Le 30 mai dernier, les confédérations syndicales CFDT CFTC et CFE-CGC, de concert avec le Medef, ont désavoué leurs fédérations en refusant de reconnaître l’accord signé unanimement par les syndicats du secteur de l’audiovisuel et du spectacle vivant, sur le régime de l’intermittence.
Rien ne nous surprend dans cette décision.
Nous comprenons qu’il est insupportable aux syndicats interprofessionnels obsédés par la réduction de la dette de l’UNEDIC, qu’une profession toute entière œuvre à la création de nouveaux droits et élabore un modèle d’indemnisation plus équitable.
Oui, l’accord signé protège davantage les salarié.es contre les trous de l’emploi que ne le fait l’actuelle convention d’assurance chômage, et en particulier, les intermittentes du spectacle enceintes et les personnes atteintes de longue maladie.
C’est un choix excellent que nous saluons, notamment parce qu’il n’y a aucune raison objective pour que des personnes en arrêt maladie ou de maternité, perçoivent des indemnités chômage minorées à l’issue de leur congé, ou plus grave, qu’elles perdent tout revenu dans un moment crucial.
A ce titre, l’acharnement dont font preuve l’UNEDIC et les partenaires sociaux - exceptée la CGT - à occulter les situations particulières de maladie et de maternité au regard de l’incapacité d’être employé.e, reste à nos yeux incompréhensibles. Retoquant point par point l’accord, les confédérations déclarent : « l’accord traite de sujets qui ne sont pas dans l’assurance chômage (maternité, affection longue durée) ».
Avec toute notre bonne volonté, essayant de nous mettre dans leurs belles chaussures cirées, une chose nous échappe totalement : à quel endroit cela les gêne-t-il qu’une femme puisse accueillir l’arrivée d’un enfant ou qu’un homme soigne une maladie en ayant l’assurance que ses allocations chômage n’en soient pas impactées ?
En tout état de cause, un nombre infini (et surtout invisible) de malades, de femmes enceintes, d’hommes fraichement papa, ne recourent pas à leurs droits au congé, poussés par une réglementation de l’Assurance chômage caduque et inappropriée, qui réduit l’activité humaine à sa plus triste expression.
A les observer, nous comprenons que le déplacement que doivent accomplir les partenaires sociaux, le législateur ou les juristes de l’ UNEDIC, pour concevoir la question de la continuité des droits dans la discontinuité de l’emploi, est trop important. En réalité, leur pensée est comme voilée, tant l’obsession est grande de coller tout le monde à l’emploi, aussi précaire, misérable et insatisfaisant soit-il.
Pourtant, tant que la conception des droits à la protection sociale aura pour seul fondement le plein emploi, et que la discontinuité de celui-ci continuera d’être envisagée à la marge, nous ne pourrons éviter les ruptures de droits liées aux nouvelles formes d’emploi.
Aujourd’hui, l’éclatement des formes d’emploi est légion. Et c’est bien parce qu’elles varient et que les réglementations des différentes caisses de protection sociale (Pôle emploi, Sécurité Sociale, Caf) manquent de coordination, que les Matermittentes existent. Nous avons de maintes fois prouvé que les « mesures dérogatoires pour les emplois à caractère discontinu ou saisonnier » sont largement insuffisantes et inadaptées. Pire, elles produisent un effet négatif en ce qu’elles alimentent une logique classificatoire, qui aboutit à catégoriser les travailleurs en fonction de leur statut indemnitaire et saucissonnent ainsi leurs droits. Surtout, les réglementations ignorent la réelle problématique, à savoir qu’actuellement un salarié en emploi discontinu cumule différents statuts (salarié, auteur, auto-entrepreneur...) au gré de ses contrats, et que cette multiplicité n’est ni pensée, ni coordonnée par les caisses. Il n’existe pas d’articulation entre assurance sociale et assistance sociale, c’est-à-dire entre ce qui relève d’un droit à protection issue des revenus de l’emploi et un droit sensément universel (RSA...).
Depuis des années les politiques s’émeuvent de la situation des Matermittentes, allant même jusqu’à inventer ce terme générique de Matermittence pour définir celles qui tombent dans le trou de la protection sociale dès lors qu’elles ont l’idée saugrenue de faire un enfant. Le 7 janvier 2015, le rapport remis par le trio Archambault/Combrexelle/Gille actait une fois encore la nécessité d’en finir avec ce système discriminant et précarisant, et insistait : « La mission invite les partenaires sociaux à s’emparer du sujet de la prise en compte des périodes de maladie et de maternité lors de la prochaine négociation de la convention d’assurance chômage, en englobant dans la réflexion, tant par souci de cohérence que d’équité, l’ensemble des allocataires de l’assurance chômage concernés par la discontinuité de l’emploi. ».
C’est à ce titre que les syndicats professionnels du spectacle et de l’audiovisuel ont fait le choix de mettre en place une indemnité de substitution prise en charge par un fond de solidarité chez Audiens, l’organisme qui gère la protection complémentaire du secteur ; autrement dit les syndicats ont agit par un accord de branche pour palier les refus d’indemnisation des congés maternité par la Sécurité Sociale. L’accord prévoit notamment qu’en cas de refus, Audiens prenne en charge pour les personnes indemnisées par Pôle emploi au titre de l’annexe 8 et 10, l’indemnisation d’un congé maternité plus court mais permettant à l’assurée le renouvellement de ses droits au chômage à l’issue de la période d’arrêt.
