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Au nom de la dette, détruire le service public de l’emploi pour mieux diminuer l’indemnisation du chômage


CADTM

Publié, le mardi 10 mai 2016 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : dimanche 15 mai 2016


Cet article est initialement paru sur le site du CADTM

Les négociations pour une nouvelle convention d’assurance chômage sont ouvertes depuis le 22 février 2016. Le MEDEF multiplie les blocages. Les enjeux se clarifient au fil des déclarations du gouvernement et du patronat. L’indemnisation des chômeurs est dans le collimateur du patronat et du gouvernement. Après avoir fait campagne autour du thème « inverser la courbe du chômage », le gouvernement Hollande-Valls livre sa véritable conception libérale de la gestion du chômage. En cela, il ne diffère en rien de ses homologues européens [1] ou de ses prédécesseurs au pouvoir.

Faire baisser les salaires en visant l’indemnisation du chômage

L’enjeu n’est pas nouveau. Il s’agit une fois de plus de « baisser le coût du travail » en visant l’indemnisation du chômage.
C’est notre salaire socialisé qu’ils veulent baisser, celui qui permet, entre autres, de faire face aux crises du capitalisme avide de profits. C’est bien la dette sociale garantie par le droit et due par les patrons envers les travailleurs qu’ils veulent diminuer [2].

Le discours est éculé : « les charges sociales tuent l’emploi », la « rigidité du Code du travail est un frein pour la croissance », « aujourd’hui en France, le coût du travail au niveau du salaire minimum est encore un ennemi pour l’emploi [3]. » Ce discours, purement idéologique, vise à faire oublier que les systèmes de protection sociale sont des amortisseurs économiques et sociaux qui contrebalancent les crises du capitalisme.

Comme le disait avec cynisme Denis Kessler, ex n°2 du Medef : il s’agit de « défaire méthodiquement le programme du Conseil de la Résistance ». Aujourd’hui, les héritiers de Kessler s’appellent Hollande, Valls, Macron et El Khomri !

La méthode aussi a fait ses preuves. On creuse sciemment un déficit que l’on compense par l’emprunt puis au nom de la charge de la dette, on décide des réformes.

Pendant des années, les recettes (cotisations appelées contributions) sont restées au même taux. Les cotisations patronales n’ont pas bougé depuis 2003 alors que le nombre de chômeurs a explosé [4] passant de 3 595 300 en janvier 2003 à 6 409 500 en janvier 2016, toutes catégories confondues.

Les demandeurs d’emploi sont 3,59 millions à ne pas avoir eu d’activités et 2,18 millions à n’avoir exercé qu’une activité à temps partiel, synonyme de précarité.

Le « recrutement » de bénévoles et le travail gratuit explosent, détruisant autant d’emplois rémunérés. S’il existe un chômage de masse, c’est que la folie du système financier a généré une crise économique sans précédent et que les plans de licenciement parmi les plus massifs de l’histoire se sont succédés depuis 2008 dans l’industrie et les services.

Jamais, la précarité n’a été aussi importante dans l’économie de notre pays. 12,3 % des emplois sont précaires, ce qui représente 3,2 millions de personnes, principalement des contrats à durée déterminée (7 % du total des emplois) et des intérimaires (2,1%).

De plus en plus de secteurs d’activité transfèrent vers l’assurance chômage ce qui était autrefois rémunéré par du salaire direct (vacances d’été dans l’éducation nationale, intercontrats dans les bureaux d’études, créations dans la culture, ...). Un million de travailleurs vivent avec à peine plus de 800 euros par mois notamment du fait du temps partiel contraint [5].

En aucun cas, les chômeurs ne sont comptables du chômage mais c’est à eux que patronat et gouvernement veulent faire payer l’addition.

Pire encore, des mesures d’exonérations massives sont venues aggraver la situation financière de l’assurance chômage. En 2014, le gouvernement de François Hollande accorde au patronat une baisse considérable des cotisations sociales. En totalité sur les salaires payés au SMIC et de façon dégressive jusqu’à 2,5 SMIC.

Pôle Emploi - fusion, privatisation, régionalisation

Le 8 février 2016, l’ensemble des syndicats de Pôle Emploi appelait les agents à la grève contre la double menace de privatisation et de régionalisation de Pôle Emploi. Ils revendiquaient un véritable service public de l’emploi et l’arrêt de la casse de leurs services.

Au travers des différents projets en cours, il s’agit de transformer l’accès des chômeurs à l’indemnisation en un véritable parcours du combattant, de faire d’une gestion déstructurée et dématérialisée la règle et de finaliser le processus mis en œuvre avec la création de Pôle Emploi : sous prétexte de regrouper les agences ANPE et ASSEDIC en un réseau unique, supprimer deux tiers des agences.
L’accès physique de proximité à des agents spécialisés dans l’indemnisation disparaît rapidement, ce qui conduit déjà des allocataires indemnisables à renoncer à exercer leurs droits sociaux.

Depuis 2008, la réforme ordonnée par Sarkozy du service public de l’emploi avec la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC a accouché d’une boite noire : Pôle Emploi. Découpé en morceaux, livré au secteur privé, le service public de l’emploi a connu plusieurs vagues de suppressions d’emploi.

Il a été systématiquement déstructuré et est aujourd’hui en grande difficulté pour remplir ses missions. Des pans entiers de ses activités ont été externalisés et privatisés. Des agences ont été fermées, d’autres n’ouvrent que façon sporadique.

Les bénéficiaires de cette braderie ne sont pas les demandeurs d’emploi mais des requins comme Cap Gemini, Vinci, Tessi et Ingeus : ont été privatisés les services informatiques l’accompagnement des licenciés économiques, les centres d’appel, la saisie des feuilles de paye, l’inscription des demandeurs d’emploi. Au passage, les nouvelles organisations du travail ont conduit à la casse des métiers spécifiques du placement et de l’indemnisation. Au bout de la chaîne, c’est le demandeur d’emploi qui en fait les frais.

Depuis cette loi de fusion de 2008, l’UNEDIC finance 64% du budget de Pôle Emploi, le tiers restant faisant l’objet d’une dotation de l’État, variable d’ajustement des dépenses publiques. La part de l’UNEDIC est une somme prélevée sur les contributions. Ce montant représente un transfert de charges de l’État sur Pôle Emploi, puisque avant la fusion, c’est l’État qui finançait l’ANPE.

Après la fusion et les privatisations, la régionalisation est à l’ordre du jour, ce qui consacrerait la disparition de Pôle Emploi et la fin de l’égalité de traitement selon le lieu de vie du chômeur...

Le gouvernement l’a montré depuis 2012, son ennemi, ce n’est pas la finance, ce sont les droits et garanties des salariés : le Code du travail et les conventions collectives. La France n’est sans doute pas encore la Grèce mais la démarche est similaire : tout ce qui fait obstacle à plus de profit doit disparaître ! C’est la principale leçon de l’expérience grecque.

Guerre aux chômeurs : faire payer les pauvres

Au nom d’une dette jugée désormais insoutenable, il est urgent, selon le gouvernement et le patronat, de baisser les prestations servies, que ce soit en jouant sur le montant ou sur la durée de l’indemnisation.

Le gouvernement devrait annoncer sous peu une réforme en profondeur de l’assurance-chômage et des organismes en charge de la gestion du chômage (l’Unedic et Pôle Emploi). Ce qui est en jeu c’est le niveau d’indemnisation du chômage et le nombre de chômeurs indemnisés. Il existe là un risque de rupture de la continuité de la politique de l’État en matière d’emploi.

Les chiffres du chômage

Pour janvier 2016, le gouvernement se congratule d’une baisse de 0,3% du nombre des demandeurs d’emploi. Ce chiffre ne reflète pas la tendance affirmée depuis 1 an, soit une hausse de 4,4% (+ 153,3% depuis 2008 !). Il ne signifie pas non plus un retour à l’emploi mais illustre une conséquence directe des transferts de charges de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse vers l’assurance chômage (retraite à 62 ans) et des politiques menées à Pôle Emploi : réorganisation de l’accueil, fermeture généralisée l’après-midi des agences depuis janvier 2016, avancement de la date limite d’actualisation, dématérialisation des démarches, sous-effectifs pour traiter les données et suspicion accrue envers les chômeurs.

