A tous nos correspondants
Le 14 novembre 2003
Notre bureau s’est réuni régulièrement depuis septembre.
Nous avons enregistré les 183 courriers que vous nous avez envoyés cet été en réponse à la résolution de la conférence du 25 mai et au questionnaire, soutenant le comité par chèque, timbres et enveloppes timbrées, et nous donnant ainsi les moyens de notre combat et de notre totale indépendance. Nous vous en remercions.
La Brochure no 6, qui rend compte des travaux de la Conférence de défense du Patrimoine, de la Culture et de la Connaissance, est publiée et à votre disposition. (Passez vos commandes.)
Ces travaux se sont tenus juste avant l’été, et déjà nous sommes assaillis d’informations nouvelles toutes plus alarmantes.
Le J.O. du 2 août publie, sous le titre « Dispositions fiscales relatives au mécénat des particuliers, des entreprises et des fondations », de nouvelles mesures d’un dispositif que nous avions déjà longuement dénoncé tant il mettait en danger le patrimoine national.
Sous-titre I (Développer le mécénat des particuliers par un renforcement des incitations fiscales, réduction d’impôts) : la réduction passe de 50% du montant du don à 60% et la limite du revenu imposable est portée de 10% à 20% avec possibilité d’étaler sur cinq ans lorsque le plafond est atteint.
Sous-titre II (Favoriser le mécénat des entreprises par un doublement de l’avantage fiscal) : « Concernant l’incitation à l’acquisition d’œuvres d’art ou de trésors nationaux par les entreprises », les œuvres d’art sont maintenant exonérées de la taxe professionnelle et, concernant l’« obligation d’exposer les œuvres d’art acquises par les entreprises dans le cadre du mécénat dans un lieu spécialement aménagé », on lit maintenant qu’« il suffit que ce lieu soit accessible au public et l’obligation est restreinte aux cinq premières années ».
Quant à l’abattement d’impôt accordé aux fondations, il passe de 15000 à 50000 euros.
Faut-il commenter ?
C’est un journaliste de France-Inter, Vincent Joss, qui le fera à sa manière dans sa chronique :
« Le Ministère de la Culture définit le mécénat sur son site comme une « libéralité qui n’appelle aucune contrepartie bénéficiaire ». Or ce n’est jamais le cas. C’est un échange commercial, un parrainage, avec ses règles et ses dérives. Les effets sont pervers. Les établissements publics deviennent dépendants. Car souvent les mécènes passent mais ne restent pas. Exemple : EDF a financé la Villa Médicis à Rome. Mais EDF vient de se retirer. Pour l’Académie de France à Rome, c’est la catastrophe. Le Ministère de la Culture ne pourra pas combler le trou qui se forme. Même problème à l’Ecole des Beaux-Arts qui loue 400000 euros par an ses locaux à des défilés de mode. Des travaux sont en cours, donc plus question de location. Plus d’argent ! Voilà deux établissements [...] qui mettent en péril leur équilibre en faisant appel à des mécènes qui ne sont plus là... »
Toujours cet été, dans l’Avant-projet de loi de décentralisation, concernant le patrimoine, on lit :
Art. 65. I. « L’Etat ou le centre des monuments nationaux transfèrent à titre gratuit aux collectivités territoriales, qui en font la demande, la propriété des monuments historiques classés ou inscrits au titre de la loi du 31 décembre 1913 figurant sur une liste établie par décret en Conseil d’Etat, ainsi que des objets mobiliers qu’ils renferment. »
Et à la fin de cet article, on apprend bien sûr que « les emplois affectés à ces immeubles sont transférés à la collectivité territoriale concernée ».
Là encore, faut-il commenter ?