Là encore, nous ne pouvons que saluer que de telles dispositions voient le jour, puisqu’ainsi elles viendront soutenir des femmes en situation de précarité. Mais, nous persistons à crier haut et fort que le droit au revenu en cas de maternité et de maladie relève d’une protection élémentaire.
L’Assurance chômage dans son ensemble, doit faire évoluer sa réglementation pour indemniser les chômeurs, après une période de congé maladie ou maternité dans les mêmes conditions que les chômeurs n’en ayant pas souffert.
En janvier 2015, Hollande a permis que la Sécurité sociale abaisse les seuils de 200 à 150 heures travaillées en 3 mois pour ouvrir des droits à l’indemnisation des congés maternité et arrêts maladie. Reconnaissons-lui au moins cette mesure, qui de fait, permet désormais à un plus grand nombre de femmes d’être indemnisées par la Sécurité sociale.
Mais si nous constatons une baisse des refus d’indemnisation des arrêts par la Sécurité sociale, rien n’a bougé concernant la maltraitance des dossiers, les erreurs dans le calcul du montant de l’indemnisation et un retour de bâton conséquent lors de la réinscription à Pôle emploi.
Une nouvelle circulaire ministérielle, issue elle aussi des échanges entre les différents acteurs présents lors des concertations, doit entrer en vigueur prochainement. Elle vient s’ajouter aux textes précédents et ce copié-collé, s’il clarifie quelques points à la marge, ne permet pas en l’état, une lecture plus claire pour les agents des CPAM qui traitent les dossiers et surtout, elle fait l’impasse encore une fois sur des points majeurs (agrégation revenus artistes-auteurs et revenus salariés, prise en compte des cachets selon les anciennes dispositions, indemnité journalière minimale inefficiente...).
Par ailleurs, le projet de loi Travail prévoit la mise en place du Compte Personnel d’Activité (CPA), sensé « sécuriser les parcours professionnels », en attachant toujours davantage les droits des travailleurs à leurs revenus tirés de l’emploi. C’est une imposture crasse en matière de protection sociale. En effet, sous couvert d’architecturer « la protection sociale du 21ème siècle », le CPA est une méga plateforme informatique sur laquelle seront inscrits tous nos droits individuels (formation, pénibilité, chômage, retraite...). Concrètement, nous pourrons bientôt tirer nos droits derrière un ordinateur, en bas de chez nous, à la banque ou au bazar, si tant est qu’on capitalise les points nécessaires ; points principalement obtenus en contrepartie de l’occupation d’un emploi. Ainsi avec le CPA, chacun aura à sa charge d’assumer « le risque maladie/maternité », et pourra compter sur un conseiller virtuel paramétré, selon des critères normés, totalement coupés de la réalité de la multiplicité des statuts indemnitaires que vivent une grande partie des travailleurs.
Entre compte personnel et caisse autonome (ou la sortie des intermittents de la solidarité interprofessionnelle), il n’y a qu’une différence d’échelle. L’un comme l’autre vise à individualiser les droits, entendus désormais comme un capital à fructifier. Le régime de l’intermittence tel que prévu par l’accord, vient renforcer la mutualisation des droits des salariés et plus généralement la continuité de leur protection sociale. C’est en cela qu’il est l’objet d’attaques répétées que le gouvernement s’emploie à contrer, à coup de millions d’euros sporadiques versés à la « culture ».
Pour l’UNEDIC comme pour les partenaires sociaux, les allocataires des annexes 8 et 10 relèvent déjà d’une réglementation très favorable ; ils ne peuvent donc concevoir que nous en voulions plus, pour plus de monde, tant ils sont obnubilés par la réduction des droits des chômeurs et la prétendue dette de l’Assurance chômage.
La récente décision du gouvernement de financer deux mesures prévues par l’accord sur les annexes 8 et 10, pour palier les exigences de l’interpro au sujet du déficit, (l’allocation journalière minimale et la prise en compte des maladies de longue durée dans l’ouverture des droits chômage), masque mal le petit jeu donnant-donnant auquel s’adonne les uns et les autres pour calmer ce qu’aucun n’ignore : la puissance contestataire, la capacité de mobilisation et d’expertise des salarié.es de ces régimes. En outre, financer la prise en compte des longues maladies par l’Assurance chômage permet de différer une énième fois, l’universalisation nécessaire du revenu de remplacement.
Plutôt que d’alimenter les créanciers anonymes des marchés financiers avec nos cotisations, les partenaires sociaux seraient bien inspirés de juguler la marchandisation des droits, en décidant un moratoire sur la dette de l‘UNEDIC et une suspension immédiate du paiement des intérêts. Plutôt que de s’acharner à sortir le régime de l’intermittence de la solidarité interprofessionnelle, les mêmes devraient s’attacher à concevoir un régime d’Assurance chômage en cohérence avec l’éclatement des formes d’emploi et la métamorphose toujours croissante du salariat.
Quant à nous, nous savons à quoi nous travaillons : inspirer les modalités d’une protection sociale pour tous, à vent contraire de la mécanique de capitalisation de nos droits.
Paris, le 13 juin 2016
Les Matermittentes,