Selon la Dares, le service statistique du Ministère du Travail, si on cumule les catégories A, B (chômage total et activité réduite) et les catégories D et E (stages et contrats aidés), il y aurait 6 490 500 inscrits à Pôle emploi en janvier 2016. (6 494 100 en février dont 3 591 000 en catégorie A [6])

Selon un scénario bien rodé, les réformes attendues ont été préparées en 6 actes.

Ou comment modifier sans débat public les missions de Pôle Emploi !

1er acte = le conseil des ministres du 11 mars 2015

Il reprend les grandes lignes du plan Rebsamen du 9 février 2015 (Prévenir, aider, accompagner : Nouvelles solutions face au chômage de longue durée). Sans moyens et avec quelques termes bien choisis, le peu regretté Rebsamen, adepte du « contrôle renforcé des demandeurs d’emploi », fait monter la pression sur les partenaires sociaux.

2ème acte = les « perspectives financières 2015-2018 »

La masse salariale diminuant et la croissance n’étant pas au rendez-vous, les ressources de l’UNEDIC sont insuffisantes. Avec moins de ressources et plus de chômeurs indemnisables, il lui faut emprunter pour combler le déficit de l’assurance chômage et rembourser les obligations qui arrivent à échéance.

Le déficit de 2014 se situe à 3,7 Milliards €. Celui de 2015 devrait atteindre 4,6 Mds €. Les prévisions d’endettement se situent à 35,1 Mds € fin 2018 (l‘équivalent de 11,5 mois de cotisations). Ces « prévisions financières pour 2015-2018 » visent en fait à nous faire admettre 3 fausses évidences :

  • 1. Le niveau d’indemnisation doit baisser
  • 2. Pôle Emploi coûte cher à l’Assurance Chômage
  • 3. Le coût de la dette risque de doubler d’ici 3 ans, avec une potentielle remontée des taux. La crise est loin d’être finie, tous les ingrédients sont réunis.

3ème acte, un rapport qui tombe à pic, celui de la Cour des Comptes

Ce rapport, remis le 12 janvier 2016, est opportun pour les politiques destructrices du service public de l’emploi et de l’assurance chômage. Il a pour but de diaboliser l’UNEDIC et de suggérer des pistes de réforme au gouvernement. Il insiste sur le déficit permanent de l’Unedic depuis 2009 et son endettement (21,5 Mds € fin 2O14, 25,9 Mds prévus fin 2015 et 35 Mds€ en 2018 contre 5,3 Mds € en 2008).
Il estime que la question de la soutenabilité des finances de l’UNEDIC est posée. Les recettes ne suivent pas l’évolution des dépenses. En effet, le taux de contribution est stable depuis 2003 (4% pour les employeurs, 2,4% pour les salariés) et le nombre de chômeurs indemnisés a augmenté de 750 000 depuis le début de la crise.

Pour la Cour des Comptes, Il s’agit là d’une fuite en avant. Elle en profite pour fustiger à nouveau les intermittents, les intérimaires et les CDD comme si l’assurance chômage ne constituait pas un ensemble ! Elle dénigre les résultats de Pôle Emploi. Elle formule des recommandations et suggère des réformes. Sans les citer toutes, en voici quelques-unes :

  • - Baisser le ratio 1 jour cotisé /1 jour indemnisé de 1 à 0,9
  • - Diminuer la durée d’indemnisation
  • - Appliquer la durée maximale d’indemnisation (trente-six mois) aux personnes de plus de 55 ans (au lieu des plus de 50 ans à l’heure actuelle)
  • - Augmenter la durée d’affiliation requise
  • - Vendre ce qui reste du patrimoine immobilier.
  • - Revoir le financement par l’Unedic de Pôle emploi
  • - Porter la durée des conventions de 2 à 3 ans
  • - Revoir le champ des employeurs affiliés (faire cotiser les non-titulaires de la fonction publique, Pôle emploi, Réseau Ferré de France, les hôpitaux) en prenant la précaution de ne pas intégrer trop de charges.
  • - Rediscuter le taux de solidarité des fonctionnaires de 1%, jugé trop modeste.
  • - Revoir le plafond des cotisations

Plusieurs de ses recommandations sont reprises par le gouvernement.

Incidemment, la Cour des Comptes renvoie à la négociation la hausse des cotisations (0,1% de plus rapporterait 500 millions €) tout en rappelant qu’à défaut d’accord, l’État peut procéder par décret.

Mais cette voie (augmenter les cotisations) est exclue par le gouvernement et le patronat.

En résumé, ceux qui doivent payer sont les salariés et les chômeurs !

La Cour des Comptes conforte aussi l’idée que le principal responsable du chômage, c’est le chômeur lui-même et c’est donc lui qui doit faire les frais de la réduction des moyens de l’UNEDIC.

Pourtant, toujours selon le même rapport, seuls 42% des chômeurs des catégories A, B et C sont aujourd’hui indemnisés (4 sur 10), et leur part a tendance à baisser. En 2013, les 3/4 des allocataires percevaient moins de 1200 euros par mois. Les privés d’emploi indemnisés ont perçu en 2013 une allocation brute médiane de 954 €. Alors, privilégiés, les chômeurs ?

4ème acte, les vœux de François Hollande à la jeunesse du 11 janvier 2016  [7]

Le chef de l’État s’est engagé à ce que la moitié d’une classe d’âge fasse un service civique, c’est-à-dire une mission non soumise à cotisations chômage, indemnisée entre 573 et 680 euros par mois pour des contrats de 6 mois ou d’un an d’au moins 24 heures par semaine.

Un CPE (Contrat Première Embauche) qui ne dit pas son nom ? En tout cas, une mesure qui accroît le déséquilibre des régimes de protection sociale.

5ème acte, le discours de François Hollande du 18 Janvier 2016 [8]

Le chef de l’État a annoncé des mesures qui ne vont pas dans le sens d’une augmentation des recettes de l’UNEDIC ni de l’amélioration du sort des demandeurs d’emploi, à savoir la pérennisation des exonérations sociales liées au CICE et la multiplication des cadeaux au patronat, sans contrepartie ni engagement de leur part.

Le gouvernement s’est déclaré en faveur d’une dégressivité des allocations (déjà expérimenté sous Martine Aubry en 1992 et abandonné en 2001). Il n’exclut pas non plus de revoir le plancher d’indemnisation à 49% de l’ancien salaire contre 57% actuellement...Il prévoit aussi diverses mesures concernant la formation de 500 000 demandeurs d’emplois supplémentaires. Pôle emploi, l’AFPA et les régions seront en première ligne. Avec quels moyens, le discours ne le dit pas...

6ème acte, régionaliser l’accompagnement et la formation ?

Non seulement le gouvernement cherche à se défausser sur les régions de la gestion du chômage (colloque du 2 février 2016), mais il envisage fortement de faire disparaître purement et simplement Pôle Emploi et son personnel. Le projet de régionalisation de la gestion du chômage, annoncé lors de ce colloque, s’il était mené à terme, non seulement aggravera la situation des salariés de Pôle Emploi, mais représente un recul grave du principe d’universalité qui fonde le service public de l’emploi et de l’indemnisation.

Un risque majeur avec ce transfert aux régions de la gestion du chômage est la rupture de continuité de la politique de l’État en matière d’emploi, une complexité accrue de l’accès à l’indemnisation, et une gestion différenciée entre régions riches et régions pauvres. Pôle Emploi risque fort de passer à la trappe. Les chômeurs ont tout à y perdre ! Le détricotage du maillage territorial et l’externalisation (privatisation) de l’inscription et de la demande d’allocations à des prestataires privés, risque d’énormément complexifier l’accès à l’indemnisation. Mais n’est-ce pas le but poursuivi ?

Vers une transformation des missions de l’UNEDIC ?

