Ebauche d’analyse d’une grève dite exemplaire mais somme toute ordinaire.
Ambiance électrique et délétère dans l’entreprise depuis plusieurs mois due aux travaux qui n’en finissent pas et qui perturbent la réalisation des émissions, à une direction déficiente et incompétente, à une absence de dialogue entre partenaires sociaux, à une réelle souffrance du personnel dont le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur, et à l’arrivée d’un nouveau pdg sûr de lui, qui accumule les bévues et affiche un réel mépris.
C’est la réaction radicale de certains face à cette situation qui a libéré les paroles et les actes, poussant l’ensemble des salarié.e.s et précaires à se lever et à revendiquer, pendant 28 jours d’une grève, qui a été qualifiée d’exemplaire et historique dans l’audiovisuel public, cette dignité tant bafouée...
Une formidable envie d’en découdre et une réelle solidarité se sont manifestées quelques temps avant le déclenchement de la grève et se sont confirmées le long des différentes assemblées générales qui ont ponctué ce mouvement.
Les organisations syndicales qui par ailleurs n’avaient pas brillé par leur combativité dans les mois et années précédant ce mouvement, ont dans la logique des règles gérant le « dialogue social dans l’entreprise » pris les choses en main, le train en marche et face à l’inertie de la direction, déposé des préavis de grève portant sur la production, les orchestres, les services de propreté et de sécurité et le démantèlement des radios locales.
Sous la pression de l’assemblée générale, les syndicats ont accepté de déposer trois autres préavis portant notamment sur les travaux, mais les ont finalement abandonnés, cédant à une direction qui considérait, au mépris des textes et de la loi, qu’ils étaient illégaux.
Il s’agit là de la première trahison dont se sont rendus coupables les syndicats réunis dans l’intersyndicale.
Dans l’esprit de ceux qui se battaient contre la direction, l’arrêt des travaux dans les studios moyens et des travaux monumentaux envisagés et la remise en question de la gabegie occasionnée par ces même travaux et de l’opacité quant à l’utilisation des fonds affectés à ces travaux et leur formidable dépassement, étaient des thèmes centraux et cruciaux dans la lutte engagée.
La première erreur de l’assemblée générale, c’est d’avoir confié aveuglement le soin aux organisations syndicales de porter leurs revendications et surtout d’avoir pensé que l’intérêt des salarié.e.s était nécessairement en adéquation avec ceux des OS.
Or il s’est avéré très vite que les syndicats comme ils l’ont souvent fait dans l’histoire des luttes en France et précisément à Radio France, il y a vingt ans, défendaient leur propre pouvoir et donc leurs propres intérêts en tant qu’organisations syndicales, n’hésitant pas à lâcher un mouvement, à le trahir s’il le fallait et ce, alors qu’ils n’avaient rien obtenu.
La souveraineté de l’AG était réelle dans l’esprit de ceux qui décidaient jour après jour la continuation du mouvement, mais pas dans celui des syndicats, lesquels ont cessé d’accorder du crédit à cette souveraineté dès lors que celle-ci ne servait plus leurs propres intérêts.
La particularité de la trahison opérée en 2015, c’est qu’elle s’est faite sans la signature du moindre protocole avec la direction : au bout des 28 jours de lutte, les organisations syndicales ont donné des consignes d’arrêter la grève et ce, sans avoir au préalable signé aucun accord avec la direction sur les préavis déposés et sur l’indemnisation des jours de grève... Laissant un gout amer chez tous ceux qui, naïvement, il faut le reconnaître, avaient accordé toute leur confiance aux syndicats.
Les salariées ont ainsi le sentiment, à juste titre d’ailleurs, de n’avoir rien obtenu dans le sens où malgré une lutte acharnée pendant 28 jours, aucune des revendications dont ils avaient confié le soin aux syndicats, dont c’est au demeurant la mission de les porter en leur nom, n’a abouti.
Les syndicats ont ainsi failli dans leur mission et l’AG a également failli par manque de vigilance à l’égard de ces syndicats dont ils n’ont vu et compris que tardivement qu’ils n’étaient pas les porteurs des revendications de l’AG souveraine.
