de Corine Miret et Stéphane Olry La Revue Éclair
à Monsieur Jean-Jacques Aillagon
Ministre de la Culture et de la Communication
Paris, le 4 septembre 2003
Monsieur le ministre,
La saison dernière La Revue Éclair que nous dirigeons a présenté trois spectacles : ... « La Vita Alessandrina, Avant-Projet Définitif »... au Théâtre de la Cité Internationale dans le cadre du festival d’Automne,... « Le Salon de lecture » ... à la Grande Halle de la Villette, et ... « Nous avons fait un bon voyage, mais » ... en tournée. Après la signature de l’accord du 26 juin dernier, nous avons calculé que si l’accord prenait immédiatement effet, sur les 19 artistes et techniciens qui ont travaillé cette saison pour La Revue Éclair, 9 perdraient leurs droits aux allocations chômage. Ce calcul simple a disqualifié et disqualifie encore cet accord à nos yeux. Nous n’avons donc pas manqué de vous le faire savoir.
L’accord a cependant été agréé sur vos conseils par le gouvernement. Aujourd’hui, vous déclarez votre intention d’organiser des assises affin de « jeter les bases d’une loi d’orientation sur le spectacle vivant ». Permettez-nous donc à cette occasion de vous soumettre quelques remarques et suggestions.
D’abord, pour avoir participé à de nombreuses assemblées générales contre cet accord, nous pouvons vous affirmer que la lecture attentive du protocole du 26 juin a été le plus efficace ferment de sa contestation. C’est bien en connaissance de cause que nous avons conclu que cet accord nous interdira à terme de pratiquer nos métiers.
Ensuite au cours des grèves, les spectateurs n’ont pas été pris « en otage » comme vous l’avez déclaré. Ils ont été pris à témoin : sans artistes pour jouer, sans techniciens pour monter les scènes, il n’y a pas de théâtre. Au reste, le spectateur que vous êtes aussi, Monsieur le ministre, sait que les annulations de spectacle sont d’ordinaire rarissimes. Il fallait que la situation fût "une extrême gravité pour que des artistes décident de saborder leurs spectacles.
Nous espérons qu’ une fois apaisées les passions de cet été, vous mesurerez un jour combien cette assimilation à des forcenés manipulés par je ne sais qui pouvait avoir de déplacé.
À présent, quelques observations concernant le financement de nos activités, et les propositions que fait le gouvernement à cet égard. Notre structure n’est pas conventionnée. Les projets que nous initions à La Revue Éclair sont financés par des subventions ou par des co-productions. Dans l’état actuel des choses, La Revue Éclair n’a donc pas les moyens de payer de salaires à des permanents. Elle est aussi hors d’état de se substituer aux Assedic pour rémunérer la réalité du temps de travail de l’équipe artistique.
Vous déclarez, Monsieur le ministre, qu’il appartiendra désormais aux théâtres, producteurs de nos spectacles, de payer les répétitions - nous remarquons que vous gardez le silence sur le temps d’écriture, qui est loin d’être le moindre. Nous supposons donc que les théâtres se trouveront dotés par vos soins des moyens nécessaires pour ce faire : dans le cas contraire, votre intervention signifiera simplement que chaque théâtre produira moins de spectacles. De la même façon, nous n’osons imaginer que vos services se contenteraient d’ajouter une ligne dans les formulaires de demandes de subventions stipulant qu’à présent, les compagnies devront apporter la preuve que toutes les répétitions ont effectivement été payées. Mais nous espérons que vous veillerez à ce que les aides à la productions et les aides à la créations destinées aux compagnies soient augmentées. Nous regrettons évidemment que cet effort financier n’ait pas été fait plus tôt : le déficit des annexes 8 et 10 eût été moins important, et un argument de poids de ceux qui veulent les détruire leur eût été d’emblée retiré.
