mardi 2 décembre 2008
Dernière modification : vendredi 24 juin 2011
Italien, D. vit en France depuis 10 mois. Mi-juillet, il demande le RMI muni des pièces justificatives indiquées sur le formulaire téléchargeable sur le site de la CAF, à savoir : « si vous êtes français(e) ou ressortissant(e) de l’Espace Economique Européen, fournissez votre carte d’identité ou votre passeport ou votre livret de famille... ».
Prudent, il apporte également d’autres documents : un certificat d’hébergement, une notification de rejet des Assedic, sa carte européenne d’assurance maladie et ses derniers bulletins de salaires comme vendeur de saucisses au Stade de France. Son dossier est enregistré au centre administratif de Montreuil à l’étage Projet de ville RMI.
Puis il patiente, patiente, patiente, tout en passant plusieurs coups de fil. Chaque fois, on lui répond : « votre dossier est en attente de traitement ».
Sans revenu, il est contraint de faire le manutentionnaire pour rembourser l’argent emprunté à des amis et simplement... survivre.
En août, il se rend à la CAF de Rosny-sous-bois où un agent lui dit : « C’est les vacances, votre dossier sera traité dès que possible, il n’y a pas de problème. Mais vous savez, pour vous ça va être le jackpot, vous allez toucher 3 mois d’un coup ! » - Maigre consolation. Si le versement du RMI doit débuter à la date de la demande, D. ne sait pas quand la Caf lui enverra sa notification d’ouverture de droits... Il faut encore attendre.
Début septembre, impatient, D. reçoit de la CAF une liste de pièces à fournir dont la plupart ont déjà été envoyée à maintes reprises. Pour la 4ème fois il photocopie sa carte d’identité italienne, sa carte européenne de santé et ses bulletins de salaire. Fait nouveau, on lui demande de fournir un acte de naissance et sa déclaration de ressources 2007 ; il doit appeller en Italie pour se les faire envoyer au plus vite.
Des semaines plus tard, il trouve dans sa boîte aux lettres une déclaration trimestrielle de ressources (DTR) que les allocataires du RMI doivent remplir tous les 3 mois. Une déclaration, mais toujours pas d’allocation... Il la remplit et la renvoie.
À bout, il fait appel à la permanence précarité de la CIP, ainsi qu’à des amis qui veulent s’organiser face aux institutions sociales, pour se rendre collectivement à la CAF.
Un mardi d’octobre de bon matin, nous sommes une dizaine à la caisse d’allocations familiales de Rosny-sur-seine (93) pour faire admettre D. dans ses droits.
Certains font la queue au guichet pour obtenir un ticket de passage, tandis que d’autres distribuent dehors, au bas de l’escalier d’entrée, l’annonce de la permanence précarité. Le vigile vient signaler que l’endroit où nous nous trouvons appartient à la CAF et qu’il est interdit d’y distribuer des tracts. Il demande que l’on se déplace derrière le portail dans la rue. Nous lui répondons être là pour informer les allocataires de leurs droits, que nous sommes venus accompagner une personne à qui on refuse le RMI et que si son chef descend nous lui dirons avoir été prévenus mais être décidés à rester-là.
L’intervention en cours est remarquée. Un vigile nous demande de rester à l’extérieur pour distribuer les tracts. Un agent d’accueil bondit derrière son pupitre en criant « Ici chacun se débrouille seul, comme tout le monde ! Seul l’allocataire peut aller dans le box ! ». Des allocataires se manifestent également : un homme assis dans la salle d’attente fait part de ses difficultés comme parent isolé, une femme avec 3 enfants à charge invoque ses problèmes de logement, un allocataire déjà passé au guichet et plutôt amusé de la situation se joint à nous.
Le nom et le prénom de D. s’affichent sur le panneau lumineux. C’est à son tour de se rendre dans un des box vitrés. Cette fois, il ne sera pas seul. Nonobstant les menaces de l’agent d’accueil qui tente de s’opposer physiquement, nous faisons valoir le droit à l’accompagnement (extrait du site internet caf.fr) : « Toutefois, avec l’accord explicite de l’allocataire et à condition qu’il soit mis en garde contre de possibles révélations sur sa vie privée, toute personne peut assister à l’entretien, y compris un traducteur ». Nous entrons à trois en essayant de les rassurer sur ce qu’ils ressentent comme une intrusion :« Tout se passera bien, ne vous inquiétez pas, nous sommes calmes -mais déterminés. ».
