Petit manuel pour aider au désengagement de l’état.
par Bruno Allain
Comment s’y prendre ?
Choisir des entreprises nationales, ou des entreprises dans
lesquelles l’état est engagé, et faire en sorte qu’elles soient mal
gérées. Demander l’aide de grands PDG qui sont des spécialistes. Leur
soumettre quelques conseils :
Alourdir le poids de l’administratif tout en allégeant au
maximum le personnel sur le terrain.
Mener une politique de croissance et de diversification, en
particulier en achetant des entreprises déficitaires ou moribondes au
prix fort. Se pencher avec attention sur le cas des entreprises dans les
pays en crise économique grave. Cela permet de provoquer des trous
gigantesques en un temps record.
Engager le dialogue avec les syndicats et imposer une réforme
absurde qu’ils ne peuvent que refuser. S’indigner de la grève qui s’en
suit. Faire part avec apitoiement du coût journalier d’une telle grève.
Revenir à la table des « négociations » en faisant une concession sans
conséquence qui permettra à deux ou trois syndicats minoritaires de
signer. Si le mécontentement continue, hurler que la démocratie est en
danger. Rendre ainsi la poursuite de la grève impopulaire en suivant
l’adage : diviser pour mieux régner. Attendre que tout cela se délite en
plaignant les usagers et les clients. Demander à l’état de pousser un
coup de gueule et de rappeler que aujourd’hui n’est pas hier, que
aujourd’hui le pays est en situation de crise économique profonde et que
aujourd’hui l’argent ne coule pas à flots comme hier. Se féliciter
officiellement de la reprise du travail et du civisme des salariés. Se
féliciter en privé de la réforme qui va augmenter le déficit.
Quelque temps plus tard, demander un audit des entreprises choisies
précédemment par un groupe de députés qui se scandalisent devant le
gaspillage de l’argent public. Par exemple prendre Douste-Blazy dans le
rôle du député et EDF dans celui de l’entreprise nationale.
Constater que ça ne peut plus durer. Lancer des réformes dans le
but de réduire les déficits. Miser sur la décentralisation, sur le
découpage en morceaux pour que chaque morceau soit plus près du peuple.
Attention au lapsus, ne pas dire dépeçage. Repérer les morceaux les plus
juteux. Prendre soin de les présenter comme les plus déficitaires ou
comme ne touchant pas le coeur même du service fourni par l’entreprise
nationale : ça, c’est sacré. Prier des entreprises privés de s’occuper
de ces morceaux décrits comme ingérables. Pour cela, légiférer afin
qu’elles obtiennent des aides.
Constater que malgré le dégraissage l’entreprise nationale est
toujours déficitaire. Effectuer des contractions de personnel et des
mises à la retraite anticipée pour durer un peu et faire monter la
pression. S’indigner alors du rôle prépondérant de l’état. Arguer à
nouveau que ça ne peut plus durer, que le monde change, qu’il faut
s’adapter, que là se situe la vigueur d’une nation et lancer l’idée de
la privatisation comme meilleur moyen justement de s’adapter au monde
moderne. Se réjouir de toutes ces réformes. Déplorer le très bas prix de
vente de ces entreprises, mais vraiment ça ne valait plus rien, et
saluer quelques amis sympathiques d’avoir pris sur eux le fait de
racheter leur futur outil de travail.
Noter au passage que les PDG fautifs ont été remerciés sans
dévoiler bien entendu qu’ils continuent à percevoir leurs salaires sur X
mois et qu’en plus ils touchent ...etc... Prendre acte que certains
soient conduits devant la justice : la justice doit suivre son cours
sereinement. Se réjouir quelque temps plus tard d’un non-lieu comme dans
le cas du Crédit Lyonnais dont le contribuable continue, lui, de combler
le gouffre. Déplorer que certains autres, « les pauvres », soient mal
traités par la presse ou les médias quand ils sont filmés en train de
monter dans leur jet privé. Se taire s’ils réclament quelques
indemnités, surtout par le biais de tribunaux étrangers (Ah la
mondialisation), par exemple 20 millions d’euros en guise d’argent de
poche.
Appeler ensuite ses petits camarades et les inviter à boire le
champagne lors une garden party
Remarquer sans triomphalisme que ce qui faisait des déficits quand
c’était public fait des bénéfices quand c’est privé. Omettre de comparer
les services puisqu’il est évident qu’ils se sont « améliorés ». Venter
alors les mérites du libéralisme.
Continuer sans vergogne à faire des profits maximum.
Par exemple en employant des intérimaires, des sous-qualifiés, des
RMistes récidivistes, des émigrés clandestins.
Par exemple en faisant tourner tout ce petit monde pour qu’il ne
s’attache à aucun boulot, à aucun lieu, à aucune personne, pour qu’il
prenne conscience en profondeur de sa précarité, pour qu’il n’ait que
son balai comme planche de salut.