Le point commun aux déclarations gouvernementales, aux différents rapports de l’UNEDIC et à celui de la Cour des Comptes, c’est la question de la dette et son poids important dans les charges de l’UNEDIC.

Au nom de cette dette, la Cour des Comptes veut faire adopter des réformes d’ampleur qui ne pourront qu’aggraver la situation des chômeurs et des personnels de l’assurance chômage. L’opinion publique est préparée à accepter ces réformes par une propagande patronale sur les Droits et Devoirs des demandeurs d’emploi.

Les missions de Pôle Emploi se transforment en dehors de tout débat public : la politique publique de l’emploi (le placement) et l’assurance chômage (l’indemnisation) sont dévoyés au profit d’un projet de société où Pôle Emploi serait au service des grandes entreprises pour faciliter la mobilité professionnelle de la main d’œuvre. Que le demandeur d’emploi soit consentant ou pas à ces réorientations professionnelles.

Le chef du gouvernement abonde dans ce sens. Ce n’est pas pour rien que François Hollande a reçu dans la plus grande confidentialité fin 2013 son ami social-démocrate Peter Hartz, ex-directeur du personnel de Volkswagen et ordonnateur de la flexibilisation du travail en Allemagne [9].

Entre 10.000 et 20.000 personnes meurent des conséquences du chômage chaque année en France. Selon une étude de l’Inserm [10], le chômage serait un facteur de surmortalité. Elle serait trois fois supérieure chez les personnes en recherche d’emploi à celle des personnes en activité. Pire encore, d’après son auteur, ces résultats sont probablement « une sous-estimation de la réalité ». Ils se basent en effet sur un échantillon de personnes plus favorisées que la moyenne et ne tiennent pas compte des effets de la crise économique. Pour l’heure, aucune autre étude plus précise n’a été publiée sur le sujet.

Ailleurs, ce qui nous guette !

Pour nous, Le constat est sans appel : dans tous les pays de l’UE où des réformes similaires à celle que prévoit la casse du droit du travail ont été mises en place, cela s’est traduit par une hausse du chômage et de la précarité, en particulier pour la jeunesse.

Les droits à la protection sociale ont été réduits à une peau de chagrin. Les allocations de chômage ont diminué et sont perçues moins longtemps par moins de chômeurs. Le droit de se défendre tout simplement a disparu ou est devenu inaccessible pour la majorité des salariés.

Les licenciements ont été facilités et les conditions de travail se sont dégradées avec la disparition des normes juridiques et des services pour faire respecter les lois.

Derrière ces faits opposables aux attendus de la réforme du droit du travail, il y a des réalités humaines devenues insoutenables.

Ces réalités donnent une idée des enjeux de notre combat commun ! Les profits se sont envolés, les actionnaires sont comblés !

La loi du marché et les profits boursiers ont remplacé les droits des salariés.
Que ce soit au nom de la « concurrence libre et non faussée » de l’UE (anciens pays de l’Est), des politiques ultralibérales des gouvernements (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) ou des diktats de la Troïka venue au secours des banques au nom de la dette publique (Grèce, Irlande, Portugal), c’est une véritable guerre, contre la jeunesse et les salariés européens, qui est menée aujourd’hui.

Quelques exemples de réformes de lois sur le travail qui impactent l’indemnisation du chômage [11] :

Les « contrats atypiques »

  • - En Italie : les para suboridini et au Portugal les recibosverdes sont des contrats flexibles de travailleurs « prestataires de services », avec protection sociale restreinte et à la charge du salarié, qui peut être licencié du jour au lendemain (20% des travailleurs au Portugal)
  • - En Allemagne : les mini-jobs sont des contrats de 53 h maxi (par mois) payés 450€, cumulables entre eux ou avec les indemnités chômage (6,6 millions de salariés)
  • - En Grande-Bretagne : les contrats 0 heure imposent une disponibilité complète du salarié, sans garantie horaire et salariale (1,5 million de salariés, surtout des jeunes et des femmes)

Les contrats jeunes et les contrats courts

  • - en Grèce : les moins de 25 ans ont un salaire inférieur de 20 % au SMIC, une période d’essai de 2 ans et pas d’indemnités chômage en fin de contrat.
  • - en Espagne : les PME embauchent les jeunes avec une période d’essai d’un an et peuvent licencier sans justification. Les CDD peuvent durer 3 ans.
  • - République Tchèque : les CDD peuvent durer trois ans avec deux renouvellements.
  • - Roumanie : la durée maximale des CDD va jusqu’à 5 ans.

Nouvelles règles sur les licenciements

  • - Grande-Bretagne : les recours aux tribunaux du travail, en cas de contestation d’un licenciement, sont payants, de 300€ pour un dépôt de dossier à 1200€ pour une audience.
  • - Pologne : il est possible de faire travailler des personnes sans contrat de travail, sans protection sociale, avec un contrat relevant du code civil : pas de licenciement parce que pas d’embauche !
  • - Portugal, en Espagne, en Grèce : motifs de licenciement plus nombreux, procédure facilitée et baisse des indemnités.
  • - Grande-Bretagne : les contrats « employés-actionnaires » proposent aux salariés de renoncer à leurs droits en cas de licenciement, en échange d’actions de l’entreprise !
  • - Italie : le Jobs Act de 2015 instaure des CDI à protection croissante (en fonction de l’ancienneté) et restreint les droits à une réintégration lors d’un licenciement abusif.

Dans tous ces pays, les heures supplémentaires sont moins payées, ou même payées en heures normales, les compensations sont « allégées ».

Dans tous ces pays, les exonérations des cotisations patronales sont de plus en plus nombreuses, les cotisations patronales sont même supprimées lors de certaines embauches.

D’où vient la dette de l’UNEDIC ?

L’argument central du patronat et du gouvernement est la dimension jugée insoutenable de la dette de l’UNEDIC. Au nom de celle-ci, sont justifiées des réformes régressives pour les demandeurs d’emploi et pour les personnels de Pôle Emploi.

Malgré l’opacité de la présentation des comptes, malgré aussi les mensonges affichés, allons y jeter un coup d’œil pour comprendre cette mécanique.

Réapproprions- nous cette question et posons les termes des réponses nécessaires. Plus que jamais, un audit citoyen est nécessaire  !

Relativiser l’importance de la dette de l’UNEDIC

L’UNEDIC : un cumul de 4 non-sens

La première aberration du système mis en place le 1er janvier 1959 est la création d’une part salariale alors que les seuls responsables du chômage sont les employeurs. Dès 1900, dans l’esprit des caisses de résistances ouvrières du 19ème siècle, Édouard Vaillant et Marcel Sembat déposent un projet de loi, non retenu, pour créer une assurance obligatoire, financée par les seuls employeurs, contre le chômage et la misère. Pour eux, il était hors de question d’envisager une cotisation des salariés. Le chômage et la misère étant inhérents au capitalisme, il appartenait au patronat de les financer.

La seconde est le statut juridique choisi (association remplissant une fonction de protection sociale hors de la Sécurité sociale pour faire reculer l’influence de la CGT (aux premières élections en 1947, la CGT obtient 60% des voix).
Prévue pour compléter les dispositifs de l’aide publique (héritage de l’assistance), l’UNEDIC affirmait une vocation beaucoup plus large comme l’affirme son caractère obligatoire, national et interprofessionnel. Destinée à couvrir ses affiliés du risque social qu’est le chômage, elle ne remplira cette fonction que très partiellement.

