Lors de l’audience publique qui s’est tenue au Conseil d’Etat le 14
septembre 2015, le rapporteur public a proposé à la Haute juridiction
administrative d’annuler l’arrêté du 25 juin 2014 portant agrément de la
convention assurance chômage 2014 et des textes qui lui sont
associés à raison de l’illégalité de trois séries de stipulations.
Monsieur le rapporteur public a considéré que les partenaires sociaux
n’avaient pas compétence pour fixer les modalités, qu’il a qualifiées de
« coercitives », de récupération par Pôle emploi des prestations indues
par un mécanisme de retenue d’office sans possibilité pour l’allocataire
de bénéficier d’un recours suspensif
N’entrait pas davantage dans le champ de compétence des partenaires
sociaux, la détermination des obligations déclaratives pesant sur le
demandeur d’emploi qui, en cas de non respect, entraîne, outre la
répétition de l’indu, l’absence de prise en compte de ces périodes pour
l’ouverture de leurs droits ou leur rechargement
Par ailleurs, Monsieur le rapporteur public a considéré que le dispositif
relatif au différé d’indemnisation instaure une différence de traitement
injustifiée entre les salariés, portant atteinte au droit à la réparation
intégrale du préjudice d’une partie d’entre eux."
Ces stipulations n’étant pas divisibles du reste de la convention, leur
illégalité entraîne l’annulation totale de l’arrêté du 25 juin 2014
agréant la convention et les textes qui lui sont associés.
Monsieur le rapporteur public a proposé au Conseil d’Etat, en application
de la jurisprudence AC ! [1], de ne prononcer l’annulation qu’à compter du 1er mars 2016.
Si c’était le cas, cette annulation sur le fond serait une première.
Nous les requérants, Recours Radiation, Coordination des Intermittents
et Précaires, Le Collectif Les Matermittentes (LCLM), SUD Culture Solidaires espérons vivement que les conclusions du rapporteur public soient suivies.
Le Délibéré sera communiqué dans les 2 ou 3 semaines à venir.
Le Conseil d’Etat pourrait invalider la convention sur l’assurance chômage
Des associations de défense de chômeurs, d’intermittents et de précaires ainsi que des syndicats attaquent la convention d’assurance chômage, signée en 2014, devant le Conseil d’État. Si ce dernier suit les conclusions délivrées lundi 14 septembre par le rapporteur public, les partenaires sociaux seraient alors sérieusement désavoués.
· La dernière convention sur l’assurance chômage, signée par la majorité des partenaires sociaux en juin 2014, subit avarie sur avarie. Sa signature a d’abord entraîné une grève dure l’an dernier, menée par les intermittents du spectacle, qui s’est achevée par une remise à plat des annexes 8 et 10 dans la récente loi Rebsamen. La CGT, non signataire de cette convention, a tenté quant à elle d’assigner pour « déloyauté, manque de sérieux des négociations » les six signataires de l’accord, sans succès. En mars, la polémique sur les droits rechargeables a obligé Pôle emploi à reculer d’un pas, en créant un droit d’option pour tenter d’améliorer le sort de milliers de chômeurs lésés par la nouvelle convention. Lundi 14 septembre, c’est finalement devant le Conseil d’État – la plus haute juridiction administrative – qu’un collectif d’associations a porté l’estocade. Le texte serait « une accumulation de règles techniques » qui « privent les gens de leurs droits », assurent les militants. En conséquence, ils demandent au ministre de ne pas agréer une « convention qui comporte des clauses illégales ».
Le rapporteur public, dans son exposé devant le Conseil, les a suivis sur deux points, susceptibles d’invalider l’ensemble de la convention, ce qui constituerait une première historique. Tout d’abord, le très obscur « différé spécifique d’indemnisation » : si le salarié est licencié, et qu’il touche une indemnité de départ de son employeur, cette disposition permet à Pôle emploi de décaler le début de la prise en charge par l’assurance chômage de 180 jours, contre 75 dans la convention précédente. Soit une période de carence, dont la durée dépend du montant de l’indemnité. Six mois sans aucune indemnisation, c’est trop long, plaide le collectif, qui rassemble Les Maternittentes, Recours Radiation, la Coordination des intermittents et précaires, des employeurs dans le domaine de la culture, la CGT ainsi que Sud culture solidaires.
