Éloge de la page blanche
Le mouvement social appelé conflit des intermittents du spectacle dure depuis plus de vingt ans. C’est une longévité exemplaire dans l’histoire des luttes.
Pourquoi ? Parce qu’il dépasse largement le seul enjeu de la culture. Le régime spécifique d’assurance chômage des intermittents a été pensé dans une période de plein emploi pour assurer une continuité de revenu aux techniciens puis aux artistes qui par nature enchaînent des contrats courts. Aujourd’hui, 86 % des embauches se font en CDD. Ces contrats courts ne font plus exception, ils sont la norme. Le Medef ne veut pas supprimer ce régime spécifique pour des raisons économiques mais bien pour des raisons idéologiques : il ne faudrait surtout pas que ce modèle serve aux autres.
C’est un des principaux enjeux de ce conflit. En cette période d’austérité et de précarité grandissante, 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés. La situation est catastrophique et l’État se cache derrière le Medef pour faire 2 milliards d’économies en 3 ans sur le dos des pauvres. C’est un massacre.
En 2012, lors de l’élection présidentielle, aucun candidat n’a parlé d’assurance chômage. Seules des solutions toutes faites pour parvenir au Graal du fameux plein emploi étaient proposées. Toutes ces recettes faciles visaient à promettre un emploi aux 6 millions de chômeurs de notre pays. C’est aussi risible que tragique.
Nous savons aussi, et c’est un enjeu important, que notre couverture sociale nous permet de penser l’emploi autrement. Avant 2003, date de la première importante réforme, nous avions du temps pour penser, pour élaborer nos projets, pour nous former, pour nous remettre en question et pour dire non à des emplois qui ne nous convenaient pas. Ce temps est précieux, essentiel et c’est pourquoi notre modèle est un laboratoire qui intéresse tant les sociologues. Depuis onze ans, nous sommes souvent obligés d’accepter n’importe quel emploi à n’importe quel prix. Nous mesurons ce que nous avons perdu.
La lutte contre la précarité est un enjeu central. Nous devons donc nous battre, nous n’avons pas le choix, il en va de nos vies et de celles de tous les chômeurs. Notre slogan n’a pas changé : ce que nous défendons, nous le défendons pour tous.
Le combat est rude. À chaque grève ou blocage entraînant l’annulation de nos activités, trois phrases reviennent régulièrement :
. Vous vous tirez une balle dans le pied
. Vous sciez la branche sur laquelle vous êtes assis
. Vous vous trompez de cible
Et on nous donne souvent des conseils sur ce que nous devrions plutôt faire.
Pour rassurer les bien-pensants, voici la liste de ce que nous avons déjà fait :
. Décryptage et analyse de l’accord sur l’assurance chômage
. Manifestations, rassemblements partout en France
. Occupation des ministères du travail et de la culture
. Occupation des toits du Medef et de l’Unédic
. Occupation des DRAC
. Occupation de toutes les agences Pôle emploi
. Occupation de la CFDT
. Publication de plus de 5000 textes
. Plusieurs auditions devant les missions d’information parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat
. Création du comité de suivi à l’Assemblée nationale, rassemblant élus de tous bords, syndicats d’employeurs et d’employés du domaine culturel
. Deux enquêtes sociologiques financées par les régions menées avec un laboratoire du CNRS
. Plusieurs vidéos d’explications, dont « Nous avons lu le protocole » et les « Ripostes »
. Lectures de textes et informations au public avant et après les spectacles
. Sensibilisation et distribution d’information sur les tournages
. Entretien et négociation avec les ministres du travail et de la culture
. Occupations de plateaux télé en direct dont le JT de France 2 et Star Academy
. Plus de 500 interviews radio et télé
. Plus de 30 tribunes publiées dans les journaux nationaux
. Organisation de débats et forums dans tous les festivals
. Dépôt d’une proposition de projet de loi (PPL)
. Des Universités Ouvertes
. Des AG partout en France
. Des conférences débats partout en France
. Participation aux assises de la culture
. Participation au Conseil national des professions du spectacle
. Des clips diffusés dans tous les cinémas de France
. Deux conférences de presse à Cannes dans le Palais des festivals
. Participation aux débats dans tous les festivals
Tout cela est beau et manifeste la vigueur et le foisonnement de notre mouvement.
Il n’en reste pas moins que tout ce qui a été acquis par le mouvement l’a été grâce aux mouvements de grève de 2003.
La grève est non seulement utile, elle est nécessaire. La grève, c’est un moment de respiration, un arrêt, un temps où nous pouvons nous retrouver, échanger, réfléchir.
Oui, nous voulons du temps.
Nous nous battons pour reprendre possession du temps. La grève c’est d’abord ça : du temps retrouvé. Nous sentons tous, et cela bien au-delà du monde de la culture, que ce qui nous échappe, ce dont nous sommes dépossédés, c’est le temps. Le temps de ne rien faire. Le temps de parler. Le temps de prendre du recul par rapport à notre travail, nos pratiques, nos vies. Les droits à l’intermittence pour tous que nous revendiquons, c’est la possibilité pour chacun de reprendre le pouvoir sur son emploi du temps.
Le Medef et la CFDT ont menacé de quitter l’Unédic ?
Quelle bonne idée ! Nous récusons depuis des années le déni de démocratie que constitue le paritarisme.
Nous souhaitons qu’une page blanche s’ouvre, que le jeu politique s’ouvre enfin sur la question centrale du chômage.
S’il le faut, nous la créerons nous-mêmes la page blanche, et enfin, il sera possible d’inventer.
Oui, pour créer, pour inventer, pour être libres, artistiquement comme politiquement, il nous faut du temps libéré de la contrainte, il nous faut du vide, il nous faut enfin ouvrir une page blanche.
Quoi qu’il en soit, nul n’écrira pour nous. La page blanche, nous la remplirons ensemble.
Au sommaire
Page blanche.
Eloge du silence
Arrêtez votre propagande !
Caisse de grève / Collectifs et coordinations en lutte
Décryptage de L’accord Unedic du 22 mars 2014 concernant les chômeurs, les intérimaires, les salariés licenciés, les intermittents du spectacle et les chômeurs « seniors »
La permanence de la précarité
Lettre d’un parasite
Cap au pays des contrôles, un droit n’est pas une dette.
Des sans part en action, montage photo.
Le 31 avril a bien eu lieu, détournements.
Guerre aux chômeurs, paix aux banquiers
Italie, le Job acts du gouvernement Renzi
Belgique, statut de l’article ou attrape couillons ?
Allemagne, Hartz High Kick.
Trente huit mètres, le 13 février 2013, Djamal Chaar s’immole par le feu aux abords d’un Pôle emploi Nantais.
Marcel Duchamp et le refus du travail.
Eloge de la page blanche
Je suis maître d’hôtel mais le plus souvent je suis serveuse
Questions qu’on.
Diffusé à prix libre, de zéro à l’infini.
A piller et utiliser sans merci par qui veut ! On peut citer le site de la coordination des intermittents et précaires (idf) pour qui veut butiner, creuser, suivre l’actualité des luttes en cours.
A tout bientôt dans la rue et ailleurs.