La troisième, qui détermine l’évolution de l’indemnisation du chômage et de la précarité, est la forme de gestion choisie : le paritarisme. C’est une rupture avec la gestion majoritaire des représentants des salariés en vigueur à la Sécurité sociale.
Les ordonnances scélérates de 1967 mettront fin à la gestion majoritaire des salariés dans les caisses de Sécurité sociale, suivant l’exemple de l’UNEDIC (depuis 1945, la gestion des caisses était administrée pour les 2/3 par les représentants des salariés et pour 1/3 seulement par les employeurs et les associations familiales. A noter que, dès 1945, les pouvoirs publics avaient fait de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale, non pas un organisme privé à statut mutualiste, mais un établissement public à caractère administratif avec un conseil où les représentants des salariés étaient en minorité ).
La marche vers le paritarisme consacre la cassure entre les salariés et la protection sociale.
En fait de paritarisme, les représentants des salariés sont devenus minoritaires du fait de la présence de « personnes qualifiées » désignées par le ministre de tutelle. Les dernières élections ont eu lieu en 1983, mais ont été tronquées du fait de l’existence de quotas prédéfinis de représentation.
Le paritarisme est un non-sens. Les groupes sociaux qu’il représente (salariat et patronat) ont des intérêts radicalement opposés. La CGT-FO co-gérera l’organisme avec le patronat jusqu’en 1992 et la CFDT prendra le relais ensuite.
Les nouveaux syndicats créés depuis 1958 n’y sont pas représentés. Plus grave encore, les demandeurs d’emploi, les précaires, les intérimaires, c’est-à-dire les premiers concernés, n’ont pas droit au chapitre.

La quatrième est la séparation entre l’indemnisation du chômage et la gestion de la précarité et de la misère, cette dernière découlant comme la première du marché du travail et de la responsabilité collective des employeurs. Le financement de la précarité et de la misère se fait par l’impôt qui repose en majeure partie sur les salariés et les retraités.

Diviser pour mieux régner

Patronat et gouvernement fustigent l’UNEDIC pour l’importance de sa dette tout comme ils dénoncent le régime des intermittents ou celui des intérimaires, refusant de les apprécier au sein d’un même et unique système d’assurance-chômage.

De même, ils traitent de l’UNEDIC comme une entité indépendante de l’ensemble de la Sécurité sociale alors même que la Commission Européenne, conforme à la définition de la dette publique donnée par le traité de Maastricht, fait masse de la dette de l’ensemble des organismes de protection sociale. La protection sociale des salariés et de leurs ayant-droit est un tout !

Des comparaisons qu’on n’ose pas afficher

Si la dette de l’UNEDIC parait importante au regard de ses seules ressources (environ 85%), intégrée dans celle de l’ensemble de la protection sociale, elle prend une autre dimensio, ; eu égard au budget de cette dernière et comparée à celle de l’État ou à celle des entreprises.

Comparée à la dette de l’État, la dette cumulée de la protection sociale est infime en regard de ses ressources. (chiffres 2013, source INSEE

Dette de l’Etat + Organismes Divers d’Administration Centrale : 1531,3 milliards d’euros soit 79,5 % du PIB.
Ressources : 386,4 milliards d’euros.
Soit un ratio dette / ressources de 3,96.

Dette des administrations de Sécurité sociale (dont UNEDIC) : 211,7 milliards d’euros soit 11,99 % du PIB.
Ressources : 463,6 milliards d’euros.
Soit un ratio dette / ressources de 0,45.

La dette des organismes de protection sociale est ainsi près de 9 fois inférieure à celle de l’État ! [12]

La dette de la protection sociale est aussi en meilleur état que celle des entreprises

  • - Entreprises non financières en 2013 = 63,7% DU PIB (source = Banque de France)
  • - Entreprises financières en 2011 = 97% du PIB en 2011 (source = Images économiques du monde 2013 : Crises et basculements des équilibres mondiaux)

La dette de la protection sociale est plus de 5 fois inférieure à celle des entreprises non financières et plus de 8 fois inférieure à celle des entreprises financières.

(Quand on parle d’endettement des entreprises, il faut mesurer plus précisément l’usage de cet endettement et distinguer la part de l’investissement productif et celle de l’investissement financier. Toutes les études montrent que cette dernière est prépondérante au détriment de l’investissement productif et donc de l’emploi.
L’accès facilité au crédit pour les banques privées par la Banque Centrale Européenne (le quantitative easing) nourrit davantage l’acquisition d’actifs financiers, y compris à risque, que la sphère productive.)

En résumé, quand l’État et le patronat critiquent la dette de l’UNEDIC, ils feraient mieux de commencer par balayer devant leur porte !

La dette de l’UNEDIC, comment ça marche ?

Une opération juteuse pour les créanciers

L’UNEDIC utilise 3 instruments (titres) pour emprunter

1. Les billets de trésorerie pour les besoins courants de liquidité

Ce sont des Titres de Créances Négociables ou TCN à la durée maximale d’un an). En 2012, il y avait autant de billets de trésorerie que d’emprunts obligataires. Non garantis par l’État, ils avaient un coût en cas de non-utilisation, c’est-à-dire que des commissions doivent être versées aux banques en plus du taux d’intérêt. Ce taux est en moyenne de 0,13%. Ce taux peut sembler bas, mais il ne faut pas perdre de vue que les banques peuvent se financer auprès de la BCE à un taux encore plus bas (0,05% aujourd’hui) [13]. C’est un multiplicateur de 2,6 (0,13/0,005).

2. Les obligations pour financer les déficits

L’UNEDIC émet des obligations via un programme EMTN (Euro Medium Term Notes). Fin 2014, son plafond est de 26 milliards d’euros. Ce programme est soumis à autorisation de l’État qui se porte garant. Son taux moyen se situe autour de 1,6%. Ces titres bénéficient de la garantie de l’État. Là, le multiplicateur est de 32 ! (1,6/0,005). Un euro emprunté auprès de la BCE rapporte 32 euros ! Pendant la durée de vie de l’obligation, l’UNEDIC ne paie que les intérêts. Au terme, elle rembourse le capital.

3. Les bons à moyen terme négociables pour réduire la durée de l’emprunt

Ce sont des titres d’une durée supérieure à un an. Utilisés depuis juin 2014, l’UNEDIC annonce qu’elle cible des durées entre un et trois ans.

La faiblesse des taux d’intérêts et la garantie donnée par l’État conditionnent la solvabilité du paiement de la dette de l’UNEDIC. Les agences de notation calquent la note attribuée à l’UNEDIC sur celle de l’État.

Le total des intérêts versés chaque année ajouté au remboursement du capital constitue le service de la dette.

A la lecture des informations disponibles sur le site de l’UNEDIC et dans le rapport de la Cour des Comptes cité ci-dessus, l’UNEDIC emprunte pour 3 raisons :

1. Combler les déficits annuels.

Pour cela, elle a recours à l’émission d’obligations à moyen terme (de 1 à 5 ans) et à long terme (durée supérieure à 5 ans). Elle conclut des contrats avec des banques dans le cadre d’un programme validé par l’État et qui fait l’objet, chaque année, d’un décret ministériel associé à la loi de finances.

2. Disposer de liquidités

Comme pour l’État ou l’ACOSS (la banque de la Sécu), les rentrées de l’UNEDIC ne se font pas selon le même calendrier que les dépenses. Les allocations (environ 3 milliards chaque mois) sont versées en début de mois, alors que l’URSSAF recouvre progressivement pendant le mois les cotisations auprès des employeurs. L’UNEDIC a recourt, comme les entreprises, à des billets de trésorerie à court terme pour financer ce décalage dans le temps entre les entrées et les sorties de liquidités.

3. Pour rembourser ses emprunts

Mais de plus en plus, l’UNEDIC emprunte pour rembourser ses emprunts ! Nous le déduisons du fait que les emprunts émis sont supérieurs aux besoins de financement [14] et qu’aucun projet d’investissement financé par l’emprunt n’est annoncé. C’est déjà ce que fait l’État : il emprunte pour combler son déficit, payer les intérêts de la dette et rembourser les obligations arrivant à échéance.

C’est ce qu’on appelle « faire rouler la dette ».

Les causes de la dette de l’UNEDIC

a) Un sous-financement orchestré

Comme on l’a vu, depuis 2003, le pourcentage des cotisations de l’assurance chômage n’a pas bougé restant à 6,4% (4%% pour la part patronale et 2,4% pour la part salariale). Dans la même période, le chômage a explosé. Depuis des années, les représentants de la CGT revendiquent une remise à niveau des cotisations patronales. Comme l’indique la Cour des Comptes dans son rapport rendu en janvier 2016, une augmentation de 0,1 point de cotisation rapporterait 500 millions de ressources supplémentaires à l’assurance chômage. Ce qui, appliqué chaque année depuis 12 ans rapporterait 6 millards d’euros de ressources supplémentaires. A périmètre égal, les comptes de l’UNEDIC seraient excédentaires...

