Guerre aux chômeurs, paix aux banquiers - Allemagne / Hartz High Kick

lundi 30 juin 2014
Dernière modification : lundi 30 juin 2014

Le progrès, c’est faire des choix courageux dans des moments difficiles, ce qu’a fait Schröder ici. Ces décisions ne sont pas faciles à prendre.
François Hollande, le 16 mai 2013 à Leipzig, pour le 150è anniversaire du Parti Social-Démocrate.

Le modèle allemand de lutte « contre la pauvreté », inventé par la SPD de Schröder au début des années 2000, est celui de Valls et de Hollande. Ils feront tout pour l’imposer, avec force discours auto-célébrant les décisions courageuses qu’il leur faudra prendre pour y parvenir. Comme toujours, ceux qui sont les plus éloignés de la pauvreté prennent les décisions pour ceux qui la vivent au quotidien.
La vie de millions d’Allemands s’est dégradée ces dix dernières années - depuis que les lois Hartz ont entrepris de détruire les droits des chômeurs et de déréguler le marché du travail par une réforme de l’assurance chômage. Cette entreprise néo-libérale fut, comme en Grande-Bretagne, comme en France, déléguée à la sociale-démocratie, sans doute plus à même que la droite de faire passer la pilule sans protestation des syndicats ou de la population.
En 2003, des jobs à 1€ de l’heure font leur apparition. « Lorsqu’une famille Hartz IV avec des enfants en bas âge a besoin d’une nouvelle machine à laver, la seule chose que nous puissions faire pour elle, c’est un appel à dons », explique tranquillement la responsable d’un bureau de l’assistance sociale. Après tout, pourquoi ne pas inventer le crowdfunding social pour les 2 millions d’enfants vivant dans des foyers dits Hartz IV ?
Avec l’allocation chômage ALG II, comme avec ce désastre qu’est le RSA en nos frontières, la fraude est nécessaire à la simple survie : on évite la déclaration de ses revenus, on ment à son chargé de suivi d’insertion, on utilise son allocation logement pour manger.
Avant d’être pris la main dans le sac pour avoir avancé les frais de putes de syndicalistes d’IG Metall, Peter Hartz, grand pourfendeurs des profiteurs, a inspiré quatre lois, qui ont institué la baisse de la durée d’indemnisation de 3 à 1 an, donc le passage au bout d’un an d’une allocation-chômage à un revenu minimum d’activation de 391€, la concentration de l’emploi sur des contrats précaires et sous-payés, la croissance exponentielle de l’intérim, la possibilité de réduire les allocations des chômeurs possédant des économies par un droit d’accès aux comptes bancaires, la multiplication des sanctions, des coupes dans les allocations et des radiations.
En 2013, il y a eu 1 million de sanctions : 1 chômeur sur 4 a été sanctionné dans l’année, le chiffre atteint 1 sur 2 pour les jeunes de 16 à 25 ans, signe d’une résistance massive et tenace à l’activation forcée.
Le résultat : l’Allemagne compte aujourd’hui 25% de travailleurs pauvres, elle détient le record d’Europe du plus grand secteur à bas salaires, devant les pays baltes, la Roumanie ou la Grande-Bretagne. 8 millions d’Allemands gagnent moins de 9,4€ de l’heure (moins que le SMIC français), 1,6 millions gagnent moins de 5€/h.
De 2000 à 2010, le salaire réel en Allemagne a baissé de 4%, alors même que la richesse nationale s’accroissait de 25%. Il est vrai que l’Allemagne a aussi conquis la première place européenne des inégalités.

En Allemagne, ce stupéfiant changement dans les conditions sociales et de travail est extrêmement récent, contrairement à beaucoup d’autres économies nationales. Il y a huit ans encore personne n’aurait pu prévoir une pareille dégringolade sociale. Les étapes décisives ayant déjà été franchies avant la crise, les élites au pouvoir n’ont eu, à partir de 2008, aucune difficulté à amortir, par la prolongation de la réglementation sur le travail partiel, les retombées de la crise et à redimensionner leurs mesures pour étendre les mécanismes de flexibilisation du travail aux salariés directs.
Il est impossible ici d’approfondir davantage le coup d’œil jeté sur la variante « partenariat social » des effets de la crise sur les subalternes. La différence (de la situation allemande) avec la brutalité sociale et l’immédiateté des effets de la crise pour les travailleurs/euses aux USA est aveuglante et, entre ces deux configurations et ce que vivent les prolétariats des pays émergents et en développement, il y a encore un monde.
Mais qui pourrait prétendre que la variante « partenariat social » de la fragmentation de classe soit un moindre mal ? Si nous réfléchissons aux mentalités qu’engendrent ces attitudes du « sauve qui peut », du « chacun pour soi » et de l’espoir que « ça n’arrivera qu’aux autres », on peut vraiment en douter.

Karl-Heinz Roth, in La Crise mondiale, 2009

Les lois Hartz ont pour objectif d’indexer l’allocation à un sous–emploi, à la disponibilité à l’employabilité et à un contrat d’insertion. Elles n’instituent pas seulement le travailleur pauvre, mais aussi sa culpabilité, puisque ce dernier est tenu pour responsable de sa condition et d’être en dette vis-à-vis de la société et de l’Etat.
Les politiques actuelles de l’emploi et les politiques du workfare (qui visent à forcer, à inciter à l’emploi ceux qui reçoivent des aides sociales) sont des politiques qui introduisent, à des degrés divers, l’insécurité, l’instabilité, l’incertitude, la précarité économique et existentielle dans la vie des individus. Elles insécurisent non seulement les individus, mais aussi leurs rapports à toutes les institutions qui jusque-là les protégeaient.
L’appauvrissement économique s’accompagne d’un appauvrissement subjectif, c’est-à-dire d’une dépendance qui génère une infantilisation destinée à se prolonger toute la vie.
L’Etat et ses administrations sont au commandement des opérations. Un autoritarisme qui n’a plus rien de libéral peut seul garantir la reproduction de ce type de rapports de pouvoir. Le gouvernement du plein emploi précaire et la rançon du paiement de la dette nécessitent l’intégration de pans entiers du programme de l’extrême droite dans le système politique démocratique.

Maurizio Lazzarato, in Dette et austérité, le modèle allemand du plein emploi précaire, 2012

Cet article a été publié dans L’interluttants n° 33, juin 2014

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Adresse originale de l'article : http://cambouis.cip-idf.org/spip.php?article7226