L’agente qui nous fait face survole rapidement l’écran de son ordinateur et dit « Monsieur est de nationalité italienne ; son dossier sera rejeté tant qu’il ne fournira pas un titre de séjour de 10 ans ». Gloups ! Nous nous étonnons de cette réponse et lui expliquons qu’à l’heure de la libre circulation des biens et marchandises dans l’union européenne, les êtres vivants de la sous tribu des hominines munis des bons papiers - ceux pour l’obtention desquels des milliers de « sans »-papiers se battent tous les jours - sont censés pouvoir librement circuler au sein de cet espace ; que les ambassades de la plupart des pays de l’union refusent désormais de délivrer des titres de séjour puisque seule la carte d’identité est nécessaire. Sourde, notre interlocutrice répond que D. peut fournir à la place une attestation d’affiliation à la sécurité sociale en France.
D’où tient-elle ces informations ? Et d’ailleurs D. possède une carte européenne d’assuré social. « Non ! dit-elle, il lui faut la sécurité sociale française. Mais le titre de séjour de 10 ans c’est plus simple, tous les Roms font ça, ils travaillent un temps puis vont à la préfecture demander un titre de séjour de 10 ans et viennent ensuite demander le RMI ».
Nous savons bien que, discriminés, des ressortissants de certains pays de l’Union Européenne comme la Roumanie doivent fournir davantage de documents parce qu’ils sont soupçonnés de venir profiter des miettes de l’État social français. Elle se contente de tendre un post-it sur lequel est écrit « titre de séjour de 10 ans ou affiliation sécurité sociale ». Nous dédaignons ce confetti arbitraire et exigeons communication des textes de loi précisant les documents nécessaires à l’ouverture des droits pour les ressortissants de l’UE validée par le directeur de la CAF.
Elle sort et nous fait attendre. Au delà des parois vitrées nous observons les mouvements des employés. Certains traversent nerveusement le couloir, d’autres, l’air affolé, se sont regroupés et chuchotent tandis que l’agent d’accueil passe de groupe en groupe cherchant à maintenir un ordre incertain. L’agente revient : nous allons être reçus par « la spécialiste du RMI ».
Retour en salle d’attente où nous racontons ce qui n’a pu être entendu. Une agente d’accueil vient dire qu’ils essaient d’imprimer les textes officiels « mais vous comprenez, il y en a comme ça » elle écarte ses mains de 30 cm « l’imprimante a bourré et deux ordinateurs ont planté ». Lorsque nous lui exposons la situation, elle répond « c’est bizarre, s’il a sa carte d’identité ça devrait suffire, je ne comprends pas ». Nous non plus. Nous comptons bien rester le temps nécessaire à la résolution de ce cas qui concerne en fait des dizaines de milliers de personnes.
Nous sommes de nouveau reçus dans un box (« à trois pour cette fois », précise l’agente d’accueil).
Nous :« Bonjour, il paraît que vous êtes la spécialiste du RMI ? »
Elle : « Oui, je suis technicienne ici depuis l’instauration du RMI en 1988, j’ai vu passer toutes les réformes. »
Elle décortique le dossier sur l’ordinateur et relève des incohérences. La case « n’a pas présenté de titre de séjour » est cochée alors que, pour les ressortissants de l’UE, seule la carte d’identité est nécessaire. Si D. avait été d’une nationalité nécessitant de fournir un titre de séjour, l’absence de ce document lui aurait valu un avis de rejet dans les plus brefs délais. Il n’aurait donc pas dû recevoir de DTR. Elle modifie les données numériques et fait valoir qu’auparavant pour les communautaires il fallait un titre de séjour mais que depuis les réformes du droit au séjour (loi Sarko 2 de juillet 2006) c’est l’affiliation à la sécurité sociale en France qui autorise l’accès au RMI.
