A l’heure où nous imprimions l’interluttant, le premier acte de la convention chômage 2016 - celui concernant les annexes 8 et 10 des intermittents - n’était pas conclu. Différents scénarii étaient possibles.
507 heures en 12 mois ? Indemnisation sur 12 mois ? Recalcul des droits à date « anniversaire » ? Système assurantiel ou mutualiste ? Quelle prise en compte des heures du régime général ? Et des heures/indemnités maladie-maternité ?
Si cet accord apparemment favorable prévoit des économies, même en dessous du cadrage réclamé par le Medef - ce qui permettrait aux syndicats de se dédouaner de toute sujétion à l’égard de ce dernier -, l’Etat accepterait déjà de mettre la main à la poche. Pour respecter le cadrage ? Ce serait alors l’embryon d’une caisse autonome que nous avons toujours refusée.
Sortis de la solidarité interprofessionnelle, les intermittents seront invités à gérer leur petit chez soi sinistre et glacé, rétrécissant sans cesse, qu’ils seront bien en peine de déborder.
Un tel accord n’aura-t-il pas aussi pour fonction d’affaiblir les forces en lutte contre la loi Travail ? Ne permettra-t-il pas de faire passer, lors des négociations ultérieures sur le régime général, les règles « d’activation des chômeurs » ? C’est-à-dire, de placer ceux-ci dans l’obligation de retourner au travail à n’importe quelles conditions et n’importe quel prix ?
L’intermittence dans le collimateur
Alors que les emplois précaires se multiplient, plus de 80 % des embauches se faisant en CDD, les intermittents focalisent l’attention. Plutôt que d’élargir leur régime de chômage à tous les salariés à emploi discontinu, et dans la crainte que ceux-ci le revendiquent, le gouvernement et les signataires des récents accords préfèrent les stigmatiser comme des « privilégiés », responsables du « déficit » de l’Unédic. Ce « déficit » orchestré est contestable. La protection sociale a un coût et le calcul de son déficit ou de son bénéfice est une question idéologique. La « dette » de l’Unédic, placée sur le marché financier, est très bien notée.
Qu’est-ce que le régime de l’intermittence ?
1936 est l’année du Front Populaire et de la création d’un régime adapté aux pratiques d’emploi des techniciens du cinéma. Entre 1965 et 1970 apparaissent les annexes 8 et 10 dédiées aux techniciens et artistes, dans le secteur du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle. Durant leurs périodes chômées, les salariés relevant de ces annexes sont indemnisés par l’assurance chômage, basée sur la solidarité interprofessionnelle. La convention est renégociée tous les 2 ans. En 2003, la disparition de la date anniversaire pour le réexamen des droits fait tomber le régime dans un système assurantiel et non plus mutualiste : 507 heures, à effectuer sur 10 mois ou 10 mois et demi, donnent droit à un capital de 243 jours d’indemnisation. En 2014, le régime général et celui des intérimaires sont laminés. Les conditions d’accès des annexes 8 et 10 se durcissent, refusant l’indemnisation à ceux qui en auraient le plus besoin. Les règles sont complexifiées. La porosité accentuée entre régime général et annexes exclue un grand nombre de celles-ci. Un différé d’indemnisation est mis en place, vite contrebalancé par le gouvernement grâce à un fonds spécial, afin d’éteindre le mouvement de protestation grandissant... S’agirait-il d’un glissement dangereux vers une caisse autonome ?
En 2016, cadrage, cas de rage
Le régime est en renégociation depuis mars. Le gouvernement vise 800 millions de coupe sur les droits et indemnités des chômeurs. Une lettre de cadrage financier pour les annexes 8 et 10, signée par le MEDEF, la CFDT et la CFTC, demande 185 millions d’économie sur l’année à venir et 400 millions à l’horizon 2020. Les préconisations issues des « tables de concertation », organisées par le premier ministre lors de l’été houleux 2014, allaient dans ce sens (cadrage financier, réduction de la liste des métiers pouvant bénéficier du régime des intermittents...). Mais la crispation sur les intermittents sert d’abord à faire oublier les mesures prises contre les autres chômeurs. Quand près de 6 chômeurs sur 10 ne sont pas indemnisés, c’est nous tous qui sommes concernés.