L’autre erreur de l’AG c’est d’avoir avec les syndicats par le vote de la motion de défiance à l’égard de la direction, pensé que le départ de Gallet pouvait être obtenu et qu’il débloquerait la situation... Or tel n’a pas été le cas.
Au lieu de rectifier le tir et donc de faire le constat que le pouvoir – la Tutelle – ne souhaitait pas le départ de Gallet, cette mauvaise stratégie a été maintenue contre vents et marées, en refusant d’exiger le retour des négociations avec cette direction.
En faisant de surcroit appel à la Tutelle – laquelle est comme chacun sait juge et partie dans le présent conflit et l’alliée de la direction dans le projet de démantèlement du service public - pour qu’elle nomme un médiateur, les syndicats ont amené le mouvement vers sa perdition.
En effet, qui pouvait sérieusement penser qu’un médiateur nommé par la Tutelle pouvait légitimement porter les espérances de ce mouvement et permettre de sortir de la crise ?
Et, ce d’autant que ce médiateur a œuvré longtemps pour la droite et qu’il a été choisi - par un gouvernement de « gauche » celui de Pellerin - Hollande - Valls pour ses compétences [1] et son passé de tueur des mouvements sociaux...
Erreur stratégique fatale, car non seulement la nomination d’un médiateur allait redonner à la tutelle un pouvoir qu’elle pensait avoir perdu en faisant confiance à Gallet pour porter son projet de démantèlement, mais surtout elle a permis de mettre à néant toute revendication en chargeant le médiateur d’une mission de démantèlement de ce mouvement, tâche dont il s’est excellemment acquitté.
La tâche de ce dernier n’était pas de négocier quoi que ce soit, sinon il aurait reçu les deux parties en face à face et les aurait amenées à reprendre les négociations là où elles les avait laissées, mais de faire des « préconisations » aux effets juridiques inexistants, piégeant des syndicats qui se sont pris au jeu de ces préconisations, de cette poudre aux yeux.
Le media-tueur a par son habilité réussi sa mission en mettant hors d’état de nuire les syndicats en leur donnant avec cette discussion sur les préconisations un os à ronger, cette circonstance ayant permis d’éloigner encore plus sérieusement les syndicats de l’AG et ainsi d’accélérer la mise à mort de ce mouvement.
D’ailleurs, les syndicats sont venus porter à l’AG le message du médiateur : arrêtons la grève !
Voyant les choses venir l’AG s’est opposée fermement aux syndicats, et a voté la grève et a recadré ces derniers en exigeant que sous la pression de la grève des négociations de la dernière heure soit mises en place avec la direction en face à face et en présence du médiateur.
Le soir même les syndicats ont à nouveau trahi l’AG en écrivant à la Ministre de la Culture qu’ils souhaitaient reprendre pendant un jour les négociations avec le médiateur pour discuter de l’emploi et de la situation des radios locales.
En ne respectant pas le mandat qui leur avait été expressément donné, les syndicats ont trahi la décision des grévistes - sans lesquels rappelons-le, l’intersyndicale n’est rien - et ont maintenu coûte que coûte leur ligne consistant à « discuter » avec le médiateur plutôt qu’exiger dans le rapport de force, des négociations avec la direction. Ce qui a mené le mouvement droit dans le mur.
La réponse de la ministre a du coup été cinglante... On ne discute plus... Rentrez au bercail, il faut savoir arrêter une grève ca suffit ! Ce que les syndicats ont fait en venant demander le lendemain à l’AG la reprise du travail, invoquant un argument fallacieux : on a écouté et on a accepté la continuation de la grève bien que nous n’étions pas d’accord mais voilà ça n’a rien donné... Comme vous pouvez le constater.
L’AG était dépitée, scandalisée, amère... Tout ce qui faisait la force de ce mouvement venait d’être annihilé, détruit.
