Ces tables de concertation [1] ont mis en avant une grande partie des dysfonctionnements de l’assurance chômage. Ce mot « dysfonctionnement » signifie concrètement pour le chômeur toujours plus de précarité et de pauvreté. Oui, tous ces problèmes conduisent à des drames dont nous pouvons mesurer l’ampleur grâce aux permanences de conseil aux premiers concernés que nous avons mis en place sur tout le territoire. Pour résumer en une phrase l’ampleur de la mission : notre société n’est pas du tout adaptée à la discontinuité de l’emploi, toutes les règles sont élaborées pour l’emploi permanent. Actuellement 86% des embauches se font en CDD, le nombre de chômeurs à activité réduite (catégories B et C) a explosé et 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés. Il est donc urgent d’arrêter de mentir avec les mots « plein emploi », pour enfin assurer une réelle continuité de revenus pour tous.
Il faut réformer profondément le système de protection sociale afin de l’adapter à toutes les formes d’activités discontinues. Prenons l’exemple du dossier « congés maternité ». Vous avez décidé de baisser le seuil de 200 à 150 heures à effectuer dans les 3 derniers mois précédant le congé. Ce toilettage, ne règle en rien le vrai sujet : à droit ouvert égal, être enceinte un jour de l’année plutôt qu’un autre a des conséquences terribles selon les cas. Pour certaines, le congé sera couvert par la sécurité sociale et par l’assurance chômage, pour d’autres, non. Cela est discriminatoire !
Pôle Emploi et le GUSO ne doivent plus être des zones de non-droit [2]. Pour ne prendre que deux exemples : Pôle Emploi a décidé de ne plus prendre en compte les heures de répétitions dans le cadre d’atelier de création artistique. Les œuvres répétées doivent être préalablement écrites et suivies de représentations publiques. Ainsi, bon nombre d’artistes voient-ils basculer ces heures au régime général. Pourquoi ? Personne ne peut le dire ! Le GUSO applique des nouvelles règles au cas par cas. Ainsi, des chanteuses lyriques se produisant dans une église ont-elles vu leurs heures refusées sous le prétexte que le public dans une église n’était pas un vrai public ! Autre exemple : du théâtre en appartement déclaré en bonne et due forme n’a pas été comptabilisé, parce que le cachet avait été versé en liquide ! Ce n’est pas à Pôle Emploi de décider ce qui relève du champs artistique ou non ! Pour invalider toutes ces mesures hors-la-loi, il faut abolir toutes les directives internes, tous les modes opératoires, qui n’ont aucune valeur en droit.
De plus, nous le répétons encore une fois : nous ne sommes pas une réserve d’indiens !
Vous persistez à séparer les intermittents du spectacle du reste des chômeurs alors qu’il y a une réelle porosité avec le régime général. Ne pas se pencher sur les règles de coordination entre le régime général et les annexes continuera à engendrer des inégalités de traitement aux lourdes conséquences. Dans la même logique de division, vous vous évertuez à vouloir séparer artistes et techniciens. Dans le rapport, la seule réelle prise de position concerne le refus de l’annexe unique [3] : c’est une erreur majeure. Elle est au contraire indispensable ! Les statistiques Unedic montrent à quel point bon nombre d’intermittents déclarent des heures dans l’annexe 8 ET dans l’annexe 10. Votre raisonnement sur le volume d’heures plus important dans l’annexe 8 est irrecevable : demandez à un technicien qui fait du trucage vidéo s’il est facile de faire ses heures, alors que cette activité subit une délocalisation généralisée dans des pays qui pratiquent le crédit d’impôt. La discussion sur la liste des métiers n’a pas lieu d’être : c’est la pratique d’emploi qui devrait être retenue comme seul critère. Pourquoi deux intermittentes n’auraient-elles pas les mêmes droits ? Parce que l’une est pigiste et que l’autre joue du Racine ?
Vous préconisez une loi pour pérenniser les annexes 8 et 10. Mais, votre proposition ne sauvegardant que l’étiquette, rien n’empêchera le Medef de les supprimer. Nous le savons bien, puisque c’est ce qui vient de se passer pour l’annexe 4 des dits « intérimaires », qui a été vidée de son contenu lors de la dernière convention, et dont seul le titre a été maintenu [4]. Pour rappel, en 2004, François Hollande était au premier rang pour nous applaudir lors de la conférence de presse du Comité de suivi, tout le groupe socialiste à l’Assemblée nationale avait signé nos contre-propositions, une PPL avait été déposée avec un fléchage de date anniversaire sur 12 mois. M. Rebsamen a signé ces mêmes propositions 2 semaines avant d’être nommé ministre du travail. Pourquoi les promesses d’hier ne sont-elles pas tenues ?
