Un an après
Le 22 mars 2014, un accord sur les règles de l’assurance chômage était signé à minuit, dans une salle de réunion du MEDEF, après un gueuleton bien arrosé et de petits arrangements entre amis. Car c’est ainsi que l’on décide du sort de 6 millions de chômeurs et de leurs familles, de leur accès ou non à des allocations chômage, et du montant de ces allocations : selon des méthodes quasi mafieuses, sans contrôle démocratique, sans l’avis des principaux concernés.
Cette nuit-là, deux syndicats qui prétendent défendre les salariés, FO et la CFDT, ont signé un accord qui égrenait une liste de mesures pour appauvrir les pauvres et précariser les précaires : baisse drastique des allocations chômage pour les intérimaires et les intermittents de la restauration, différé d’indemnisation de 6 mois pour les nouveaux licenciés, nouvelles attaques contre l’intermittence du spectacle,...
Après tout, 6 chômeurs sur 10 en France ne sont pas indemnisés, alors pourquoi ne pas continuer la politique du pire ?
Quand des collectifs de chômeurs ont multiplié actions et grèves pour protester, la CFDT avait une réponse toute prête : « Ah vous les intermittents, vous êtes des égoïstes, regardez la mesure-phare de l’accord, le dispositif des droits rechargeables, un progrès fantastique pour les chômeurs du régime général qui sont beaucoup plus nombreux que vous ».
Quand François Rebsamen, ministre dit socialiste du Travail, a donné son agrément à l’accord, il a tenu le même discours : « Les droits rechargeables, c’est une avancée historique, vous comprenez, je ne peux pas ne pas signer, c’est formidable, c’est le dialogue social... »
Nous l’avons dit dès le premier jour, ce fameux dispositif des « droits rechargeables », fondé, comme la réforme de l’intermittence de 2003, sur une logique aléatoire et injuste, allait provoquer une catastrophe sociale de grande ampleur.
Aujourd’hui, nous sommes en pleine catastrophe.
Dès la mi-juin 2014, l’UNEDIC mentionnait dans une note interne que 500 000 chômeurs verraient leur allocation baisser à cause des droits rechargeables, mais cela n’empêcha pas François Rebsamen de donner son agrément.
Aujourd’hui chacun se rend compte qu’avec le croisement des nouvelles règles (sur la recharge, sur l’épuisement des droits, sur l’activité reprise), c’est un nombre exponentiel de chômeurs qui sont lésés et se retrouvent avec une allocation bien inférieure à ce qu’ils auraient touché sans la réforme.
Certains, sûrs d’avoir travaillé et cotisé suffisamment pour avoir droit à une indemnisation correcte, apprennent au guichet de Pôle Emploi qu’ils vont toucher une allocation inférieure au RSA, de 150 ou de 200€ par mois, et ce pendant des années.
Ce 18 mars, les « partenaires (a)sociaux » responsables du désastre, après avoir admis des « dysfonctionnements », se réunissent à la hâte pour faire disparaître les cas les plus voyants... Que ce soit clair : nous ne nous contenterons pas de corrections à la marge, « pour 30 000 personnes », comme l’annonce l’UNEDIC. C’est l’ensemble des personnes lésées qui doivent voir leur droits recalculés, et c’est toute la convention 2014 sur l’assurance chômage qui doit être abrogée.
Dix ans après
Quand on n’est ni chômeur ni précaire, on croit pouvoir écouter d’une oreille distraite ces histoires de réforme de l’assurance chômage ou du RSA.
Et pourtant.
S’il est un levier pour bouleverser un marché du travail, et une société entière, c’est celui-là.
Il y a dix ans, l’Allemagne achevait de mettre en place les lois Hartz, réformes de l’indemnisation du chômage et de l’aide sociale, réorganisation des Pôle emploi et des contrats prévus « pour sortir du chômage ». Le but avoué de ces quatre lois était « l’activation des chômeurs », en clair : faire baisser drastiquement les allocations pour inciter chacun à accepter n’importe quel boulot à n’importe quel salaire, voire sans salaire du tout.
Cette réforme de l’allocation chômage était accompagnée de dispositifs de contrôle qui se sont révélés toujours plus autoritaires et humiliants et d’une destruction massive du droit du travail, de la levée de tout frein sur l’intérim, de l’invention de « contrats atypiques » comme les « mini-jobs » payés 1€/l’heure.
A la suite des lois Hartz, le salariat allemand, qui était un des plus protégés et stables d’Europe, a vu ses conventions collectives voler en éclats, et voilà aujourd’hui le « modèle allemand » que l’Europe entière est sommée d’imiter : le plus grand secteur à bas salaires d’Europe,15 millions de pauvres, une espérance de vie en recul, le record d’Europe des inégalités. Ces dix dernières années, le salaire réel a baissé en Allemagne de plus de 4%, de 20% dans le secteur des bas salaires.
Dans le même temps, et par la grâce de réformes fiscales aussi peu redistributives que possible, les richesses accumulées par le 1% de la population le plus riche ont pris des dimensions inouïes et le fossé qui sépare l’élite fortunée de la grande masse des précaires, les régions riches des Länder pauvres, est plus profond que jamais.
