mercredi 9 juillet 2014
Dernière modification : lundi 14 juillet 2014
Le 19 juin, Valls avait annoncé que le gouvernement signerait les accords de l’UNEDIC. On avait l’impression que les intermittents étaient les seuls à s’opposer à cet accord, dans une « lutte des intermittents » corporatiste, par et pour les intermittents. Un travailleur précaire au régime général, un vacataire, un intérimaire [1] n’avait aucune chance de deviner que ces accords le concernent au plus haut point, et le précarise encore plus [2]. Et certains intermittents du spectacle ne le savent pas non plus.
Bel exercice d’enfumage, bravo. Une si belle lettre d’amour à la Culture et à ses acteurs, c’était beau. En tant que porte-parole du MEDEF, il mérite de l’avancement !
Certes, ce qui est en jeu ici impacte la culture et ses acteurs, mais cela va bien au-delà. Il est par conséquent fondamental des voir les aspects sociaux de la réforme avant de voir les aspects culturels. Car la lutte doit clairement s’amplifer et s’élargir.
En premier lieu, ces accords relèvent de la volonté idéologique de flexibiliser la main d’œuvre du régime général de la caisse de l’UNEDIC. Cette volonté est limpide étant donnée qu’elle est clairement et fièrement affirmée régulièrement par les dirigeants du MEDEF (« l’amour est précaire, pourquoi le travail ne le serait-il pas ? », Laurence Parisot). Si vous désirez les détails, lisez donc le texte de l’accord. Non, je déconne, c’est quasi inhumain (mais c’est tout à fait voulu [3]). Prenons plutôt un exemple, un point de vue orienté bien entendu, choisi exprès, avec des chiffres faux (je ne suis pas expert) mais suffisamment justes pour illustrer la philosophie en œuvre : ce qui est proposé, en plus d’être une réforme économique pour faire gagner des sous à l’UNEDIC sur le dos des plus précaires, est avant tout une réforme idéologique.
Voici donc, volontairement, un cas hyper peu caricatural, banal au contraire. Jules est au chômage depuis 10 mois, en touchant 1000€ par mois d’allocations (donc nettes) au régime général. Ses droits lui sont ouverts pendant encore 2 mois. Il a peur de « tomber au RSA ». On lui propose un contrat de merde de 21h par semaine pour un mois, payé 780 € net.
Dans l’état actuel des choses, Jules a le choix entre accepter le boulot, c’est-à-dire une baisse de revenus de 220 € en conservant 2 mois d’indemnisation, ou refuser cet emploi et cette baisse de revenus et perdre ce mois de répit avant de dépendre du RSA (quoique... [4]). Avec la réforme, Jules pourra, s’il accepte l’offre, conserver son revenu de 1000 € pendant 3 mois moins 6 jours de cotisation ou, toujours, refuser l’offre.
La différence n’est pas flagrante, pas de quoi se révolter, n’est-ce pas ? Sauf que dans le premier cas, maintenant, par rapport au deuxième cas, si la réforme passe, Jules n’est pas flexible (et donc pas optimal pour les élites économiques). Jules n’a pas d’incitation à accepter le contrat de merde. Pourquoi ?
Parce que dans le premier cas, Jules voit ses revenus immédiats baisser et que cela, psychologiquement, ce n’est pas incitatif. En tous les cas, c’est ce que pensent les gens du MEDEF, et je crois bien, pas mal de gens (retarder le moment de payer l’addition pour profiter du moment présent ...).
Dans le deuxième cas au contraire, il a bénéficié des « droits rechargeables », c’est-à-dire qu’il a pu retarder de 2 mois et 24 jours (à peu près) sa baisse de revenus.
Donc, dans cette réforme, on peut répondre de manière satisfaisante à la peur de perdre son salaire en la retardant le plus possible ; et c’est normal d’y répondre à titre individuel, c’est humain voire animal (mon seul point d’accord avec le MEDEF). Et on est en même temps incité.e.s à prendre un contrat de merde, ce qui est tout bon pour l’économie. Un accord gagnant-gagnant en somme, besoin de sécurité contre flexibilité. Là, clairement, si on s’arrête, on a l’impression que je viens de scier la branche sur laquelle je suis assis : je combats un accord gagnant-gagnant !!! Le con.