Début 2014, le gouvernement a signé le pacte de responsabilité limitant la marge de manœuvre concernant l’augmentation des cotisations sociales. Cet accord est systématiquement mis en avant par le patronat pour justifier la faiblesse des cotisations. En attendant, l’UNEDIC, tout comme l’État, emprunte auprès des banques privées pour financer ses déficits.

Les premiers bénéficiaires de ce gel des cotisations sont les entreprises qui licencient tout en réalisant des bénéfices (Goodyear, PSA, Air-France,...)

b) La précarité plombe les comptes de l’UNEDIC

Les contrats courts sont encouragés et ils représentent un coût considérable pour l’UNEDIC. Le recours aux emplois précaires coûte annuellement, selon les services de l’UNEDIC, 9,3 milliards d’euros et les ruptures conventionnelles pèsent pour 5 milliards d’euros par an dans le déficit du régime [15]. Une surcotisation neutralisant ce surcoût annulerait le déficit des comptes de l’UNEDIC.

c) Une destination non conforme de l’emprunt

La politique publique de l’UNEDIC est aujourd’hui totalement dépendante des marchés financiers privés. L’essentiel de la justification de l’emprunt est le financement des déséquilibres de ses comptes. Mais la stratégie financière de l’UNEDIC va au-delà, puisqu’elle emprunte également pour rembourser sa dette, au nom des taux bas appliqués par la Banque Centrale Européenne aux prêts consentis aux banques privées.

Cette pratique (emprunter pour rembourser l’emprunt) accroît la dépendance de l’UNEDIC envers les banques privées. Pour un particulier, cette pratique conduit au surendettement et à l’insolvabilité.

C’est une spirale qui pourrait s’avérer nocive en cas de remontée des taux d’intérêt. Ce système-dette est un risque majeur pour l’indemnisation des chômeurs. Les marchés financiers ont, avec cette dépendance entretenue, un réel pouvoir sur les choix de l’UNEDIC.

Une dette garantie par la remise en cause des droits des chômeurs

Dans les dépliants destinés aux investisseurs et présents sur le site de l’UNEDIC, on trouve des choses pour le moins curieuses.

Ainsi dans la note de présentation aux investisseurs (créanciers) de septembre 2014 [16], l’UNEDIC valorise les aspects négatifs de l’accord conclu le 14 mai 2014 qui prévoit des mesures visant à assurer la pérennité financière de l’Assurance chômage, c’est-à-dire 1,8 milliard d’économies pour la période 205/2016.
Message en clair pour les créanciers : ce sont les chômeurs qui paient et qui paieront la dette !

Des mensonges pour faire croire à la transparence de la dette

Dans la note actualisée et en anglais de la présentation aux investisseurs [17] (futurs créanciers), on trouve deux « camemberts », affichant l’un la détention de la dette de l’UNEDIC par type de créancier, l’autre la détention de cette dette par zone géographique.

On pourrait applaudir cette transparence si elle était réelle mais ce n’est pas le cas !

En effet, la dette de l’UNEDIC est majoritairement composée d’obligations. En France, l’anonymat des détenteurs de ces obligations est réglementé par le Code Monétaire et financier ainsi que par le Code du Commerce (notamment art. L. 228-2 du code de commerce, décret d’application n° 2002-803 du 3 mai 2002 publié au Journal officiel du 5 mai 2002, art. L. 212-4 du code monétaire et financier relatif à la nominativité obligatoire) [18]. L’argent public est donc soumis aux règles qui gèrent les contrats privés !

Que ce soit pour la dette de l’État ou pour celle de l’UNEDIC, la Banque de France procède à des estimations à partir de deux sources d’information :

  • - Les statistiques de la balance des paiements fournies par la Banque de France qui portent sur la détention de la dette de l’État par les non-résidents. Ces statistiques ne donnent toutefois pas d’indication quant au détail de la répartition géographique à l’intérieur de la catégorie « non-résidents ».
  • - L’étude annuelle publiée par le Fonds monétaire international (FMI) (coordinated portfolio investment survey) qui fournit davantage de détails sur la répartition de détention par pays mais qui porte sur un périmètre qui est plus large que celui des seules dettes gouvernementales (dette publique et dettes bancaires).

Ces données ne sont que des estimations qui dissimulent le fait qu’on ne connait pas l’identité des créanciers. Imaginons un créancier slovène qui gère ses comptes depuis la City de Londres. Ce détenteur d’obligations sera considéré comme britannique. Qu’un créancier soit français ou allemand ou chinois nous importe peu, c’est d’abord et avant tout un créancier.

La seule chose que sait l’UNEDIC est l’identité des banques qui achètent ses titres d’obligations sur le marché primaire pour le compte de leurs clients qui à leur tour les revendent sur le marché secondaire à d’autres investisseurs.

La majorité des banques (si ce n’est la totalité) qui achètent ces obligations sur le marché primaire ont des succursales dans les paradis judiciaires et fiscaux où prospère l’argent sale de la prostitution, de la drogue, de l’évasion fiscale, etc.

Les chômeurs sont en droit d’exiger une réelle transparence. Les citoyens ont le droit de savoir qui sont les bénéficiaires de la dette d’un organisme en charge d’une mission publique !

Le paiement des intérêts annuels ou du capital des obligations arrivant à échéance se fait par l’intermédiaire de dépositaires centraux internationaux, en ce cas particulier Euroclear, dont le siège est à Bruxelles et qui, elle, connaît l’identité des créanciers.

L’UNEDIC a recours à l’univers trouble des dépositaires centraux internationaux.

Le financement externe de l’UNEDIC est, depuis 2003, soumis aux règles des dépositaires centraux internationaux. Euroclear, basée en Belgique et Clearstream, basée au Luxembourg, ne sont pas des chambres de compensation, mais des ISCD - International Central Securities Depository, ou dépositaires centraux internationaux.

Ces organismes ont été créés par des consortiums de banques. Un dépositaire central international est un organisme où sont comptabilisés les titres, valeurs mobilières ou titres de créances négociables, détenus, en propre ou au nom de leurs clients, par les intermédiaires financiers que sont les banques et les courtiers.

Il en existe deux, qui sont Euroclear et Clearstream. Ce dernier est devenu plus célèbre que l’autre grâce au travail d’investigation mené par le journaliste et écrivain Denis Robert.

Selon une tribune parue dans Le Monde du 9 mai 2001, signée par Eva Joly, Renaud Van Ruymbeke, Jean de Maillard, Bernard Bertossa et Benoît Dejemeppe, les affaires Clearstream ont mis en lumière

  • - des comptes non publiés de clients occultes et la floraison de comptes non publiés ouverts par les filiales des grandes banques dans les paradis fiscaux
  • - la dissimulation de la circulation de l’argent sale (drogue, corruption, trafics d’armes)
  • - le rôle de ces organismes comme « boites noires de la mondialisation financière ».

Dans le cas particulier de l’UNEDIC, Euroclear-France est en charge du système de règlement/livraison d’émission des obligations. Il est totalement anormal qu’un organisme chargé d’une mission de protection sociale se soumette aux règles (et aux vices) du capitalisme financier.

L’UNEDIC est soumise aux agences de notation

L’UNEDIC est notée par les trois principales agences de notation : Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch. De la note attribuée dépend la confiance des marchés financiers et le niveau des taux d’intérêt des titres émis par l’UNEDIC. L’UNEDIC rémunère les prestations de ces agences.

Ces trois agences ont, selon un rapport du Sénat de juin 2012, « une part de responsabilité considérable dans le déclenchement de la crise financière de 2008 » pour avoir noté « trop généreusement des actifs financiers risqués adossés à des crédits hypothécaires accordés à des ménages faiblement solvables » avant de « dégrader brutalement leur note, ce qui a produit un effondrement du marché ».