Les faits sont clairs : avant d’imposer aux pays du Sud de l’Europe le chantage de la dette pour détruire leurs droits sociaux et ruiner la vie de leurs habitants, l’oligarchie allemande a infligé ce traitement de choc à sa propre population. Ces réformes, menées il y a dix ans par le gouvernement social-démocrate/vert de G.Schröder, Angela Merkel n’a pas eu besoin de les faire, puisqu’un gouvernement dit de gauche s’en était chargé.
De l’agrément donné à un accord UNEDIC qui tape sur les plus pauvres jusqu’à une loi Macron qui aggrave les conditions de travail des précaires, le gouvernement Valls suit la même logique néo-libérale et autoritaire.
Aujourd’hui
Ce 18 mars, c’est aussi l’inauguration du nouveau bâtiment de la Banque Centrale Européenne à Francfort, un gratte-ciel dont la construction a coûté 1 milliard 300 millions d’euros.
Si on sait depuis longtemps que la BCE est un outil de l’oligarchie européenne pour enrichir les riches et appauvrir les pauvres à coup de « programmes d’austérité », de destruction des droits sociaux et de démantèlement des services publics, son attitude actuelle vis-à-vis du nouveau gouvernement grec jette la lumière la plus crue sur ses méthodes et sur ses objectifs.
En coupant dès le lendemain des élections un des guichets nécessaires au financement des banques grecques, en refusant toute négociation sur l’effacement de la dette, la BCE, appuyée par tous les gouvernements de la zone euro hors Grèce, quelle que soit leur prétendue couleur politique, se livre à un chantage d’une simplicité élémentaire. Comme la CIA s’est chargée de faire tomber le gouvernement Allende au Chili en 1973, la BCE entend bien faire tomber le gouvernement Syriza par une sorte de « coup d’état » financier et silencieux, mais qui n’hésitera pas à s’appuyer, si cela s’avère nécessaire, sur la brutalité de quelques nazis locaux.
Il s’agit de faire un exemple, de montrer aux autres peuples appelés bientôt aux urnes en Espagne, au Portugal ou en Irlande qu’aucun écart par rapport au dogme néo-libéral ne sera toléré. Depuis le 25 janvier, toute la politique européenne, d’Angela Merkel à François Hollande, de Jean-Claude Juncker à Wolfgang Schäuble, ne vise qu’à discréditer l’option Syriza, pour convaincre les Européens de l’inutilité de tels votes.
Il s’agit de prouver, si besoin par la force, qu’aucune alternative n’est possible. Ni par la voie parlementaire sur laquelle des partis comme Syriza, Podemos ou le Sinn Fein irlandais sont engagés, ni par l’intervention politique directe : on voit par exemple ces derniers temps comment l’opposition aux « grands travaux inutiles », qu’il s’agisse de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, du barrage de Sivens ou du TAV Lyon-Turin, est contrée par une violence policière inouïe, par l’utilisation de milices néo-fascistes, voire par l’assassinat de militants, comme l’a montré le meurtre de Rémi Fraisse. Ainsi la rhétorique de la croissance et de l’emploi sert à faire avaler des politiques d’austérité toujours plus brutales, mais aussi à masquer l’absence totale de démocratie, sous quelque forme que ce soit, dans le fonctionnement actuel de l’Europe.
Que la BCE soit dirigé par Mario Draghi, ancien responsable du marché européen pour le groupe financier Goldman Sachs, et donc co-auteur des manœuvres financières qui ont conduit à l’explosion de la dette grecque, donne une idée de ce qu’il faut penser de cette institution. La cupidité et la peur sont les seuls moteurs de sa politique. M.Draghi et ses équipes de technocrates veulent gouverner l’Europe du haut de leurs tours, forts de toute une vie passée au service de l’industrie financière, qu’ils ravitailleront abondamment en argent public.
On sait que l’argent prêté à la Grèce est affecté au service de la dette, c’est-à-dire qu’il retourne dans les caisses des banques, opérant non un transfert de fond entre un Nord prospère et un Sud européen en crise, mais plutôt une subvention à des instituts privés avec l’argent des Etats.
L’oligarchie camoufle ce tour de passe-passe par des campagnes de presse où on fait croire aux contribuables allemands, y compris aux moins fortunés d’entre eux, que leurs impôts vont aux paresseux habitants du Sud de l’Europe : pour détourner le regard du linge sale des riches et de leur fortune, rien de tel qu’alimenter le ressentiment entre les peuples et de dresser les pauvres les uns contre les autres.
Chômeurs, précaires, intermittents, intérimaires, avec ou sans papiers, nous ne tomberons pas dans les pièges tendus par ces apprentis sorciers.
Luttons aux côtés des chômeurs d’Allemagne pour l’abolition immédiate des lois Hartz, luttons avec le peuple grec pour l’effacement de la dette et contre la dictature de la Troïka, luttons pied à pied pour une véritable indemnisation du chômage, mutualiste et solidaire, luttons ici et là-bas, luttons partout !
Coordination des Intermittents et Précaires Île-de-France
Paris
7h45 RV action au Café de la Commune d’Aligre, 3 rue d’Aligre, Paris 12è, M° Ledru-Rollin
Francfort
Des infos en continu sur le site de Blockupy Europe