Allez, c’est à ça qu’on les reconnaît : j’ose. En quoi est-ce une volonté de flexibiliser la main d’œuvre ? Pour moi, il semble évident que si désormais les gens ont un intérêt important à accepter des contrats de merde, petit à petit ne seront proposés que des contrats de merde. Tout sera fait (puisque ça a commencé) pour que cette offre de contrats de merde rencontre cette demande de contrats de merde. Cela se fera en quelques années. Et ce sera, je vous le donne en mille ? La merde. Pourquoi ? Parce qu’il est quasiment impossible de lutter collectivement lorsqu’on est mis, individuellement, dans la merde (ou alors de manière violente [5]).
C’est ça le but, c’est ça l’idée, c’est ça la stratégie.
Donner suffisamment de confort et de rêve de richesse pour que la merde ne soit pas trop violente à supporter, mais que les gens continuent à être exploités sans se révolter.
Je défie quiconque de me prouver que ceci est une vue de l’esprit, que d’un point de vue économique les riches n’ont aucun intérêt à avoir des gens payés au plus faible salaire possible tout en évitant la révolte. C’est de la recherche d’efficacité économique, de l’optimisation. Les économistes orthodoxes font cela tous les jours, c’est leur métier.
Mais pour que ces droits rechargeables qui assurent flexibilité et sécurité en même temps soient optimaux, il faut qu’ils ne soient pas trop élevés, afin que les gens aient réellement un intérêt important à accepter le petit boulot de merde.
Or, imaginez : on flexibilise tout le monde, plein d’emplois discontinus partout, youhou c’est la fête, on peut virer qui on veut quand on veut ... mais ... damned ! Cela signifie qu’on a créé des intermittent.e.s de l’emploi ... qui se mettent très rapidement à regarder sur les annexes des intermittent.e.s du spectacle ou des intérimaires... mais, mais, mais !!! Ils sont hypeeeerprivilégiés !
Clairement, si l’intermittence de l’emploi s’installait dans le régime général, alors les travailleur.e.s du régime général gagneraient moins que les intermittent.e.s du spectacle, auraient moins de sécurité. Car les annexes 8 et 10 qui se rapportent aux intermittent.e.s ont comme raison d’être, justement, de compenser l’intermittence, l’incertitude, les cogitations existentielles (auxquelles je tiens beaucoup, parce qu’en fait, je ne suis pas qu’un salaire et un consommateur).
Mais des intermittent.e.s avec des droits plus faibles, c’est le rêve absolu des patrons. C’est cela qui procure l’intérêt important à accepter un boulot de merde.
Par conséquent cette réforme se doit de détruire les annexes 8 et 10 concernant l’intermittence car sur le point de vue philosophique, elles donnent la garantie d’un salaire en cas de travail discontinu, dans des conditions acceptables, c’est-à-dire qu’elles garantissent une vraie sécurité en cas de flexibilité, pensée dans le cadre d’une véritable solidarité interprofessionnelle. Il a donc fallu, par tous les moyens possibles, décrédibiliser les personnes qui en « bénéficient » et les rendre de moins en moins accessibles et acceptables. Pour cela, on a médiatiquement construit le prétendu « statut d’intermittent », privilégié, forcément privilégié, ou encore le parasite profiteur du système (quelques pour cents, comme dans tout système), littéralement payé à rien foutre, le « permittent » ; on raccourcit les délais permettant d’accéder au droit à l’indemnisation et on retire quelques euros aux plus fragiles, histoire qu’ils lâchent la branche à laquelle ils s’accrochent les cons.
La philosophie de cette réforme est donc double, deux en un, cadeau bonus : faire passer les travailleur.e.s du régime général bénéficiant de la solidarité interprofessionnelle dans l’intermittence (eux pardon la flexsécurité) sous couvert des fameux « droits rechargeables » puis les faire glisser progressivement dans la case « absence de sécurité réelle » en attaquant les exceptions accordées aux activités intermittentes.
