau-là on m’aide, et dès que j’en sors on m’assomme. » Il y a une vision très paradoxale de cette volonté d’écoute qui, en même temps, finit par être une forme de justification du sort qui leur est fait, du maintien dans une sorte de précarité organisée ou institutionnalisée. Quand ils le réalisent pleinement, ou que le temps a passé et qu’ils sont dans des situations d’urgence vitale immédiate, alors se met en place la troisième modalité.

3) Le refus de la dépendance

C’est une critique directe de cette demande d’autonomie formulée par l’institution. Ils prennent le mot d’ordre au pied de la lettre. « Votre contrat d’insertion est un contrat d’intégration dans la société, or la place que vous me faites pour accéder à la société, en tant qu’allocataire du RMI, même responsabilisé formellement, est indigne. Je veux une vraie place dans la société. »

On a une sorte de retournement du stigmate : « vous dites que je suis un assisté, moi je prétends que c’est la société qui crée, qui maintient, qui organise cette précarité ». Il y a des formes de revendication beaucoup plus radicales, et des formes de refus de ce qui peut être considéré comme l’exigence latente de l’institution qui sont beaucoup plus radicales.

Même dans ce dernier type de refus, de retournement du stigmate, une très grande pluralité d’expériences se manifeste. Cela peut être individuel ou collectif. « J’ai droit à une place que je n’ai pas, car j’ai des compétences », ou bien « je m’identifie à un groupe qui a un traitement de défaveur ». Les individus vont s’identifier à des communautés pour revendiquer quelque chose sur le terrain social.
Il y a un déplacement de la scène sociale. On revendique une place sociale et, pour l’obtenir, on se rattache à une identité, définie le plus souvent par une appartenance culturelle, religieuse ou ethnique.

Ou bien encore, la revendication d’une place différente, supérieure à celle offerte par les institutions. C’est le refus ascétique : « je refuse le monde parce que je veux une vraie place dans le monde ».
Le refus mystique est un autre cas de figure. Ils n’ont plus la force de revendiquer une place décente correspondant à cette image d’eux-mêmes. Il s’opère par le refus d’une action dans le monde : « étant donné ce qu’on me fait subir, je me retire du jeu. Sur mon contrat, je dois me soigner, eh bien non ! » Un retrait des institutions aussi, et du coup, difficile de les approcher. Ça, c’est une autre forme du refus, quelque chose comme une attente, une demande institutionnelle d’autonomie, d’auto-gouvernement.

Enfin, dernière catégorie, le parfait profiteur : « j’emmerde le monde, je suis un parfait parasite », mais avec un doute sur les mobiles de cette parole, compte tenu des interactions entre individus. « Je suis dans une société qui me contraint, qui m’oblige à des travaux que je ne veux pas faire. »
Il faut en faire deux lectures : une de révolte, mais aussi une autre. Quand on observe le parcours des gens qui tiennent ce discours, ils ont souvent connu des expériences de travail antérieures. Ils sont passés par le marché du travail, ont voulu s’intégrer et senti qu’il n’y avait pas de place stable et valorisante pour eux dans leur segment. Quand on parle de la reprise d’un emploi et d’une activité, il ne suffit pas de regarder l’emploi. Tout emploi n’est pas meilleur que l’assistance : la qualité du travail, la possibilité de reconnaissance de ses capacités... et, selon eux, il y a beaucoup d’emplois qui ne fournissent pas tout ça. Et c’est caractéristique du travail précaire.

On peut lire le discours d’un ensemble d’individus qui sont apparemment dans un retournement du stigmate comme l’effet de cette gestion du marché par la précarité.

Nous en arrivons alors aux suites politiques qui sont données à cette question de l’insertion. Dans un conseil général, la notion d’insertion telle qu’on l’a entendue pendant vingt ans – ce mixte d’aides dans toutes les dimensions de la vie des gens, alphabétisation, formation, aide à la santé, aide au retour sur le marché du travail – n’a plus de sens aujourd’hui.

III. Le passage du RMI au RSA

La modification du sigle – le fait que l’on passe du RMI au RSA – a un sens. L’insertion se trouve... dans l’activité. Le critère qui fera le bon ou le mauvais pauvre, ce sera l’activité. Tout ce qui avait été élaboré en termes d’insertion passe par les fourches caudines d’un dispositif qui ne met l’accent que sur la reprise de l’activité.

Le RSA en 3 points.

On ne parle actuellement que du financement, combien ? comment ? par qui ? Si on focalise là-dessus, c’est que la société se pose beaucoup de questions pour attribuer un minimum d’existence à cette population. Or on ne réfléchit pas toujours autant lorsqu’on met en place un minimum d’existence. C’est un signe, focaliser ainsi, c’est occulter trois points :

1) Le RSA va donner une incitation supplémentaire à ceux qui voudraient travailler et qui ne le font pas avec le RMI car ils perdraient de l’argent s’ils y retournaient [4]. Pour une petite partie des gens, ça répond à un vrai problème car ils ont des difficultés à raccrocher à l’emploi.
Le problème, c’est que les catégories au travers desquelles on pense leur comportement, leur réflexion, l’incitation, l’arbitrage qu’ils vont pouvoir faire entre loisirs et travail n’a pas de sens. Les gens ne raisonnent pas comme ça. Il y a tout un tas de dimensions qui font que le problème à traiter n’est pas un problème d’incitation mais d’employabilité au sens large : accès à la formation, aux services... mais certainement pas seulement de l’incitation. Et même si c’était de l’incitation, il faut encore que les individus sachent qu’ils ont des droits à cumuler des revenus de l’emploi et de l’assistance.
L’incitation, ça ne marche pas, car les premiers concernés, allocataires du RMI, ne savent pas qu’ils ont droit à de l’intéressement.

La Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) estime que ce n’est pas une question d’incitation, mais d’information, pour savoir ce qu’ils peuvent faire et quand c’est intéressant de reprendre du travail. Ça veut dire qu’il faut faire au minimum de l’accompagnement social en plus de l’accès à l’information.

2) Le deuxième point, évident, c’est le risque d’enfermement dans le travail pauvre. Lorsque l’on a créé le RMI, on n’a pas pensé à tout ce que cela pouvait créer d’incitation à être « inactif ». Mais ici, avec le RSA, on ne réfléchit pas au risque d’enfermer les allocataires dans du travail très précaire et à temps très partiel, car les emplois intéressants à prendre avec le RSA, c’est au maximum des quart-temps par semaine, donc une incitation au travail précaire. Il y a donc un risque de dégradation des normes du marché du travail par le bas, qu’on se serve de cette institutionnalisation du travail assisté, de ce mixte entre assistance et emploi, pour faire pression à la baisse sur les normes régissant le droit commun.
Si on avait conscience de ce problème, on pourrait réorienter toute une série de mécanismes de formation pour aider à sortir du travail précaire.

3) Le troisième point, c’est l’assistance comme structure de la protection sociale. Et là je vous fais part de mes convictions politiques, qui sont celles d’un sociologue de centre gauche et donc partisan d’une réforme de la protection sociale qui aille dans le sens d’une gestion du travail flexible par la continuité des droits sociaux élaborée, théorisée par des gens comme Alain Supiot.

L’idée très simple est qu’on peut transformer notre système. de protection sociale en changeant le niveau auquel on agit aujourd’hui. C’est parce que vous avez un emploi, qu’il y a des garanties statutaires, des conventions collectives, que vous aurez demain droit à une indemnisation du chômage. L’idée, c’est de rapatrier sur la personne elle-même ce droit et donc de couvrir les périodes de non-emploi.

Le problème du débat sur le RSA, aujourd’hui, c’est que c’est un dispositif qui va ouvrir une vanne à l’assistance de manière beaucoup plus générale. Quand vous pourrez cumuler RMI et emploi, il n’y aura plus de limites au nombre de personnes pouvant en bénéficier à terme ; et donc on ne pose pas le problème de la régulation d’ensemble de la société, alors que c’est celui qui se pose.

Ici, on adopte un dispositif de « bon sens », on revalorise le travail, alors qu’il a un effet de structure sur ce que sera la protection sociale demain.
Or cela n’a de sens de poser des diagnostics et des solutions sur ces questions que si on réfléchit sur la question d’ensemble de la protection sociale. Si on les restreint aux allocataires du RMI susceptibles de travailler, il y a un effet très important d’occultation de ce qui va se passer.


Sur le RSA on pourra consulter en contrepoint :

- un dossier réalisé par AC !

- un éditorial de L’interluttants : Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère - L’Interluttants n°29, hiver 2008/2009

Le RSA étant désormais mis en cause par ses initiateurs au nom du « refus de l’assistanat », on constatera la permanence de consensuelles apologies du travail :

- Parodiant sans complexe un arbeit macht frei de triste mémoire, Nicolas Sarkozy déclarait en janvier 2007 : « Le travail c’est la liberté »

- « Je préfère une société de travail à l’assistance » osait déclarer Lionel Jospin en janvier 1998, voir : À gauche poubelle, précaires rebelles - Cargo, mai 1998



Notes :

[3Isabelle Astier, Nicolas Duvoux, La société biographique : une injonction à vivre dignement, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2006.

[4On sait depuis qu’au contraire pour beaucoup de précaires qui ont pu dépendre du RMI, la reprise d’emploi est moins avantageuse que par le passé où le cumul du salaire et du RMI pouvait provisoirement se faire à 100%. En fait le RSA favorise ceux qui exercent des emplois à temps très partiels sur la durée, le CDi de type mac do, plutôt que la discontinuité de l’emploi en CDD.

Pour ne pas se laisser faire, agir collectivement :

Permanence d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle
Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap cip-idf.org

Permanence précarité
Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite cip-idf.org

Les lundi de 15h à 17h30
à la CIP, Commune libre d’aligre, 3 rue d’aligre, Paris 12ème
Tel 01 40 34 59 74

La coordination La coordination a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement de 100 000 € d’astreinte au profit de la Ville de Paris. D’abord provisoirement installés dans un local municipal exigu, nous vous demandions de contribuer activement à faire respecter l’engagement de relogement pris par la Ville. Il s’agissait d’imposer un relogement qui permette de maintenir et développer les activités de ce qui fut, quai de charente, un centre social parisien, alors que le manque de tels espaces politiques se fait cruellement sentir.

Pour mémoire Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde.



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