Dans le même ordre d’idées, un salarié qui attaque son employeur pour contester son licenciement (en dehors du licenciement économique), et qui gagne aux prud’hommes, peut être obligé de rembourser six mois d’indemnités touchées via Pôle emploi, contre deux mois et demi auparavant. Certains doivent ainsi reverser à Pôle emploi l’intégralité des sommes obtenues au tribunal. Pierre Lyon-Caen, l’un des avocats chargés du dossier, a rappelé, en marge de l’audience, que les sommes gagnées au tribunal « sont faites pour réparer un préjudice, pas pour survivre ». « Permettre à Pôle emploi de les récupérer porte atteinte au principe de réparation intégrale du préjudice », assure Pierre Lyon-Caen. Le syndicat des avocats de France dénonce lui aussi depuis l’an dernier et avec vigueur cette disposition, qui aurait pour effet de dissuader les salariés de saisir le Conseil de prud’hommes. « Pourquoi en effet s’infliger une procédure longue et les frais d’une défense souvent nécessaire, dès lors que les sommes obtenues au final en réparation du préjudice du salarié seront en grande partie récupérées par Pôle Emploi ? »
L’autre sujet qui fâche concerne les retenues d’allocations en cas de prestations indues, par exemple lorsque le demandeur d’emploi omet de préciser qu’il a travaillé le mois précédent ou oublie d’envoyer l’attestation d’employeur correspondante. Pôle emploi peut alors retenir une partie de ses indemnités, ou lui demander de rembourser les « trop-perçus ». La logique semble implacable, sauf que les couacs sont nombreux : certains employeurs oublient d’envoyer l’attestation, telle société d’intérim délivre une attestation « irrecevable », ce vacataire à l’Université touche sa paye par trimestre, une assistante maternelle la réclame en vain à la famille qui l’embauche... Pour les associations, le cas de Djamel Chaar, qui s’est immolé devant une agence Pôle emploi, à Nantes, en février 2013, est symptomatique : l’homme, multipliant les contrats et les statuts, en grande précarité économique, s’est vu contraint de rembourser des sommes trop perçues, sans pour autant que les périodes travaillées ne lui ouvrent de nouveaux droits au chômage... Sa mort a révélé brutalement ce principe de la « double peine ». L’avocat Pierre Lyon-Caen rappelle en effet « qu’en cas de désaccord, ou s’il s’agit d’une erreur de Pôle emploi, c’est au salarié de saisir le juge, et encore, cette procédure n’a pas d’effet suspensif ».
Le rapporteur public a considéré que non seulement Pôle emploi ne pouvait pas, en cas de litige, être à la fois juge et partie, mais également que les partenaires sociaux (syndicats de salariés et patronaux en charge de négocier chaque année l’assurance chômage) n’avaient pas compétence pour fixer les modalités, qu’il a qualifiées de « coercitives », de récupération par Pôle emploi des prestations indues. Et qu’il n’était pas non plus de leur ressort de déterminer les « obligations déclaratives pesant sur le demandeur d’emploi », ni la « répétition de l’indu, l’absence de prise en compte de ces périodes pour l’ouverture de leurs droits ou leur rechargement ».
« Si le Conseil d’État suit cet argumentaire, ce serait une grande première », assure Sylvie Assoune. Cette avocate représente l’association Les Matermittentes, qui regroupe les intermittentes du spectacle dénonçant le fait que la période de référence pour l’acquisition de leurs droits au chômage soit amputée des mois de congés maternité, alors même que ces derniers ne sont pas toujours pris en charge, ni par Pôle emploi, ni par la Sécurité sociale. « Je regrette cependant que le rapporteur, qui a été d’une précision redoutable dans ce dossier, n’ait pas reconnu cette discrimination là où le défenseur des droits la reconnaît. »
Tous ces dysfonctionnements disent en réalité sensiblement la même chose : l’assurance chômage est-elle correctement conçue et mise en œuvre pour faire face à la masse toujours plus importante de travailleurs précaires, aux carrières décousues ? Le conseil d’État devrait trancher en partie la question d’ici deux à trois semaines, au cours de son jugement. Pour éviter le capharnaüm, le rapporteur public s’est appuyé sur la jurisprudence AC !, qui permet au Conseil d’État de moduler dans le temps les effets d’une annulation. Il n’a ainsi pas demandé l’annulation immédiate des deux dispositifs contestés, mais bien leur obligatoire révision lors de la prochaine négociation des partenaires sociaux, prévue pour le printemps prochain.
17 septembre 2015, Mathilde Goanec, Mediapart
Vers une annulation de la Convention d’assurance chômage ?
Le rapporteur public du Conseil d’Etat vient de se prononcer en faveur de l’annulation de la dernière convention Unédic. Thomas Lyon-Caen, l’avocat des requérants, analyse l’« effet concret » que cela aurait pour les demandeurs d’emploi.
Vers une annulation de la Convention d’assurance chômage ?
