Indignation et colère, c’est en tant que directeur d’un Centre
Dramatique National que je me sens solidaire sans réserve des grèves
et du mouvement qui défend le régime des intermittents.
En premier lieu doutons de la nécessité et de l’urgence d’une
révision. Si elle a été souhaitée par les professionnels de la
culture eux-mêmes, c’est pour différencier les secteurs qui
bénéficient du régime et affirmer clairement que ces indemnités
uniques dans leurs modes sont une aide indirecte à la vie culturelle.
Il est donc indécent de voir des employeurs comme les sociétés de
productions audiovisuelles arrondir leurs budgets et obliger leurs
employés à une précarité qu’elles pourraient éviter.
L’utilisation de cette indemnisation n’a tout de même pas le même
sens quand elle agrandit les recettes d’un jeu télévisé et quand elle
permet de faire jouer Molière.
Ce sont pourtant et principalement les hommes et femmes du spectacle
et du cinéma qui sont taxés d’être des privilégiés et des profiteurs,
et quelques fois par le milieu lui-même, (alors que la majorité
d’entre eux vit plutôt mal que bien de ce régime). Quand on ne
cherche pas à les culpabiliser avec la situation d’encore plus
précaires, les saisonniers par exemple, mais pourquoi pas les
« RMIstes » ?
Les accuser de préférer toucher leurs indemnités plutôt que d’exercer
leurs arts et métiers est tout aussi abject que d’accuser les
familles pauvres de faire des enfants pour toucher les allocations.
La bassesse de ces arguments ne mérite pas de réponses, elle vient
souvent d’ailleurs des plus profiteurs, des plus solides, des
tricheurs les plus organisés à savoir des employeurs eux-mêmes,
privés et publics, qui jouent les pères la vertu. Mais parlons
effectivement de ces grandes entreprises souvent ouvertement
marchandes et sans aucun lien avec l’art et la culture (à moins que
Disney soit la seule culture qu’on veuille nous laisser) qui
proposent des contrats intermittents alors même que leurs budgets,
quand ce n’est pas leurs subventions, leur permettraient d’assurer
une permanence de l’emploi.
La réforme telle qu’elle est souhaitée n’empêchera pas leur abus du
système (les entreprises qui font passer leurs permanents pour des
intermittents en ne les déclarant que sur des périodes tronquées et
en laissant les Assedic compléter leurs revenus, n’ont avec cette
« réforme » aucune nouvelle entrave. Il suffit d’adapter le mode de
calcul. Quant aux intermittents qui travaillent beaucoup, ils
n’auront qu’à fusionner leurs cachets pour obtenir plus de jours
indemnisés à un meilleur taux. En somme les fraudeurs resteront
fraudeurs), c’est le secteur du spectacle vivant et du cinéma, le
plus probe et le plus fragile qui sera touché de plein fouet. Les
télévisions n’auront qu’à faire entrer dans leur production la
nouvelle donne économique, et recalculer leur bénéfice en fonction
des pertes, mais le théâtre, le cinéma, la musique et la danse
perdront ce qui leur permettait de survivre, une main-d’oeuvre
extrêmement compétente et mobile à la fois, nécessaire aux
fluctuations d’activités très grandes de nos professions.
Ce ne sont pas les institutions qui seront frontalement dégradées
mais ce pourquoi elles sont ; l’art lui-même condamné à un
amateurisme sans issue.
Encore une fois ne prenons pas comme un axiome que ce régime soit
condamnable, il assure une mobilité qui est un exemple rare
d’économie à géométrie variable, il met d’accord employeurs et
employés, enfin il assume une aide indirecte que le Ministère de la
Culture ne veut pas prendre en charge. N’oublions pas que la
politique culturelle a fait le choix de l’intermittence, le choix de
ne pas créer des maisons qui puissent mensualiser des permanents
comme c’est le cas en Allemagne. La décentralisation et le théâtre
public ont choisi cette précarité pour assurer un renouvellement
artistique et une souplesse aux formes nouvelles. Voilà pourquoi nous
ne pouvons pas admettre que le Ministère de la Culture se pose en
témoin ou en arbitre d’une négociation où il est juge et partie, il
doit, quelles que soient ses solidarités avec le gouvernement,
refuser que l’exception culturelle soit rognée, veiller à la
sanctuarisation de ses acquis, affirmer qu’il ne les confond en rien
avec des privilèges, désigner les abus et dérives dans les rangs des
employeurs (est-ce qu’il est si difficile que le Ministère assume
d’être une véritable autorité de régulation) et le cas échéant
remettre sa lettre de démission. Ne s’agit-il pas de sauver l’honneur
de cinquante ans de politique culturelle ? Ou bien il lui faut
accepter qu’il n’est qu’un jouet démagogique dans un système marchand
qui a pris la place de la République.