On peut également citer la banque Lehman Brothers, sur-notée trois jours avant sa faillite en septembre 2008, les notations surévaluées du géant américain de l’énergie Enron, en 2001, celles du groupe alimentaire Parmalat, devenue célèbre pour sa faillite frauduleuse en 2003 ou encore le comportement manipulateur de ces agences envers la Grèce.

Une présentation tendancieuse des comptes

Dans les éléments d’analyse financières qui figurent sur le site de l’UNEDIC, il n’est pas neutre de voir indiquée de façon globalisée la somme allouée au paiement des opérateurs agissant pour le compte de Pôle Emploi sous le titre Pôle Emploi. On voudrait souligner que Pôle Emploi coûte cher qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Lors de la création de Pôle Emploi, l’État a transféré sur la trésorerie de l’UNEDIC le budget de fonctionnement de l’ANPE, c’est-à-dire qu’une partie des cotisations sert à financer ce qui était auparavant financé par l’État.

Par contre, on ne voit nulle part figurer le coût du recours aux prestataires privés comme CAP GEMINI, TESSI ou INGEUS ou encore aux opérateurs privés de placement, rémunérés en partie à la prime.

Un retour vers le passé : une autre dette est possible !

L’assurance chômage n’a pas toujours eu recours aux banques privées. De sa création jusqu’en 1978, les comptes étaient à l’équilibre ou excédentaires. Le taux de couverture est passé de 25,9% à sa création en 1959 à 76,2% en 1978.

Toujours excédentaires en 1979 et 1980, les comptes virent au rouge en 1981 et 1982, avec un déficit de 6 milliards de francs sur un total de ressources de 65 milliards de francs. Les causes sont doubles : progression du chômage et augmentation du nombre de pré-retraites.

Le CNPF (ancêtre du MEDEF) et la CGPME refusent toute augmentation des cotisations et dénoncent la convention adoptée en 1979.

L’État intervient alors en facilitant l’accès à l’emprunt.

En septembre 1981, l’UNEDIC put emprunter 6 milliards de francs auprès des assurances, des mutuelles et autres institutions de prévoyance. Elle put le faire à des taux très préférentiels (l’État détenait la majorité des parts dans ces organismes, les privatisations et braderies des entreprises publiques ne sont intervenues qu’à compter de 1986).

Avec ce mode de financement public, le coût de l’emprunt (intérêts) n’impactait ainsi que très faiblement les comptes de l’UNEDIC.

Pour un audit intégral et citoyen de la dette de l’UNEDIC !

Le moins qu’on puisse dire est que l’UNEDIC a recours à des pratiques qui méritent d’être éclaircies ! Les salariés, leurs représentants et surtout les chômeurs ont le droit de savoir la destination des sommes allouées à cette partie de la protection sociale financée par le travail et qui constitue une partie de leurs salaires. De même, au vu des éléments cités, il y a lieu de s’interroger sur la légitimité de cette dette. C’est pourquoi nous proposons un audit citoyen de la dette de l’UNEDIC.

Pourquoi un audit citoyen de la dette ?

En démocratie, il est normal que les citoyens soient informés de l’utilisation de l’argent public. Au vu des enjeux posés par la dette de l’UNEDIC, il est important que les représentants des salariés, les citoyens dans leur ensemble, aient des réponses à leurs questions, ne serait-ce que pour élaborer des réponses alternatives. Ce qui suit n’est, par définition, qu’une ébauche, une amorce de ce que pourrait être un audit public, qui suppose que certains obstacles soient levés. Au minimum, nous voulons soulever certaines anomalies. Le CADTM (Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde) a déjà publié de nombreux travaux pour rendre compréhensible ces questions qu’on nous présente comme trop compliquées pour le commun des mortels.

Les exemples récents [19] de l’Argentine (2001), de l’Equateur (2008-2009) qui a réalisé un audit intégral de sa dette publique et a pu en économiser 70%, de celui encore de l’Islande (2011) abondent en ce sens.
Le CADTM a participé aux travaux de la Commission de la Vérité sur la dette grecque [20] et produit une brochure pour savoir « que faire de la dette sociale » [21].

Un audit citoyen permettrait :

  • - De répondre aux interrogations sur les causes de la dette
  • - De déterminer l’usage fait de la dette et vérifie si ces emprunts sont justifiés par l’intérêt général ou non
  • - De confronter ce à quoi a servi cette dette aux règles du droit national et international. Le droit international, reconnu par l’État français, permet de dire si une dette est légitime, odieuse ou illégale, s’il convient de la payer ou non
  • - De faire la lumière sur l’identité des créanciers. Pour ce dernier point, il suffit de prononcer un moratoire sur le paiement. Les créanciers se font alors connaître spontanément
  • - En cas d’annulation totale ou partielle de cette dette, il faudra différencier le sort des petits porteurs qu’il n’est pas question de spolier et les gros porteurs.

La dette de l’UNEDIC est-elle légitime ?

L’endettement a t-il amélioré le sort des demandeurs d’emploi ? A-t-il permis d’augmenter le taux de couverture ? A-t-il permis la mise en œuvre de politiques efficaces pour diminuer le taux de chômage ? A qui a-t-il profité réellement ?

La dette sert aujourd’hui d’alibi pour mettre en œuvre des politiques d’austérité par les gouvernements dans le traitement du chômage et pour détruire le maillage territorial des agences physiques, indispensable aux demandeur d’emploi pour accéder à l’indemnisation et à la formation. On parle de baisse (voire de la suppression pour certains) du niveau d’indemnisation, de sa durée et des références qui servent à calculer l’indemnisation. C’est dans cette même logique que se situe l’UNEDIC.

Ces plans ont de fortes similitudes avec les plans d’ajustement structurels imposés aux pays du Sud de la planète au début des années 1980 et appliqués aujourd’hui en Europe. La dégradation des comptes de l’UNEDIC a fait du tort à des millions de chômeurs et à leurs familles ainsi qu’à la majorité de la population.

Aujourd’hui, on peut dire que sont bafoués des droits comme le droit au travail, à la protection sociale ou au logement (difficile de se loger avec un revenu de 954€ dans les grandes villes françaises ou de se soigner correctement quand on est contraint d’abandonner sa mutuelle complémentaire).

François Hollande, surfant sur la vague sécuritaire, parle d’état d’urgence sociale. Nous ne pouvons qu’être d’accord, mais les réponses qu’il préconise et qu’on risque fort de voir réapparaître lors de la prochaine convention, ne feront qu’accentuer les drames sociaux.

Pour déterminer si la dette de l’UNEDIC est illégitime, nous nous référons, non à un point de vue moral, même s’il nous semble valablement opposable, mais aux définitions choisies par la Commission pour la Vérité sur la dette grecque, mise en place par la présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou, et dont les travaux ont été coordonnés par Eric Toussaint, porte-parole du CADTM International, et celles données par le droit international.

Dette illégitime, définition adoptée par la Commission pour la Vérité sur la dette grecque :

Dette que le débiteur ne peut être contraint de rembourser du fait que le prêt, les titres financiers, la garantie ou les termes et conditions attachées au prêt sont contraires au droit (aussi bien national qu’international) ou à l’intérêt général ; ou parce que ces termes et conditions sont manifestement injustes, excessifs, abusifs ou inacceptables d’une quelconque manière ; ou encore parce que les conditions attachées au prêt, à sa garantie contiennent des mesures politiques qui violent les lois nationales ou les standards en matière de droits humains ; ou, in fine, parce que le prêt ou sa garantie ne sont pas utilisés au profit de la population ou que la dette est le produit d’une transformation de dette privée (ou commerciale) en une dette publique sous la pression des créanciers.

Dette et droit international : Comment on détermine une dette illégitime ?

Quatre moyens d’analyse :

  • - La destination des fonds : l’utilisation ne profite pas à la population, bénéficie à une personne ou un groupe.
  • - Les circonstances du contrat : rapport de force en faveur du créditeur, débiteur mal ou pas informé, absence d’accord du peuple.
  • - Les termes du contrat : termes abusifs, taux usuraires...
  • - La conduite des créanciers : connaissance par les créanciers de l’illégitimité du prêt.