Par exemple en négligeant l’entretien des infrastructures, ce qui
oblige à fermer certains ateliers pour cause de sécurité (après bien
entendu un ou deux accidents regrettables) ou à stopper certaines
activités. Choisir alors celles qui malgré un acharnement remarquable
dégagent encore un bénéfice.
Par exemple en réduisant à néant l’innovation ce qui en peu de temps
permet de perdre de nombreuses parts de marchés.
Par exemple en diminuant la qualité des services jusqu’au point de ne
plus pouvoir les qualifier de services et qu’ils deviennent des
emmerdements récurrents pour tous. Un truc très sympa dans le genre et
facile à mettre sur pied, c’est d’allonger jusqu’aux trottoirs les files
d’attente aux guichets.
Constater qu’après X années de profits importants l’entreprise
n’est plus rentable ou que, 5% de marge, cela est bien insuffisant aux
yeux des actionnaires. A ce point deux solutions :
1/ Déposer le bilan. Trouver un repreneur qui liquidera stocks
et capital foncier en usant de la bonne volonté aidante des salariés qui
y croient encore. Solliciter auprès de l’état un plan social pour faire
bonne figure. Liquider définitivement la boîte en ne payant les
dernières factures qu’aux entrepreneurs complaisants dotés de quelques
enveloppes.
2/ Provoquer un déficit colossal (il suffit généralement de
faire perdurer la catastrophe de deux à six mois) de façon à ce que
l’activité même de l’entreprise soit menacée. S’indigner d’une telle
situation : il s’agit tout de même d’un service indispensable à la
nation, comme l’eau, les routes, les communications...etc... Maudire les
gouvernements précédents qui n’ont rien fait, tout en ajoutant ne pas
juger leur action. Demander à l’état de se porter garant, de faire un
effort, de sortir le pays de la noyade.
Entamer une campagne d’information. Finalement nationaliser. Ou
mieux : faire acheter la boîte colossalement déficitaire par une
entreprise nationale en début du cycle de désengagement de l’état, ce
qui permettra (une pierre, deux coups) de commencer à grever son budget.
Se réjouir de cette nouvelle réforme qui, certes, demandera un effort du
contribuable (n’oublions pas qu’il a déjà accepté la CSG qui réussit en
plus le tour de force de lui faire payer un impôt sur le revenu
concernant des revenus qu’il ne touche pas) mais permettra de sauver
l’essentiel.
Appeler ses petits camarades et les inviter à boire le champagne
lors d’une garden party. Se féliciter entre soi d’être « revenu » à la
case départ et constater que décidément le peuple avait beaucoup
d’argent. Enfin lancer un bon mot en disant : celui qui gagne le plus,
c’est celui qui coule.
On peut signaler en corollaire que ce qui est faisable pour une
entreprise est aussi faisable pour une catégorie socio-professionnelle.
Pour cela, organiser le déficit chronique et exponentiel de la
branche. Par exemple en obtenant la complicité d’entrepreneurs publiques
ou privés et en fermant les yeux sur les abus qu’ils commettent, mettant
ainsi le système en danger. Dire alors que le système est obsolète, que
le monde change, qu’il faut s’adapter, que c’est ça qui est bien dans la
vie. Et prôner le dialogue.Très important le dialogue.
Laisser mijoter le dialogue pendant un temps assez long, laisser
bouillir à petit feu, laisser le couvercle par dessus le tout. Faire
entendre enfin qu’il faut en finir, que la situation ne peut pas durer,
que le système lui-même doit disparaître. Puis un beau matin sortir une
réforme de sa manche, une réforme qui ne tient aucun compte du dialogue
antérieur, une réforme cependant qui maintient le système (hourrah) mais
au prix fort (car nombreux sont les salariés qui vont en être éjecté) et
qui ne résoud aucun problème. En particulier le déficit et les abus.
Préparer son coup à l’avance pour que un ou deux syndicats même
extrêmement minoritaires acceptent la réforme après quelques
aménagements mineurs. En particulier des aménagements qui permettent à
ceux qui abusent de rester dans le système et aux autres d’en être
exclus à terme. Dire que c’est un bon accord, qu’on a évité le pire,
qu’on a sauvé le système. Nier évidemment que la précarité dans la
branche en question sera de plus en plus grande. Se réjouir en privé de
cette précarité qui permettra aux entreprises privées de trouver des
professionnels à moindre coût. Ne pas comprendre le tollé général chez
les salariés. Promettre de l’argent pour qu’ils se taisent. Bon Dieu !
Qu’ils se taisent ! Et être confiant en la baisse de pression qui se
produit habituellement tout au long du mois d’aôut.
Cependant attention.
Attention, parfois ils se taisent vraiment et ça dérange.
Attention, parfois ils manipulent des idées et ouvrent les yeux à
d’autres
Attention, parfois ça les met dans un tel état de désespoir que ça
se retourne contre vous.
Attention, parfois ils votent. Les autres aussi.