L’AG voulait la continuation du mouvement et de la grève comme moyen de pression sur le pouvoir, mais force est de constater que les syndicats avaient abandonné les salarié.e.s en chemin, les avaient amenés vers une impasse, ne leur laissant plus d’autre choix que... La reprise du travail et la continuation des discussions avec le médiateur dans le cadre de ce que le pouvoir a appelé la deuxième phase des discussions, à savoir l’accompagnement du COM (Contrat d’Objectifs et de Moyens) 2015-2019.
Or, il convient de rappeler qu’au plan du droit, les discussions en marge du COM ne sont pas des négociations, elles n’auront au bout du compte aucun effet juridique.
Ils ont signé l’arrêt de mort du mouvement... Ils ont tout fait pour qu’il soit enterré.
Seule la CGT a eu quelques soubresauts d’empathie avec le mouvement dans ces derniers moments, se démarquant ainsi de l’UNSA, FO, CFDT et SUD.
Aux dernières nouvelles pour débuter les discussions de la deuxième phase sous la houlette du médiateur, ce dernier a demandé à recevoir « pour les écouter » chaque organisation syndicale séparément... Ce qui n’a semblé déranger personne (hormis la CGT), puisque ce choix du médiateur – diviser pour mieux régner – a été bien sûr entériné.
Bien évidemment, il ne sortira rien de bon de ces discussions.
Mais fort heureusement, la lutte est ailleurs, et tout n’est pas perdu.
Les grévistes ont tout d’abord compris qu’il fallait désormais être extrêmement vigilant.e.s vis à vis de leurs « représentant.e.s »... Que la démocratie représentative avait ses limites.
D’où la nécessité de réfléchir à d’autres modes d’organisation (démocratie directe, type de mandats octroyés aux syndicats...)
Certains ont proposé la création d’un collectif à l’image de celui des intermittent.e.s, aux fins de contrebalancer le pouvoir des organisations syndicales, car celles-ci sont incontournables dans la vie sociale d’une entreprise et il faut les contraindre à être plus combatifs face à la direction et surtout plus à l’écoute de la base.
Le développement de structures comme par exemple « le meilleur des Ondes » qui existait avant la grève, et qui a senti venir la grève a été, par son soutien militant actif et créatif de ce mouvement, un aiguillon radical permanent au cours de ce combat [2].
Ce mouvement à l’évidence n’est pas mort, les salarié.e.s sont certes déboussolé.e.s, comment ne le serait-il pas après 28 jours de grève, mais ils restent déterminés et solidaires... Déjà de nombreuses actions sont envisagées pour remobiliser les énergies et continuer ce combat, qui n’est bien évidemment pas terminé (sur l’emploi, sur la gabegie des travaux, sur le démantèlement des locales, sur l’externalisation des services, sur la privatisation des studios, sur le rôle primordial de la tutelle dans le démantèlement du service public, sur la « verticalisation » comme mode de gestion, etc...) [3].
Je pense qu’on entendra encore parler de ce mouvement qui n’a pas dit son dernier mot loin de là...
Quelle que soit la direction qui sera demain aux commandes de Radio France, elle sait qui elle a désormais en face d’elle... Elle sait qu’elle a intérêt à bien se tenir...
Cette force , cette solidarité, cette détermination dans le combat pour le service public et pour les métiers de la radio et cette dignité, c’est précisément l’un des grands acquis de cette lutte exemplaire qui a été menée à Radio France en mars et avril 2015.
Comme cela a été écrit dans une chanson diffusée en AG et mise en ligne par le mouvement dès les premiers jours de la grève :
« A vous qui voulez décider, détruire le sens de nos métiers, au nom de la productivité au prétexte de l’austérité, dites à votre tutelle préférée qu’on paiera pas les pots cassés...vous avez les costards les gaillards pas le pouvoir ! On vous le dit ÇA SUFFIT ! Etc... »
Merci à eux.
L’auteur de cet article est un auditeur des radios du service public de Radio France, qui a suivi de prés le mouvement de grève de ce printemps 2015, a assisté à plusieurs des Assemblées Générales déterminantes et côtoyé de nombreux salarié.e.s auprès desquel.le.s il s’est assidûment informé.