En se référant à cette dernière définition, on peut déjà dire de la dette de l’UNEDIC :

  • - Qu’elle est la conséquence directe du gel des contributions des employeurs, eux-mêmes comptables de l’accroissement du chômage
  • - Qu’elle n’a pas profité à la population, mais a bénéficié à un groupe restreint
  • - Que l’UNEDIC, dans le contexte politique favorable au néolibéralisme, n’avait d’autres choix disponibles que de s’adresser aux banques privées
  • - Que la population n’a pas été consultée ni informée sur les tractations qui ont précédé ces contrats de prêts, ni sur d’autres choix alternatifs possibles
  • - Que les taux pratiqués, sans être usuraires, provoquent une rentabilité plus que conséquente et un surcoût pour l’assurance chômage au détriment de l’indemnisation des demandeurs d’emploi
  • - Que les créanciers savaient pertinemment (c’est explicité dans les contrats et dans les prospectus destinés aux investisseurs) que le recours à l’emprunt par l’UNEDIC était motivé par un choix politique de multiplication de cadeaux sociaux au patronat.

Ces éléments, s’il en était besoin, confirment le caractère illégitime de la dette de l’UNEDIC.

Au cas particulier de la dette de l’UNEDIC, il est possible de dire à qui elle a profité : tout d’abord aux créanciers qui peuvent emprunter à taux négatif des sommes considérables pour les prêter ensuite à des taux très profitables.

Ensuite aux entreprises, qui malgré la crise, ont bénéficié de mesures d’exonérations de cotisations sociales dont la compensation mine les finances publiques.

Les exonérations de cotisations alourdissent la dette de l’État

La loi n°94-637 du 25 juillet 1994 a modifié l’article L.131-7 du Code de la Sécurité sociale. Il stipule que toute mesure d’exonération de cotisation sociales instituée à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi citée (dite loi « Veil ») donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés.
En décidant des exonérations, l’État aggrave le déficit de son budget (causé essentiellement par une baisse des recettes fiscales – les cadeaux fiscaux aux entreprises et aux ménages les plus aisés) et augmente la dette publique.

Au nom de cette dette publique, les gouvernements successifs depuis 1974 justifient des réformes qui diminuent les moyens des politiques publiques. Les populations les plus défavorisées et au premier rang les demandeurs d’emploi ont fait et font aujourd’hui les frais d’une telle politique. Nous considérons ces choix comme totalement illégitimes du point de vue de l’intérêt général.

La soutenabilité de la dette de l’UNEDIC

A plusieurs reprises dans son rapport, la Cour des Comptes souligne l’insoutenabilité de l’UNEDIC confrontée à une dette d’une telle ampleur.
Là également, nous rapprochons cette question de la définition adoptée par la commission d’audit de la dette grecque et du droit international.

Dette insoutenable, définition adoptée par la Commission pour la Vérité sur la dette grecque :

Dette qui ne peut être honorée sans attenter gravement à la capacité de l’Etat débiteur d’assurer ses obligations en matière de droits humains fondamentaux, comme ceux relevant du domaine de l’éducation, de l’eau, des soins de santé, de la fourniture de logements décents, ou d’investir dans les infrastructures publiques et les programmes nécessaires au développement économique et social, ou encore, dette dont le remboursement entraînera des conséquences préjudiciables pour la population de l’Etat débiteur (ce qui inclut une détérioration de ses standards de vie).

Une telle dette est remboursable mais son paiement devra être suspendu pour permettre à l’Etat d’assumer ses responsabilités en matière de droits humains.

Cette notion de dette insoutenable est reconnue par les tribunaux internationaux : elle a déjà été utilisée et fait donc l’objet d’une jurisprudence.

De la dette de l’UNEDIC, on peut dire :

- Elle est insoutenable d’un point de vue strictement financier. A juste titre, la Cour des Comptes a évoqué les conséquences de l’hypothèse crédible d’un relèvement des taux d’intérêt qui pourraient s’envoler d’ici peu avec la menace avérée d’une nouvelle crise bancaire. Lors du débat parlementaire, cette possibilité a fait l’objet d’un chiffrage crédible (les intérêts à payer annuellement augmenteraient de 2,1 millards d’euros dès 2016 et de 16,5 milliards par an en 2025 en cas d’une hausse de 1% des taux d’intérêt) [22].

Pour l’UNEDIC, la Cour estime que la charge de la dette annuelle pourrait doubler.

- A niveau constant de ressources, l’assurance chômage ne pourra pas être pérenne sans réduire ses prestations, donc se retrouver à l’opposé de ses principes fondamentaux.

- Elle est également insoutenable d’un point de vue social. L’UNEDIC ne peut continuer à payer cette dette sans remettre en cause ses obligations en matière de droits humains fondamentaux. En continuant à payer cette dette, l’UNEDIC ne pourra remplir son objectif principal qui est d’assurer aux salariés involontairement privés d’emploi un revenu de remplacement.

La dette de l’UNEDIC peut donc être qualifiée d’insoutenable.

Que fait-on d’une dette illégitime et insoutenable ?

La première chose à faire est de suspendre son paiement et de prononcer un moratoire, le temps de procéder à un audit public de cette dette.

La seconde, à l’issue de cet audit, est de décider collectivement son annulation - c’est par centaines que des annulations totales ou partielles et d’une durée supérieure à 18 mois ont eu lieu depuis la fin de la 2e guerre mondiale selon des économistes du FMI [23]. Tous les pays qui ont annulé totalement ou partiellement leurs dettes ont vu leur situation s’améliorer. Il en serait de même pour l’UNEDIC !

Identifier les responsables

Un audit devra répondre à cette question. Elle renvoie aux responsables du chômage qui sont les tenants de l’économie, ceux qui ont préféré investir dans la finance et la spéculation plutôt que dans l’appareil productif et la recherche. Ce sont les banques qui, en secrétant des bulles financières pour un taux de profit à deux chiffres, ont provoqué la crise financière de 2008, entraînant la récession et la crise économique.

Ce sont auprès de ces mêmes banques, secourues par les Etats en 2009, au prix d’un accroissement considérable de la dette publique, que l’UNEDIC (et l’Etat) emprunte aujourd’hui pour financer son déficit.

Ce sont ces banques qui possèdent de nombreuses agences dans les paradis judiciaires et fiscaux et qui favorisent l’évasion fiscale. Cette évasion fiscale prive chaque année le budget national de 60 à 80 Milliards d’euros de recettes.

Une autre dette est possible !

Le traité constitutionnel européen, celui que nous avons rejeté en 2005, dit dans l’article 123 du Traité de Lisbonne [24] :

Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées « banques centrales nationales » , d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque Centrale Européenne ou les banques centrales, des instruments de leur dette est également interdite.

Cet article interdit de fait l’accès des Etats aux prêts de la BCE. Dit autrement, cet article réserve l’accès aux crédits de la BCE aux seules banques privées. C’est pourquoi de grandes sociétés transnationales ont créé des banques pour cet accès au crédit. C’est le cas, entre autres, de la société PSA qui a créé la banque PSA Finances.

A qui profite le crime ?

C’est une des questions principales auxquelles l’audit pourra répondre. C’est ainsi que les banques qui favorisent la fraude et l’évasion fiscale doivent être sanctionnées. La BNP est la première banque française en nombre d’agences dans les paradis fiscaux ! De même les entreprises qui licencient tout en réalisant des profits, comme Air France, PSA, Goodyear et des centaines d’autres. Celles qui bénéficient d’aides publiques à l’emploi et qui n’embauchent pas.

On ne sait pas à qui on paye ! Il en est ainsi de la dette de l’État. Les députés votent le versement des intérêts de la dette sans savoir à qui ira l’argent public. Or, l’argent public mérite la transparence.

Profiter de l’expérience du passé

Il existe de très nombreux exemples actuellement comme dans le passé, de suspensions du paiement de la dette et de l’annulation de celle-ci.