La plus grande perversité du Ministère de la Culture est de prétendre
défendre ce régime, mais le défendre contre qui sinon contre les
diktats de Bercy ? Car n’en doutons pas, les économies ridicules de
cette révision (sur les 24 millions d’emplois en France, moins de 90
000 personnes déséquilibreraient tout un régime ?) cachent une
stratégie politique, une avancée symbolique pour abîmer la nécessité
d’une politique culturelle. Oui, cette révision entre dans un plan de
plus en plus affirmé d’abandonner le spectacle vivant et le cinéma
d’auteur ou tout au moins de ne plus les protéger des enjeux
mercantiles.
Présenté comme un compromis bienveillant, comme une avancée
nécessaire, masqué sous des complexités comptables, c’est en fait un
premier grand coup peut-être irréparable, du cynisme dirigeant,
contre la vie élémentaire de l’art et de la pensée.
Olivier PY
Vous trouverez ci-dessous 2 simulations. Je les ai faite le plus clair possible.
Elles vont dans le sens de l’analyse remarquable de la commission documentation.
SIMULATION 1
Arnaud est comédien.
Ses droits assédic sont ouverts au 1er janvier.
Son indemnité journalière est de 40 euros.
La règle est que l’on regardera s’il peut rester intermittent quand son 243 ème
jour d’indemnité sera versé.
Mois 1 ( 31 jours)
24 cachets à 100 euros = 2400 euros
2400/40 = 60
31-60 = -29
Donc ce mois-ci Arnaud aura 0 jour indemnisé. Il lui reste 243 jours
d’indemnités.
Mois 2 ( 28 jours)
20 cachets à 120 = 2400 euros
Donc ce mois ci Arnaud aura 0 jour indemnisé. Son crédit est toujours de 243
jours.
Mois 3 (31jours)
10 cachets à 120 euros = 1200 euros
Donc ce mois ci Arnaud aura 0 jour indemnisé. Son crédit est toujours de 243
jours
Mois 4 (30 jours)
10 cachets à 120 euros = 1200 euros
Donc ce mois ci Arnaud aura 0 jour indemnisé. Son crédit est toujours de 243
jours
Mois 5 (31)
Arnaud n’a pas travaillé
Donc ce mois-ci Arnaud aura 31 jours indemnisés. Son crédit est de 243-31 = 212
jours
Mois 6 (30)
Arnaud n’a pas travaillé
Donc ce mois-ci Arnaud aura 30 jours indemnisés. Son crédit est de 212-30 = 182
jours
Mois 7 ( 31)
Arnaud n’a pas travaillé
Donc ce mois-ci Arnaud aura 31 jours indemnisés. Son crédit est de 182-31 = 151
jours
Mois 8 (31)
Arnaud n’a pas travaillé
Donc ce mois-ci Arnaud aura 31 jours indemnisés. Son crédit est de 120 jours
Mois 9 (30)
Arnaud n’a pas travaillé
Donc ce mois-ci Arnaud aura 30 jours indemnisés. Son crédit est de 90 jours
Mois 10 ( 31)
Arnaud n’a pas travaillé
Donc ce mois-ci Arnaud aura 31 jours indemnisés. Son crédit est de 59 jours
Mois 11 (30)
Arnaud n’a pas travaillé
Donc ce mois-ci Arnaud aura 30 jours indemnisés. Son crédit est de 29 jours
Mois 12 (31)
2 cachets à 100 euros = 200 euros
200/40 = 5
31-5 = 26
Donc ce mois-ci Arnaud aura 26 jours indemnisés. Son crédit est de 29-26 = 3
jours
Mois 13 (31)
4 cachets à 280 euros = 1120 euros
1120/40 = 28
31-28 = 3
Donc ce mois-ci Arnaud aura 3 jours indemnisés. Son crédit est de 3-3 = 0 jour.
Crédit épuisé.
Fin de contrat, rendez-vous aux assédic
On regarde les 10 mois ½ précédant donc on remonte au milieu du mois 3.
Arnaud a fait 21 cachets soit 252 heures.
Arnaud est Rmiste.
C’est d’autant plus bête qu’Arnaud a fait 64 cachets en 10 mois !!!
(592 heures en comptant des cachets de 8 heures pour les mois 1 et 2)
SIMULATION 2
Arnaud et Paul travaillent en même temps , ils déclarent le même nombre de
cachets aux mêmes dates et pour un même montant.
Leur ouverture de droit est au 1er janvier tous les deux.
Le seul paramètre qui les sépare est leur revenu journalier d’indemnités.
Arnaud a été moins payé que Paul l’année d’avant.
Arnaud a une indemnité journalière assédic de 40 euros.
Paul a une indemnité journalière assédic de 80 euros.
