Rappel des faits : pendant le festival de Cannes, Manuel Valls s’offre en spectacle au milieu des paillettes, accompagné de Fleur Pellerin. A cette occasion, il déclare : « Cela a été une erreur au cours des deux premières années du quinquennat de François Hollande de baisser le budget de la culture ». Effectivement le budget de la rue de Valois a baissé de 6% en deux ans, même Sarkozy n’avait pas osé. Valls tient par cette déclaration à désavouer la politique de l’ex ministre devenue frondeuse : Aurélie Filippetti. Pendant cette semaine de vote au sein du PS, tous les coups sont permis.
S’en est suivie une discussion de marchand de tapis sur le thème « c’est celui qui dit qui y est ». Et notre nouvelle rebelle publie dans Mediapart ses notes « secrètes » à François Hollande pour prouver à quel point elle avait tout fait pour maintenir le budget de son ministère sans pour autant être écoutée. On peut lire notamment en bas d’une des lettres de 2013 : « L’équation est donc toujours la même : pour des économies qui pèsent peu, on provoque un mouvement d’humeur visible et dangereux et on perturbe un système productif efficace. Elle est catastrophique politiquement ; elle pèse aussi sur l’image du Président de la République ». Oui l’image, la communication, c’est bien cela qui intéresse Valls et Filippetti. Mais cette petite bataille à distance avec pour toile de fond un PS dévasté n’a pas été dénuée d’intérêt. Elle a permis à Valls de rappeler que seuls les socialistes avaient osé baisser le budget de la culture pour des économies ridicules. Mais elle a aussi permis à Filippetti de lui répondre, à juste titre, que ses annonces de maintien voire d’augmentation du budget de la culture relevaient du pur mensonge.
Oui, Manuel Valls ment par omission. Il oublie simplement de rappeler que les baisses [de budget] drastiques de 3,9 milliards d’euros aux collectivités locales provoquent par exemple l’annulation de 150 festivals. Tout le monde sait qu’un budget n’est jamais composé exclusivement de l’aide du ministère de la culture (les collectivités locales représentent plus de 60% de la part du budget), la baisse de 5% du budget de l’état aux collectivités locales entraine donc des annulations de projets partout. Mensonge encore lorsqu’il ose dire que le régime des intermittents du spectacle est préservé et garanti par la loi. Nous ne le répèterons jamais assez : cette loi est dangereuse. Elle pérennise le titre « annexes 8 et 10 » mais c’est une coquille vide. Ainsi, il est vrai que le Medef ne pourra plus déclarer comme fin 2013 sa volonté de supprimer les annexes 8 et 10, mais il pourra faire pire : les vider de leur contenu sans l’annoncer !
Avec cette loi, rien n’empêchera de passer de 507h [d’emploi à effectuer en] 10 mois [pour ouvrir ou renouveler des droits] à 600h par exemple. De plus, pour la première fois dans l’histoire de l’Unedic, le Medef et la Cfdt fixeront en amont un budget pour une catégorie de chômeurs, celle des intermittents du spectacle. On peut y voir une sortie partielle de la solidarité interprofessionnelle et le début d’une caisse autonome, les négociations prévues avec les syndicats du secteur seront rendues impossible avec un budget trop bas. Oui M. Valls, nous l’affirmons : rien n’est garanti par la loi, si ce n’est un bel enfumage qui vous permet d’affirmer que les intermittents sont sauvés. Pour rappel, nos propositions ont été chiffrées, elles sont considérées comme crédibles, nous attendons qu’elles soient enfin mises en place.
Cette petite guerre à distance digne d’un mauvais feuilleton aura permis à l’observateur de mettre dos à dos le premier ministre et son ex camarade : l’un pour ses mensonges à répétition, l’autre pour avoir soutenu la politique d’austérité du gouvernement, ses protestations secrètes et son réveil tardif n’y changent rien.
Le même jour, était diffusé à Cannes « La loi du marché », film où un chômeur de longue durée est obligé d’accepter n’importe quel boulot à n’importe quel prix. Le film a ému la croisette, a été longuement applaudi et Vincent Lindon a reçu le prix d’interprétation. Dans la vraie vie, aucune récompense, bien au contraire : les chômeurs ne sont pas applaudis, ils sont humiliés. Nous le voyons toutes les semaines lors de nos permanences. Ils sont d’autant plus humiliés que les plus faibles subissent des contrôles qu’ils ne comprennent pas, des ruptures de droit abusives de Pôle Emploi entrainant des drames dont on ne parle jamais.
Oui Pôle Emploi est une zone de non droit qui ne remplit même pas sa mission première : celle d’informer et d’orienter.
Au lieu de cela, suite aux déclarations de Rebsamen sur les chômeurs fraudeurs, 200 agents vont être recrutés pour ne s’occuper que des contrôles, faisant suite au programme pilote mis en place en région Poitou Charente. Nous savons bien ce que cela signifie : des camarades de cette région avec des dossiers bloqués pendant plusieurs années, obligés de quitter leur logement, pris dans un tourbillon infernal. En vérité, tout est fait pour répondre aux exigences du Medef : trouver de la main d’œuvre à pas chère faite de petits boulots à temps partiel. Cet intérêt est partagé par le gouvernement : tout est bon pour baisser les statistiques des chômeurs de catégorie A (chômage total). Ainsi, dès qu’un chômeur accepte une heure de travail par semaine, il fait baisser le taux de chômage. On comprend mieux aussi cet acharnement contre des personnes fragilisées et sans défense : une radiation signifie un chômeur en moins. Nous l’avions dit à M Rebsamen lors de la dernière table de concertation : il est obscène d’essayer de faire des économies sur le dos des chômeurs, de surfer sur les sondages allant dans ce sens, d’alimenter la bonne vieille communication des pauvres contre les pauvres opposant le smicard qui se lève tôt au chômeur parasite. Les allocataires du RSA ou les chômeurs (dont 6 sur 10 ne sont pas indemnisés) ne réclament pas une standing ovation dans le palais des festivals, ils veulent simplement manger à leur faim, payer leur loyer, et cesser d’être considérés comme des fraudeurs et des salauds de profiteurs. Comme l’a écrit Rose-Marie Péchallat de l’association Recours Radiation : « Les chômeurs ne sont pas de bons acteurs, s’ils l’étaient, le pays tout entier, debout, en larmes, leur ferait une gigantesque ola ».
Ce gouvernement participe à la droitisation de la France dont tout le monde parle, et ça, ce n’est pas du cinéma.
Samuel Churin, tribune parue le 26 mai 2015 dans News Tank Culture.