Au sortir de la Seconde guerre mondiale, la France avait une dette supérieure à 170% de son PIB. Le pays était ruiné après cinq ans d’occupation et de guerre, où la majeure partie du patronat avait collaboré avec l’occupant nazi.

Pourtant, après 5 plans quinquennaux de reconstruction et de réaménagement du territoire, la dette publique était redescendue autour de 21% en 1978. Comment expliquer cela ?

L’inflation

Dans l’immédiat après-guerre, l’inflation était considérable (autour de 50%).Elle explique pour une part importante la baisse (mécanique) du stock de la dette, mais pas la totalité de cette baisse.

Le circuit du Trésor

La période qui va de 1945 à 1986 est caractérisée par une vague de nationalisations dans de nombreux domaines (industrie, énergie, transport mais aussi banques et assurances).

Pour financer les plans quinquennaux et ses investissements, l’État français a obligé les entreprises nationalisées et celles pour lesquelles la participation de l’État était déterminante, à souscrire des emprunts publics à des taux d’intérêts très bas (en dessous de l’inflation) ou/et à des durées très longues.

Au fur et à mesure des remboursements, la valeur du stock de la dette diminuait, ce qui explique l’évolution évoquée plus haut (de 170% en 1945 à 21% en 1978.

Ceci ajouté au pillage du Tiers-Monde, le pays a pu se hisser au premier rang des pays dits « développés ».

Nos propositions

Pour l’avenir, privilégier une réponse politique

La situation idéale est la diminution drastique du chômage mais pour cela, il faut une réelle volonté politique. Le passage aux 32h hebdomadaires par semaine est un des éléments de réponse. Créer des emplois publics socialement et écologiquement utiles en est un autre.

En attendant, dans la perspective d’une nouvelle convention de l’assurance chômage, le taux de contribution des employeurs doit être adapté aux besoins de financement, ce qui suppose une hausse de plusieurs points de leur contribution à masse salariale identique.

A ce propos, les augmentations générales des salaires sont aussi une source de ressources pour l’assurance chômage, tout comme la levée des exonérations diverses qui ne créent ni ne préservent d’emplois. De même, une loi dissuasive doit être votée contre les licenciements boursiers.

Décider d’un moratoire sur le paiement de la dette jusqu’à ce que les créanciers soient connus

Il existe plusieurs méthodes pour identifier les créanciers mais la plus efficace est de prononcer un moratoire sur le paiement des intérêts et du capital arrivant à échéance, le temps de réaliser un audit citoyen de la dette de l’UNEDIC et d’instaurer un cadastre des titres de celle-ci.

Comme il n’est pas question de spolier les petits porteurs, ceux-ci, une fois identifiés, seront payés.

Abroger les clauses d’opacité du Code du commerce et du Code Monétaire et Financier

De façon générale, les créanciers réfutent le lien entre la dette et la remise en cause des droits humains fondamentaux. Il est impératif que les citoyen-ne-s dont ils spolient les intérêts puissent contrôler leur action.

Nous sommes favorables à des mesures d’austérité pour les détenteurs de capitaux, les spéculateurs et les hauts revenus qui viseraient à garantir la justice sociale et le respect des droits économiques, sociaux et culturels des populations. La France a d’ailleurs ratifié des traités internationaux en ce sens.

Le droit international et la dette

Dans son rapport sur la doctrine de la dette odieuse commandé par la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le développement (CNUCED) [25], le juriste Robert Howse rappelle que l’obligation pour un État de rembourser les dettes n’a jamais été reconnue dans l’Histoire comme étant inconditionnelle.

Il existe, en effet, de nombreux précédents allant de la suspension du paiement de la dette - rien qu’entre 1946 et 2008, on dénombre 169 défauts de paiement ayant duré en moyenne trois ans [26] à la répudiation pure et simple.

Parmi les textes de droit international utiles à évoquer pour l’annulation de la dette et ratifiés par la France, on peut citer

  • - La Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948
  • - La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités
  • - La Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales de 1986
  • - Les 2 Pactes internationaux de 1966 sur les droits humains
  • - La Déclaration sur le droit au développement adoptée le 4 décembre 1986 par l’Assemblée générale des Nations unies.
  • - La résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU du 18 juillet 2012.

Emprunter autrement

Si nous sommes fermement opposés au paiement des dettes illégitimes, odieuses, illégales et insoutenables, nous concevons parfaitement qu’un pays ou une institution emprunte pour améliorer le sort de la population. Des investissements socialement utiles et écologiquement souhaitables peuvent nécessiter le recours à l’emprunt. La question des conditions d’emprunt et de la qualité du prêteur se posent alors.

S’appuyer sur le paragraphe 2, dérogatoire au paragraphe 1 du Traité de Lisbonne

Le paragraphe 2 de l’article 123 du Traité de Lisbonne stipule :

« ...Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient, de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédit. »

En clair, créer un établissement public pour emprunter directement à la banque centrale pour financer ensuite directement les Etats (refinancer la dette de l’Etat est ici possible puisque nous nous situons dans le cadre de la disposition dérogatoire) et les acteurs publics, dont l’UNEDIC.

A défaut, la BPI ou la Caisse des Dépôts et Consignations peuvent déposer des demandes de prêts à la BCE et ester en justice, c’est-à-dire exercer un recours, en cas de refus.

Tout est question de courage et de volonté politique !

Une autre politique économique, radicalement à l’opposé du néolibéralisme est possible, notre propre histoire l’a montré. Aux nationalisations, qui ne sont pas la garantie d’un comportement favorable à l’intérêt général, il faut de toute urgence ajouter un contrôle citoyen.

Des solutions existent, seule manque la volonté politique. C’est la mobilisation sociale qui pourra l’imposer !

Pascal Franchet - CADTM le 4 avril 2016



Notes :

[1Cf. La note d’Anne Feydoux et Anne Fretel « Réformes du travail. Des réformes contre l’emploi. » Janvier 2016. http://www.atterres.org/article/r%C3%A9formes-du-march%C3%A9-du-travail-des-r%C3%A9formes-contre-lemploi

[3Le Monde du 17 janvier 2016 : Pierre Cahuc et André Sylberberg

[5Cf. observatoire des inégalités = http://www.inegalites.fr/spip.php?article957

[11- Les réformes du marché du travail... 05/11/2015 Conseil d’Orientation de l’emploi
- Les réformes du droit du travail...Rachel Knaebel, 22/03/2016 @ Bastamag
- Réformes nationales du droit du travail en temps de crise, Isabelle Schömann, 01/03/2015, in Revue Interventions économiques

[12Le collectif d’audit Citoyen (CAC) estime à 59% la part illégitime de la dette de l’Etat hors évasion et fraude fiscale (cadeaux fiscaux aux entreprises, aux ménages les plus aisés et taux d’intérêt excessifs) cf. http://www.audit-citoyen.org/2014/05/27/que-faire-de-la-dette-un-audit-de-la-dette-publique-de-la-france/

[13https://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux/les-taux-directeurs.html. Depuis le 16 mars, le taux de refinancement de la BCE est de 0%.

[14Le conseil d’administration du 29 Janvier 2015 a autorisé un programme d’émissions de 6 Md€ pour 2015 alors que le déficit prévisible se situe autour de 4 milliards d’euros pour l’exercice 2015

[15Interview d’Eric Aubin, secrétaire confédéral de la CGT http://www.nvo.fr/0-0-4183-deficit-ce-n-est-pas-aux-chomeurs-de-payer

[18Qui détient les bons du Trésor ?" , Réponse à une question parlementaire, novembre 2010, http://goo.gl/9u6PU1

[19http://cadtm.org/Restructuration-solution, les Autres voix de la Planète, numéro spécial « dette, restructuration = solution ?

[23Cf le livre de Kenneth S. Rogoff et Carmen M. Reinhart, « Cette fois, c’est différent, huit siècles de folie financière », éditions Les temps changent, collection Pearson

[25Robert Howse, « The concept of odious debt in public international law » , Discussion Papers n°185, CNUCED, juillet 2007, UNCTAD/OSG/DT/2007/4

[26Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff, opus cité, Paris, Pearson, 2010.



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