Dans le journal « Le Monde », le Premier ministre nous propose de nous tourner vers les collectivités locales affin de combler le déficit des productions artistiques. Cela correspond à un idéal de la décentralisation qui est le sien, mais auquel vous semblez peu croire vous-même puisque vous n’y consacrez pas une ligne dans la tribune que vous avez publiée quelques jours plus tard dans le journal « Libération ». Vous savez en effet comme nous que décentralisation et pérennité du travail artistique sont antithétiques : il n’est que d’entendre les lamentations des directeurs de théâtre, dont des années de travail sont au mieux remises en cause, au pire détruites à chaque changement de majorité municipale pour s’en convaincre. Votre intention personnelle semble de concentrer les activités de création autour des Centres Dramatiques ou Chorégraphiques Nationaux. L’expérience nous montre cependant que l’émergence des nouvelles générations d’artistes a eu lieu ces dernières années dans des lieux atypiques assez éloignés des grosses machines institutionnelles.
gras « ...du texte en italique en... ».
Ces institutions ont pu dans notre cas accompagner le succès de nos productions les plus risquées ; elles n’ont presque jamais été à leur origine. Ainsi donc, votre conseiller pour le théâtre, M. Brunner a accueillis dans le théâtre qu’il dirigeait à Forbach notre spectacle ....« Nous avons fait un bon voyage, mais »... qui a été joué 130 fois en province, à Paris, ou à l’étranger. Mais, nous n’avions que nos indemnités Assedic comme revenu et comme mise de départ lors de la conception de ce spectacle. Enfin, vous annoncez dans beaucoup de vos interventions votre intention de privilégier la création, le « renouvellement générationnel », ce qui est louable. Cependant, la preuve reste à faire que vos services disposent des outils d’évaluation pertinents pour opérer des choix si radicaux que ceux que vous semblez imaginer. Et quand bien même ces choix seraient opérés, nous craignons que ces administrations ne soient pas armées pour résister aux pressions de ceux qui, par conservatisme, s’opposeraient à ces choix. Nous doutons donc beaucoup de la capacité de votre politique à se substituer à cette subvention cachée que constituaient jusqu’alors le versement des allocations chômage distribuées par les Assedic.
Vous écrivez que l’intermittence doit être désormais réservée aux artistes porteurs de projets « fragiles, tendus, précaires parfois ». Voilà une excellente définition du travail promu par La Revue Éclair. Mais comment sera sélectionné notre projet parmi tous ceux qui comme nous croiront aussi se reconnaître dans cette définition ? Il ne nous semble pas que les partenaires sociaux gérants l’Unedic aient pour mission d’opérer des choix aussi complexes.
Sincèrement, Monsieur le ministre, nous avons bien compris que le soutien que vous avez apporté à cet accord du 26 juin avait pour but de se débarrasser des structures comme La Revue Éclair. Nous savons qu’on se plaint depuis longtemps au Ministère de la Culture d’être submergé par les demandes de subventions ; les directeurs de théâtre assurent ne plus pouvoir répondre aux sollicitations des artistes ; et enfin, les gestionnaires de l’Unedic annoncent qu’ils ne peuvent plus indemniser des allocataires dont le nombre double tous les dix ans. M. Seillière a joué les utilités en offrant avec l’accord du 26 juin une méthode simple pour se débarrasser de ces sureffectifs supposés.
Hélas, avec cet accord, la sélection se fera de manière obtuse et aléatoire : demeureront les artistes les plus magouilleurs, les plus endurants, les plus arrangeants. Les plus fragiles disparaîtront au profit des plus opportunistes.
Conscient de ce défaut majeur de l’accord, vous annoncez une politique volontariste du Ministère de la culture en faveur des structures les plus prometteuses. Or, c’est bien là que gît le désaccord de fond qui nous sépare.
Nous avons choisi ces carrières car nous refusions ce monde de la compétition, de l’élite, de l’excellence, de l’exclusion qui nous était proposé. Nous avons accepté de soumettre notre travail à un seul double jugement : celui des spectateurs et celui de la postérité. Nous ne croyons pas à ces sélections d’experts anonymes qui sous le prétexte de soutenir l’excellence seront le terreau d’un nouvel académisme qui n’ose pas dire son nom. Nous croyons pour notre part au bouillonnement vital de la création offrant une chance à des mutations imprévues.