Les annexes doivent pleinement rester dans la solidarité interprofessionnelle. Ainsi, il est inacceptable que les confédérations fixent un budget en amont de la négociation avec les syndicats du secteur. C’est acter la notion de budget à part, donc de caisse à part, et de déficit à part. Les 110 000 intermittents du spectacle ne coûtent pas plus cher qu’une moyenne de 110 000 chômeurs. Il faut cesser la stigmatisation et penser à des mesures justes et adaptées aux situations particulières plutôt qu’à des schémas qui s’apparentent à une caisse autonome. Ce n’est pas le budget qui doit guider les négociations, mais les besoins.
Avec notre modèle d’indemnisation, nous avons fait la preuve que l’on pouvait couvrir les plus précaires en dépensant moins. Pour la première fois, l’Unedic est forcée de reconnaître que nos propositions ne sont pas plus coûteuses. Un modèle vertueux peut être mis en place. Ces tables auront permis de démontrer, une bonne fois pour toutes, que la réforme de 2003 n’a pas été économique - puisqu’elle coûte plus cher, mais idéologique.
Par ailleurs, tous les chômeurs doivent bénéficier immédiatement du renouvellement de droits anticipés. En effet, la nouvelle disposition qui les oblige à aller à épuisement de leurs droits est catastrophique. Contrairement à ce qui est dit, les nouvelles règles concernant l’activité « reprise » couplée aux droits rechargeables sont une régression et non pas un progrès. Pour rappel, cette règle avait été imposée en 2003 pour les annexes 8 et 10. Suite aux conséquences désastreuses que cela engendrait, une circulaire avait permis d’accorder à tous les intermittents du spectacle de pouvoir renouveler leurs droits à n’importe quel moment. Comment une mesure considérée, à juste titre, comme néfaste pour les intermittents du spectacle a-t-elle pu être mise en place pour les chômeurs à activité réduite ? Combien de fois faudra-t-il répéter qu’un intermittent du spectacle est un chômeur en activité réduite ?
De plus, un rapprochement des AEM émises par les employeurs et celles transmises par les salariés tous les mois doit permettre de vérifier la cohérence des déclarations et de rectifier celles qui seraient tardives, erronées, ou omises sans pénalités ni sanctions. Or, le principe actuel est une double peine : on ne prend pas en compte les heures de travail mal déclarées ou déclarées tardivement pour l’ouverture de droits, mais on les valide pour réclamer des indus. C’est la raison pour laquelle Djamel Chaar s’était immolé par le feu devant une agence de Pôle Emploi [5]. Combien de Djamel Chaar faudra-t-il pour que cette mesure de bon sens soit prise ?
Ces tables de concertations ont prouvé que bon nombre d’organisations exclues du dialogue paritaire avaient leur mot à dire et des propositions viables [6]. Redéfinir les règles de la gouvernance de l’Unedic et penser un « dialogue social » élargi sont les seuls moyens d’assurer une véritable démocratie, dans laquelle les premiers concernés seraient réellement représentés. Il est anormal que le MEDEF ait un droit de veto sur toutes les décisions. Le travail sur les chiffrages des différents modèles d’indemnisation est positif. Mais, pourquoi cela n’a t-il pas eu lieu à chaque fois ? Pour les intermittents du spectacle, cela aurait évité la réforme totalement inutile de 2003 et, pour l’ensemble des chômeurs, les catastrophes annoncées de la convention 2014 [7].
A l’heure où la flexibilité est réclamée partout, il est urgent de penser l’intermittence de l’emploi autrement, afin d’assurer une continuité de revenus pour tous. Pour cela, il faut repenser le système dans sa globalité : les règles doivent être adaptées aux contrats courts, les chômeurs ne doivent plus être stigmatisés comme des fraudeurs, les mots « contrôles » et « abus » étant des présupposés qui fragilisent toujours les plus pauvres. Ainsi, les dernières déclarations de Mr. Rebsamen sont obscènes [8]. Dans la plupart des cas, le chômeur contrôlé voit son indemnisation coupée a-priori car Pôle Emploi applique la présomption de culpabilité. Et pour ceux qui veulent faire valoir leurs droits, une longue bataille juridique commence : en fin de compte, ils sont en grande majorité, réintégrés car tous ces contrôles se font au mépris du droit le plus élémentaire, mais à quel prix ?... Vous devez lire le rapport du Conseil National de Lutte Contre la Précarité et l’Exclusion, organisme dépendant du Ministère du travail, et présidé par Etienne Pinte. Il y est écrit que tous ces contrôles sont une catastrophe et il se conclut par « il est urgent de passer d’une société de défiance à une société de confiance ». Puisse-t-il être entendu...