Nous en concluons silencieusement : sans passage part l’emploi, pas de RMI donc ! et insistons sur le fait que D. s’est trouvé sans revenu plusieurs mois faute de RMI. Il a dû accepter n’importe quel emploi pour survivre pendant ce temps, il a un loyer à payer chaque mois, il est urgent que son dossier soit débloqué. Elle dit comprendre la situation.
Le parcours de D. correspond à un des parcours type d’accès au RMI. « Monsieur réside en France depuis plusieurs mois, il a travaillé sans ouvrir de droits à l’assurance chômage et n’a ensuite pas trouvé d’emploi. C’est ce qu’on appelle « un accident de vie ». Il se trouve contraint de demander le RMI pour subvenir à ses besoins. Il ne manque que l’attestation d’affiliation sécu et tout devrait rentrer dans l’ordre ».
Mais D. est allé à la sécu et n’a pu obtenir d’attestation. Pour régler le problème nous lui demandons d’appeler la sécurité sociale. Elle appelle : D. a bien des droits ouverts. Elle signifie à son interlocuteur qu’il viendra chercher son attestation dans l’après-midi et nous informe que le RMI de D. sera versé dans les 10 jours. Ne nous manque plus qu’un document certifiant qu’il ne manque que l’attestation sécu - et pas de post-it cette fois ! - et l’assurance du versement d’une « avance sur droits supposés ».
Nous sortons du box avec un papier signé-tamponné et un rdv sous 48h afin de percevoir une avance de 300 euros. Après un compte-rendu aux « usagers » présents et nous quittons la CAF.
Une employée vient alors nous parler « C’est super, vous avez foutu le bordel ! Dans les couloirs, ça courait dans tous les sens. Les documents officiels, ils les ont pas trouvés, c’était la panique. La carte d’identité, normalement, ça doit suffire ... ils croyaient que c’était une fausse carte. Il faut que vous reveniez. À la prochaine ! »
À la prochaine oui, collectivement ! Comme d’autres cette action montre qu’en cette période glacière d’individualisation accrue, les actions collectives et la solidarité sont plus que jamais vitales. Partout où nous le pouvons, regroupons-nous face aux institutions sociales. Formons ou rejoignons des collectifs, partageons les informations et les savoirs. Ne restons pas seuls !
Avant d’agir en CAF, d’accompagner des allocataires, mais ou inconnus, une lecture conseillée : Salariés de la caisse d’allocations familiales, chômeurs, précaires résistons à l’entreprise CAF !
Permanence précarité : lundi de 15h à 17h30, Coordination des Intermittents et Précaires. www.cip-idf.org, tel : 0140345974, mail : permanenceprecarite cip-idf.org.
CIP, 14-16 quai de Charente, Paris 19è.
Plutôt CAFards que CAFteurs. Le journal des CAFards, collectif de précaires de la Clinique occupée à Montreuil
Les intermittents et précaires s’invitent à la CAF
Mobilisons-nous pour de nouveaux droits sociaux
Lutter est nécessaire, lutter est possible : La puissance du nous
La coordination a dû déménager le 5 mai 2011 pour éviter une expulsion et le paiement de près de 100 000 € d’astreinte. Provisoirement installés dans un placard municipal de 68m2, nous vous demandons de contribuer activement à faire respecter l’engagement de relogement pris par la Ville de Paris. Il s’agit dans les temps qui viennent d’imposer un relogement qui permette de maintenir et développer les activités de ce qui fut de fait un centre social parisien alors que le manque de tels espaces politiques se fait cruellement sentir.
Pour contribuer à la suite :
• faites connaître et signer en ligne Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde.
• indiquez à accueil cip-idf.org un n° de téléphone afin de recevoir un SMS pour être prévenus lors d’actions pour le relogement ou d’autres échéances importantes.
Permanence CAP d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, lundi de 15h à 17h30. Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap cip-idf.org.
Permanences précarité, lundi de 15h à 17h30. Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite cip-idf.org.
À la CIP
13bd de Strasbourg, Paris 10e, M° Strasbourg Saint-Denis
Tel 01 4034 5974