Aller vers une flexibilité sans sécurité cela s’appelle, presque par définition, précariser. Et hop la solidarité.
Au fait... Que penser des mesures qui touchent les intérimaires ? Encore un « statut » (en fait là encore il s’agit simplement d’une annexe, la numéro 4) qui garantit des salaires en cas d’emploi discontinu après tout, il faut peut-être l’attaquer aussi, il doit y avoir des économies à faire, non ? Alors c’est facile, celles et ceux qui ne passent pas par les agences d’intérim (les vacataires par exemple) passent au régime général, et sont donc incité.e.s à ... continuer à bosser avec des emplois de courte durée, mais avec moins de droits ! Cool, non ? Les autres (celles et ceux qui passent par les agences d’intérim) subiront une perte de revenus de 50 à 300€ par mois.
« Bien sûr la lutte des classes existe, et c’est la mienne, celle des riches, qui est en train de la mener et de la gagner » a dit Warren Buffet, multimilliardaire. J’aime bien quand ce sont les gens que je combats qui le disent, parce que parfois, on ne me croirait pas.
La phrase de Buffet dit que tout ceci n’est pas une théorie du complot.
C’est une stratégie.
Nous ne sommes pas en train d’imaginer une grosse machine invisible et purement bureaucratique qui serait purement aveuglée. Certaines et certains sont aveuglé.e.s bien sûr. Mais beaucoup ont les yeux bien ouverts et sont en train de mener leur combat. Bon nombre de riches sont conscient.e.s de leurs privilèges, et entendent bien les préserver pour leur descendance. Il leur est nécessaire pour cela de mener le combat par tous les moyens possibles. Dont le harcèlement, l’affaiblissement, la propagande.
Mais ils et elles ne sont que quelques-un.e.s. Et nous, nous sommes nombreux.es, et peu à peu, nous allons nous rendre compte à quel point notre colère est légitime. Cette colère a des causes politiques, ces causes politiques doivent et peuvent être attaquées par tous les moyens possibles [6].
Un partiCIPant de Gironde.
Pour en finir avec quelques idées reçues sur l’intermittence, voir le tableau qui figure en page 2 de ce tract :
[1] Voir : Action intérim, « trime et tais toi » à Roissy et Villepinte, premier bassin d’emploi intérimaire de la région, note Cip-idf.
[2] Décryptage de l’accord Unedic du 22 mars 2014 : régime général, annexe 4 et annexes 8 et 10 , note Cip-idf
[3] Utiliser des formules compliquées, du jargon, retirer aux gens la maîtrise et la connaissance de leur être et de leur vie, ici de leurs droits sociaux, c’est un des aspects principaux de ce que l’on appelle la prolétarisation. C’est la différence entre la misère et la pauvreté. C’est désarmant pour lutter. Note Cip-idf : Déprolétarisation et nouvelle prolétarisation - Enquête collective
[4] il y a eu d’autres accords ces dernières années, non ? Disant qu’on ne peut plus refuser plus de trois offres d’emplois sans motif valable. Et bien oui : les bons stratèges jouent sur tous les tableaux. Note Cip-idf : Pôle emploi : déjouer les convocs pour « entretien téléphonique », les radiations, le suivi...
[5] Pour éviter les violences, le pouvoir met en place des moyens de surveillance et de restrictions des libertés individuelles assistés par la technologie de plus en plus performants. Le droit international est également un très bon assistant : toute forme d’opposition non institutionnelle jugée trop radicale peut être désormais qualifiée de terroriste et par conséquent stoppée et poursuivie sans droit à une défense digne de ce nom, et cela dans toute l’Europe. Tout se tient.
Le gouvernement des individus - Université ouverte 2008-2009.
Nous avons lu le néolibéralisme ou Foucault chez les patrons - Université ouverte
L’article qui suit a été écrit en 1986, quatre ans après que la gauche ait commencé de restreindre les droits des chômeurs : L’idéologie est la première arme des exploiteurs