Entre les pointes de l’étoile dessinée par une bombe peinture bleu
écrasée sur la surface transparente et lisse d’un bouclier office de
miroir CRS, tu réajustes ton rouge à lèvres à la face impavide d’un
policier en uniforme. Bastille-Nation. Court trajet.
Sur une réaction contraire le cortège est détourné du boulevard Diderot
sur la rue Chaligny par nos camarades « casseurs ». Et ça casse. Un crédit
lyonnais lézardé puis vilipendé plus la vitrine d’une agence
immobilière, puis, nous nous attaquons généreusement au Franprix d’la
rue. Nous sommes bloqués au bout, j’entends : « Un bouclard un baton un
nassé, avec moi ». Nous sommes gazés farine au vent. La première lacrymo
de la journée est la plus dure. Elle ne se conçoit pas sans un profond
repli sur soi et une grande concentration. Les connaisseurs finissent
même par l’apprécier. C’est un parfum que l’on rapporte et que l’on
exhale ensuite fièrement dans le métro jusque dans son lit.
Les flics poussent ça bloque devant les gens tombent les premiers
cris de panique le nuage lacrymal qui stagne en demi-teintes. La
respiration est tronquée. Poumons saqués plusieurs jours. Mes Tribord de
compét’ me protège avec une si une parfaite étanchéité que je finis par
les embuer pour ne plus rien voir et je dois les retirer. Ray-ban cache
mes pleurs !
C’était pas vraiment un nassage plus un étau qui se vissait sur
nous entre un mur de flics coté sud et notre nous-mêmes coté nord. Un
décalage au rapport entre poussée et accélération qui bloque le mouvement,
comme un choc à 240km/h en voiture qui le fige un millième de seconde là
ou la vitesse d’une marche à 2 km/h porte cette fixation à 10mn avant de
rétablir son équilibre. 10 mn de terreur serré bloqué dans un nuage de
gaz.
Foule contraire à Nation encore. Toujours ce jeu d’équilibre entre
les masses. Une souricière est tendue par les forces de l’ordre qui nous
attendaient. Observation du déploiement géo-stratégique matériel sur une
place vide. Préparation du terrain avant notre arrivée par
l’installation de barrières anti-émeutes et une répartition des troupes
toute différente des fois précédentes au même endroit.
On comprend mieux pourquoi nous fumes stoppé longuement avant notre entrée sur Nation. Le rond point central et la statut sont vigilés et des petits troupes partent du centre et se déploient pour faire des grands barrages sur
toute la distance du rayon de la place. Puis ils se rassemblent en formation tortue un peu partout d’où ils lancent des attaques, patrouillées par les baqueux qui te cherchent qui te pointent.
C’est une tactique toute différente que d’avancer de l’extérieur vers le centre comme les 2 dernières fois. Plus technique. Nous sommes floués et reflués un peu partout dans tout les sens. Nous nous recomposons autour de leurs charges. C’est plus dangereux pour eux mais cela casse une ligne de front fixe. Nous sommes comme des boules de flipper. Bel et bien massés partant d’un point fixe légèrement décalé du centre où partent des îlots d’unité dans la surface circonscrite à chaque avenue par des barrières, des camions, des troupes dans les vides et par les façades des immeubles en alcôve, dans les pleins. Nous sommes comme un essaim, un grouillement et nous lançons des attaques. Nous les faisons reculer plusieurs fois et regagnons successivement de la superficie. Un Bastille-Nation bien encagé. Et c’est pourquoi le détournement sauvage de la manif dans cette rue tout à l’heure est tout à notre honneur.
Je me trimballe avec un sac de pomme que m’a filé Youcef. Ce sont
des munitions idéales. J’expérimente quelques jets inspirés de leurs
propres positions de tir (ndlr : nom du canon à gaz). Il faut lancer
très haut pour que cela fasse un grand arc de cercle qui retombe à 75°
au plan du sol derrière leurs lignes. Les tirs plus tendus sont
violents, impressionnants, staccatifs, ils heurtent les boucliers et les
casques en sifflant. Parfois on en touche un, au corps. Vises le steak.
Nécrose phalange plus. Bipôle reste sec la croupe et le talion. Détente.
Au rythme inconstant hachuré par des brises lacrymales qui s’ébrouent
par la vibration des Djembés sur nos chants.
Nous défendons nos terres, nous défendons nos droits, nous
défendons notre Lune noire.
Un flic en civil fait mumuse avec ses jouets, durant la manifestation du 26 mai 2016, photo de Cyril Zannettacci, piquée sur Paris luttes info.
La pref avait préparé le terrain, disposant une nasse en demi-cercle sur la moitié de la place de la Nation, avec barrière anti émeute de tous côtés.