Dans tous les milieux, l’indignation se manifeste, et Le Journal des Arts lui-même (il s’agit du journal du marché de l’art) écrit dans son no 177 :
« Allemagne : la crise frappe la culture. Les Landers et les villes peinent à soutenir les activités artistiques locales. Malgré une longue tradition en Allemagne de soutien aux Arts et à la Culture, la crise actuelle menace la santé d’un système fondé sur la décentralisation. »
Le Journal des Arts avait déjà révélé l’information suivante dans le numéro précédent, sous le titre « Le Musée du Prado soumis à un vent de libéralisme » :
« Le nouveau statut [...] équivalent en droit français de l’établissement public [est] comparable à celui, entre autres, de la Banque d’Espagne. [...] Le Musée serait également libre d’embaucher et de licencier son personnel sans les contraintes imposées par le règlement de l’administration publique. [...] Cette réforme accorde plus d’autonomie au Musée donc, mais l’oblige aussi à augmenter ses recettes, autrement dit à devenir une institution rentable. [...] [Cela] s’inscrit dans un mouvement plus large qui voit les musées européens se libérer du giron de l’Etat avec le risque de dériver vers une logique de marché, au détriment de leur mission scientifique. »
Dessaisir l’Etat de ses prérogatives, marginaliser les scientifiques, les conservateurs, précariser les statuts et les personnels, tout un arsenal est mis en place :
« L’Etat n’a toujours pas versé au CNRS la moitié de sa subvention, soit 172 millions d’euros de l’année 2002. » (Le Monde du 23 septembre)
Et, mercredi 5 novembre, le Forum Ptolémée, organisé sous le parrainage des Ministères de la Culture, de l’Education Nationale et de la Recherche et de l’ICOM, met à l’ordre du jour les thèmes suivants :
« Diriger l’entreprise patrimoniale... La tentation de l’autonomie... Augmenter les ressources propres... Le conservateur est-il encore un chercheur ?... Le conservateur peut-il être un manager ?... Les régions expérimentent... »
Le nouveau « Musée de l’Homme » a ouvert le 12 novembre son exposition inaugurale, dans des galeries vidées : Blake et Mortimer à Paris. L’AFP précise :
« une scénarisation reconstituant toute l’ambiance des héros, agents secrets au service de Sa Gracieuse Majesté britannique [...] reconstitutions [...] Exposition ludique pour revivre les aventures des deux personnages légendaires, c’est aussi une exposition pédagogique jetant un pont entre fiction et réalité, imagination, science, rêve et histoire. »
Sans commentaires ? Si ! C’est scandaleux. Ils ont détruit le Musée de l’Homme, musée de l’Education nationale, de renommée mondiale ! Et ceci pour utiliser frauduleusement son nom prestigieux et en faire une vitrine de publicité pour... BNP Paribas, entre autres, qui couvre depuis quelques jours les journaux et toutes ses agences d’affiches « Blake et Mortimer ».
Honte à ces gouvernants qui ne respectent rien ! avait dit Jean Rouch. C’est maintenant, de toutes parts des cris indignés de journalistes, d’artistes, d’archéologues, scientifiques, conservateurs, qui s’élèvent contre ces exactions :
un scientifique du Muséum national d’histoire naturelle qui informe que : « Le Muséum d’Histoire naturelle de Florence est menacé de fermeture (au moins comme musée scientifique) ». Il demande une aide des collègues au niveau international et joint la pétition de ceux de Florence introduite ainsi : « Notre Université est au bord de la faillite et l’existence du Muséum menacée... » ;
un autre professeur envoie à ses collègues un texte d’alarme sur l’incurie criminelle de gouvernants qui contestent dans le détail aux scientifiques les moyens, les personnels, les locaux... et qui vont priver l’humanité de données essentielles sur la connaissance du vivant et de la diversité en ruinant la discipline primordiale de la taxinomie ;
un troisième, nous envoie un « texte d’espoir venant des USA » où une vague de protestations a fait démissionner la direction du Musée du Nord Arizona qui avait pris la décision, étant à cours de ressources financières, de déclasser puis de vendre des pièces uniques tissus peints au sable des Indiens Navajo à un marchand privé pour la somme de 850000 dollars.
Dernière minute : Dans Le Journal des Arts du 7 novembre, Roland Recht, professeur au Collège de France, membre de l’Institut, rend hommage à l’œuvre gigantesque et centralisatrice de Mérimée pour la sauvegarde par l’Etat du patrimoine national et s’insurge devant les désastres annoncés de la décentralisation.
Nous posons la question : qui a raison ? Mérimée qui construit ou ceux, Aillagon aujourd’hui, Tasca hier et son secrétaire d’Etat « à la décentralisation culturelle » Michel Duffour, qui dispersent, qui détruisent ?
Au Musée de l’Homme, tout l’été, des centaines de protestations ont encore été déposées. Celle-ci : « Où passe notre histoire, notre patrimoine ? Ce démantèlement est-il le signe annonciateur du déclin de la civilisation ? Comment inverser le cours des choses ? »
C’est effectivement sur cette question que la discussion est ouverte, avec des professionnels du spectacle, archéologues, professeurs d’arts plastiques, etc., avec vous tous. N’hésitez pas à nous donner votre point de vue.
Comité Patrimoine & Résistance
23, rue Harlay, 95590 Nerville
Tél. : 06 72 84 46 66
Fax : 01 34 69 25 38
Courriel : non_au_pillage hotmail.com
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