Monsieur le ministre, nous sommes d’accord avec vous sur un point : « une page de l’histoire culturelle de la France a été tournée ». Mais, franchement, dans l’état actuel des choses, nous manquons d’enthousiasme pour répondre à votre appel à « écrire ensemble une nouvelle page de l’histoire culturelle de la France ». Nous ne pensons pas être les seuls dans notre situation, et nous nous demandons quels artistes, directeurs de théâtre ou de festival envisagent de se rendre aux assises du spectacle que vous vous promettez d’organiser.
Pourtant, ayant assez peu à perdre, nous ne sommes pas hostiles aux réformes. Et si nous nous opposons à vos choix politiques, nous n’avons pas de raison de douter de votre engagement personnel au service de Part. Aussi, permettez-nous de vous proposer trois suggestions :
Vous déclarez votre intention « d’entendre les avis du plus grand nombre possible de professionnels ». Il nous semblerait donc logique qu’à l’occasion des assises que vous promettez d’organiser à l’automne prochain, vous offriez une tribune à la parole des artistes, des techniciens, c’est-à-dire de ceux qui font le théâtre. Il ne serait pas décent que des gens qui ne partagent pas notre précarité soient appelés à rendre compte de nos vies. Cette parole, pour l’heure, est détenue par les coordinations qui se sont crées cet été : nous vous demandons donc qu’elles soient largement présentes aux assises.
De la même façon, nous voulons que la voix singulière de ceux qui dirigent les compagnies soit prise en compte, et représentée comme telle. Ainsi, en réunissant des assises vraiment démocratiques, vous pourrez vous appuyer sur un large consensus pour réformer profondément les annexes 8 et 10, ce que vous déclarer vouloir faire.
Car, si telle est votre intention, il vous faudra chercher des soutiens au delà de votre propre camp pour proposer la seule méthode qui permettra de pérenniser réellement ce statut : c’est à dire en assurer une partie du financement par l’état. Seule cette solution que nous vous suggérons peut permettre de transformer une « subvention honteuse », en un acte délibéré, clair de la République offrant un véritable statut aux artistes. En effet, en entrant dans le financement de ces annexes, vous vous donneriez le droit d’en contrôler la gestion et d’en définir ainsi le champ d’application, ce que vous dîtes souhaiter. Cela sera enfin et surtout l’occasion d’élargir l’assiette de cotisations des annexes 8 et 10 qui n’a, en effet, pas à être supportée par les seuls employés et employeurs du secteur privé. Par ce biais, vous pourrez ainsi déterminer clairement non pas uniquement quels artistes vous voulez promouvoir, mais quel type d’activité artistique vous paraît devoir être défendu. Cela sera alors l’occasion d’élargir ce statut aux écrivains et aux plasticiens. Ainsi la France pourrait donner l’exemple unique au monde d’une nation proclamant le prima qu’elle donne aux oeuvres de l’esprit.
La réflexion devant précéder l’action, nous vous demandons enfin de suspendre l’application de l’accord du 26 juin jusqu’à l’instant où les assises auront permis de déterminer un nouveau statut réellement réformé.
Monsieur, le Ministre, nous espérons vivement que ces assises seront l’occasion de faire entendre des voix nouvelles et des propositions inédites.
Dans le cas contraire, nous serions amenés à constater que les appels au dialogue émis par les plus hautes sphères de l’état ne sont qu’une déclinaison de la vieille technique de la carotte et du bâton. Or, nous n’avons pas choisi nos métiers afin de baisser la tête devant l’une ou devant l’autre.
C’est dans l’attente de cette réponse, que nous vous prions de recevoir, Monsieur le ministre, nos salutations respectueuses.
Corine Miret et Stéphane Olry. La Revue Éclair