Et si le Conseil d’Etat supprimait tout simplement la dernière convention d’assurance chômage sur laquelle les partenaires sociaux se sont tant écharpés en 2014 ? Et qui avait surtout déclenché la colère des intermittents du spectacle et des militants des droits des chômeurs. Pas impossible, à en croire les conclusions, rendues lundi, par le rapporteur public du Conseil d’Etat, qui propose d’annuler l’arrêté du 25 juin 2014 portant agrément de la convention du 14 mai 2014 relative aux nouvelles règles d’indemnisation chômage. Son avis fait suite au recours déposé, en novembre 2014, par plusieurs associations (dont Recours radiation, la Coordination des intermittents et précaires et le collectif les matermittentes ou encore Sud Culture et la CGT) contre l’arrêté en question. Le Conseil d’Etat devrait se prononcer d’ici deux à trois semaines. Maître Thomas Lyon-Caen, l’avocat des requérants, revient sur l’avis du rapporteur public.
Sur quoi se fonde l’avis du rapporteur public ?
Ses conclusions mettent l’accent sur trois thèmes. Celui, tout d’abord des indus ou trop-perçus. Aujourd’hui, la dernière convention de l’assurance chômage permet à Pôle Emploi de récupérer directement, par une forme coercitive, les sommes versées à l’allocataire et jugées indues. Or, le rapporteur public estime que les partenaires sociaux n’avaient pas compétence pour confier à Pôle Emploi ce pouvoir de se faire justice soi-même.
Le deuxième point, très emblématique, porte sur les sanctions liées au non-respect des obligations déclaratives des demandeurs d’emploi. En l’état actuel, quand un chômeur travaille une journée et oublie de la déclarer, Pôle Emploi récupère la somme versée au titre de cette journée. Ce qui est normal. Mais ce qui est choquant, c’est que cette journée travaillée n’est pas prise en compte pour le calcul des futurs droits du chômeur. Or, un grand principe de l’assurance chômage, c’est que, normalement, chaque journée travaillée compte pour l’ouverture des droits. C’est pourquoi le rapporteur public, bien qu’il ne soit pas allé jusqu’à prendre parti sur le fond du dispositif, propose de l’annuler. Là-aussi, il considère que les partenaires sociaux n’avaient pas compétence pour décider d’un tel dispositif.
Enfin, le troisième point concerne le différé d’indemnisation. Ce dernier consiste à reporter dans le temps le versement des allocations chômage, notamment en tenant compte des indemnités de licenciement versées par l’employeur. Lorsque ces dernières sont déterminées a posteriori par le conseil de prud’hommes, cela peut exposer l’allocataire au risque de devoir rendre les sommes perçues. Aujourd’hui, ce différé peut atteindre 180 jours, soit six mois. Le rapporteur public a mis en avant l’inégalité induite par ce système, puisque les salariés, compte tenu de leur ancienneté et de la taille de leur entreprise, ne peuvent pas prétendre aux mêmes niveaux d’indemnités de licenciement. Il a aussi considéré que cela portait atteinte au principe de réparation intégrale du préjudice.
Qu’entend-on par annulation ?
Le rapporteur propose la suppression immédiate des deux premiers dispositifs. Concernant le différé, il ne peut être annulé sans que cela ne provoque l’annulation automatique de l’ensemble de la convention de l’assurance chômage. Or, dans ce cas, on se retrouverait avec une forme de vide juridique. Il n’est en effet pas envisageable que l’ancienne convention de 2011 s’applique puisque les conventions sont conclues à durée déterminée. Du coup, le rapporteur public propose de ne prononcer l’annulation qu’à compter du 1er mars 2016. C’est un message envoyé aux partenaires sociaux : le rapporteur considère que cela leur laisse le temps pour se mettre d’accord sur une nouvelle convention.
En cas d’annulation, peut-il y avoir un effet rétroactif ?
Si les conclusions du rapporteur sont suivies, cela aura un effet concret pour les gens. Les allocataires pourront demander un recalcul de leur droit à l’indemnisation, intégrant les jours jusque-là non pris en compte par les règles actuelles. De même, concernant des trop-perçus, ils auront la possibilité d’agir contre Pôle Emploi et de demander que les sommes récupérées par l’agence leur soient rendues. Mais l’effet sera surtout pédagogique : les partenaires sociaux amenés à négocier un nouvel accord ne pourront pas mettre à nouveau en place de tels dispositifs, tout comme ils ne pourront pas intégrer un différé aussi long, car ils sauront désormais que ces dispositifs ne sont pas conformes à la loi.
Quelles sont les chances pour que le Conseil d’Etat suive l’avis du rapporteur public ?
L’expérience montre que dans la majorité des cas, le rapporteur public est suivi par le Conseil d’Etat. J’ai bon espoir que ce soit le cas ici.
17 septembre 2015, Amandine Cailhol, Libération.
5 octobre 2015, Décision contentieuse, Convention d’assurance chômage :