Mois 1 ( 31 jours)
Arnaud
12 cachets à 120 euros = 1440 euros
1440/40 = 36
31-36 = - 5
Donc ce mois-ci Arnaud aura 0 jour indemnisé. Il lui reste 243 jours
d’indemnités.
Paul
12 cachets à 120 euros = 1440 euros
1440/80 = 18
31-18 = 13
Donc ce mois-ci Paul aura 13 jours indemnisés à 80 euros.
Il gagnera 1440 + 1040 = 2480 euros.
Il lui reste 230 (243-13) jours d’indemnités.
Mois 2 ( 28 jours)
Arnaud
10 cachets à 120 + 10 cachets à 150 = 2700 euros
2700/40 = 67.50
28-67.5 = - 39.50
Donc ce mois ci Arnaud aura 0 jour indemnisé. Son crédit est toujours de 243
jours
Paul
2700/80 = 33.75
28-33.75 = -5.75
Donc ce mois ci Paul aura 0 jour indemnisé. Son crédit est toujours de 230
jours
Mois 3 (31jours)
Arnaud n’a pas travaillé donc 0 cachet.
Donc ce mois ci Arnaud recevra 31 jours d’indemnités.
243-31=212
Son crédit d’indemnité est donc de 212 jours
Paul n’a pas travaillé donc 0 cachet.
Donc ce mois ci Paul recevra 31 jours d’indemnités.
230-31=199
Son crédit d’indemnité est donc de 199 jours
Mois 4 (30 jours)
Arnaud
0 cachet. 30 jours d’indemnités
212-30 = 182
Paul
0 cachet. 30 jours d’indemnités
199-30 = 169
Mois 5 (31)
Arnaud
3 cachets à 120 euros
22 jours indemnisés. Crédit d’indemnité 160 jours
Paul
3 cachets à 120 euros
26 jours indemnisés. Crédit d’indemnité 143 jours
Mois 6 (30)
Arnaud
6 cachets à 150 euros
7 jours indemnisés. Crédit d’indemnité 153 jours
Paul
6 cachets à 150 euros
18 jours d’indemnités. Crédit d’indemnité 125 jours
Mois 7 ( 31)
Arnaud
4 cachets à 250
6 jours d’indemnités. Crédit 147 jours
Paul
4 cachets à 250
18 jours d’indemnités. Crédit 107 jours
Mois 8 (31)
Arnaud
6 cachets à 120
13 jours d’indemnités. Crédit 134 jours
Paul
6 cachets à 120
22 jours d’indemnités. Crédit 85 jours
Mois 9 (30)
Arnaud
3 cachets à 150
18 jours d’indemnités. Crédit 116 jours
Paul
3 cachets à 150
24 jours d’indemnités. Crédit 61 jours
Mois 10 ( 31)
Arnaud
1 cachet à 200
26 jours d’indemnités. Crédit 90 jours
Paul
1 cachet à 200
28 jours d’indemnités. Crédit 33 jours
Mois 11 (30)
Arnaud
3 cachets à 120
21 jours d’indemnités. Crédit 69 jours
Paul
3 cachets à 120
25 jours d’indemnités. Crédit 8 jours
Mois 12 (31)
Arnaud
0 cachet
31 jours d’indemnités. Crédit 38 jours
Paul
0 cachet
Les 8 derniers jours de son crédit indemnité sont versés.
Fin de contrat et 243 jours d’assédic épuisés.
On revient 10 mois ½ en arrière à partir de sa fin de contrat (30 Novembre)
Paul a fait 52 cachets (624 heures) depuis le milieu du mois 1.
Ses droits sont renouvelés. Il reste intermittent.
Son compteur de jours indemnisés repart à 243.
Vous avez la chance avec vous Paul.
Mois 13 (31)
Arnaud
4 cachets à 250
6 jours d’indemnisés. Crédit 32 jours
Mois 14 (28)
Arnaud
4 cachets à 120
16 jours d’indemnisés Crédit 16 jours
Mois 15 (31)
Arnaud
3 cachets à 400
0 jour indemnisé
Mois 16 (30)
Arnaud
2 cachets à 280
560/ 40 = 14
30-14 =16
16 jours indemnisés. Le crédit est épuisé.
Fin de contrat. Rendez- vous aux Assedic
On regarde donc les 10 mois ½ d’avant. Donc jusqu’au milieu du mois 6.
Ces 10 mois ½ Arnaud a fait 33 cachets soit 396 heures.
Dommage vous avez perdu votre statut . Bravo vous êtes Rmistes.
C’est con vous avez fait 71 cachets en 16 mois.
Et même 58 cachets sur les 12 premiers mois dont 55 (660 heures) dans les 10
premiers.
Paul qui a travaillé exactement comme Arnaud a eu plus de chance.
C’est le principe de la loterie.
La complexité de cet accord n’a d’égal que la perversité de ceux qui l’ont
pensé.
Samuel Churin (comédien)