Contrats précaires
La stratégie est en marche pour vider le régime de sa substance, alors que discontinuité de l’emploi et précarité n’ont jamais été aussi fortes. Un contrat précaire n’ouvre pas de droits sociaux permettant une continuité de revenus hors du temps de travail salarié. C’est par exemple un CDI à 10 heures par semaine, qui cloue à un statut de travailleur pauvre.
Dans les secteurs du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel, le CDD d’usage ouvrant des droits aux annexes 8 et 10 est souvent utilisé et correspond à la définition du travail par projet. La « permittence » (contrats renouvelés en continu) et la « rotamittence » (plusieurs intermittents embauchés à la suite sur un même poste) n’en sont que des épiphénomènes.
Le recours à ce contrat est crucial pour les structures modestes, productions de cinéma ou compagnies de théâtre à petits moyens financiers. Le fléchage proposé par les « tables de concertation » est d’ailleurs inquiétant sur ce point, puisque, sous couvert de « structuration du secteur », les subventions et aides au projet seraient subordonnées à l’embauche de CDI. Nous y lisons une volonté de renforcer l’industrie du spectacle et la culture institutionnelle contre les multiplicités des propositions artistiques qui parviennent encore à exister.
Nos propositions sont issues des luttes
En 2003, nous avons répondu à l’attaque des annexes 8 et 10 en écrivant un nouveau modèle d’indemnisation du chômage. C’était avant tout un acte politique. Ces propositions ont été chiffrées, reconnues comme viables et nous réactivons des Universités Ouvertes sur le sujet avec les coordinations de différentes régions.
En voici un résumé : pas d’annexe spécifique à des catégories d’emploi, une indemnité plancher égale à un smic jour pour tout inscrit à Pôle Emploi, un plafonnement égal à 2,5 smic jour pour tout indemnisé, une date anniversaire pour le réexamen des droits. Le mode de financement de l’Unédic s’élargirait à d’autres sources (la taxation du chiffre d’affaires des entreprises est une possibilité) en plus de la cotisation sur salaire, déplafonnée et rendue progressive. Le mode de gestion de l’Unédic serait modifié, chômeurs et salariés y étant véritablement présents.
Ceci dit, un modèle d’indemnisation, si parfait soit-il, restera inopérant sans un profond changement politique gouvernemental. Pour preuve, le projet de loi Travail contient un article 52 qui nous scandalise : l’autorisation légale donnée à Pole Emploi de récupérer des présumés indus sans avoir à s’en justifier avant application. Cette pratique, aux conséquences parfois tragiques pour les chômeurs, avait pourtant été retoquée à notre demande par le Conseil d’Etat en octobre dernier. La machine à précariser les salariés fonctionne d’autant mieux que les chômeurs sont paupérisés : pas de droit du travail sans droit au chômage !
Le « paritarisme »
En 2004, avec des organisations de précaires, nous avons occupé durant cinq jours le toit du MEDEF, pour dénoncer le système quasi mafieux du « paritarisme ». Ce principe de gestion de l’Unédic, supposément égalitaire, réunit organisations patronales et syndicales. Dans les faits, le MEDEF y tient le haut du pavé : les négociations sur la convention d’assurance chômage se déroulent à son siège et il lui suffit de circonvenir un syndicat pour emporter le morceau. Pourtant, les syndicats de salariés, à l’exception de Sud et de la CNT, qui n’en sont pas parties prenantes, ne remettent pas fondamentalement en cause ce système. Pourquoi ? Pour sauver leurs sièges, leur légitimité, leur financement.
Ce que nous défendons, nous le défendons avec tous
Ce printemps 2016, nous sommes aux « Nuits debout », dont l’effervescence s’oppose aux logiques de profit, refuse la soumission au marché, prône le temps libre, appelle chacun à se réapproprier l’espace public et politique en occupant des places, en suscitant des débats et en élaborant des contre-propositions aux diktats du néolibéralisme.
La Coordination des Intermittents et Précaires se veut elle aussi un espace de démocratie directe et d’organisation horizontale. Les coordinations de chaque région sont autonomes et travaillent de concert. La CIP fonctionne par assemblées générales décisionnaires et commissions ouvertes, créées selon les désirs et les nécessités, et cherche à construire un « nous » toujours en mouvement en suivant le chemin d’une politique de l’expérimentation qui dépose les savoirs préalables et s’ouvre à l’inconnu sans lequel nulle vie nouvelle n’est envisageable.